Q : Outre le scénario qui est réussi, a-t-il été question de rajouter des enfants à un moment donné ou non ? La famille aurait-elle été plus grande ?
Lisa Cholodenko : Merci d’abord pour vos compliments sur le scénario. Pour ce qui est du nombre d’enfants, je n’ai pas envisagé d’en faire plus. C’était important pour moi, comme vous le voyez, que l’on puisse vraiment s’attarder sur chaque personnage. On suit vraiment les expériences de chacun. Je trouvais donc que ce chiffre de 5 que j’avais, soit 4+1, correspondait déjà à une limite. Je ne pouvais pas me permettre un nombre supérieur.
Q : Annette, vous avez encore un rôle où vous êtes encore casse-pied. Ne pouvez-vous pas avoir d’autres types de rôle ?
Annette Bening : Je ne dirais pas que je partage cette vision sur ces deux femmes, que cela soit la femme que j’ai incarné dans ce film ou Mother and child, auxquelles vous faites allusion. Ce sont des femmes que j’aime parce qu’elles représentent toute la complexité d’un être. Je n’aime pas à voir à représenter des êtres manichéens, des gens qui sont tout bon ou tout noir. Ce n’est pas du tout la question. Il s’agit de montrer, de représenter quelqu’un dans la multiplicité de ses facettes, de son être. Je crois comme n’importe qui, comme vous et moi, nous tous, que nous avons des hauts et des bas dans la vie. Il y a des moments où nous sommes très agréables et des moments où nous le sommes moins. Il s’agit aussi de représenter ces personnages féminins dans cette complexité, dans cette multiplicité. Je suis ravie de pouvoir incarner de tels rôles, qui sont des femmes telles qu’elles le sont dans la vraie vie. C’est une chance qui n’était pas très courant avant, qui est donnée maintenant de pouvoir aussi mettre en lumière des sentiments tels que la colère, la névrose. Pour pouvoir jouer la névrose, c’est une chose qui m’a vraiment passionnée. Vraiment ici, dans ce personnage que j’ai aimé aussi bien que dans le personnage de Mother and child, c’est que je peux réussir à vraiment me mettre dans sa peau et de vivre le monde à travers son regard et d’arriver à donner une vie au rôle que l’on m’écrit, de rentrer dans cette complexité-là. Les personnage n’ont de sens que dans leur histoire. Ces histoires sont des histoires très belles. Je trouve que les personnages sont ici très beaux et moi, je les aime. C’est cet amour qui m’aide à les incarner sans les juger.
Q : Voulez-vous nous dire à travers ce film que les personnes gays sont des gens comme tout le monde, qui mènent une vie comme tout le monde ? A partir du moment où l’on aime, il n’y a pas de différences quelque soit la chose. Voulez-vous aussi nous montrer que ce n’est pas le sperme qui donne une famille mais le temps que l’on passe ensemble ? Est-ce que c’est le sens de votre film ?
Cholodenko : Oui, c’est vraiment l’esprit du film, c’est cela, de voir de quoi il s’agit. C’est en fait un mariage, une famille, une cellule familiale qui s’est créée, qui a longtemps vécu ensemble et qui a parfaitement partagé cette expérience d’accompagner les enfants dans une vie, de les élever, d’affronter les enjeux qui sont ceux des gens qui s’aiment et qui se déchirent et qui affrontent les conflits de la vie ensemble, au moment où il intervient un évènement extérieur qui vient s’immiscer dans ce cercle très uni. L’homme se sent en légitimité, qu’il a une place dans la vie de cette famille. C’est le rôle du personnage interprété par Annette de mettre les pendules à l’heure, de montrer que la cellule est là, qu’elle existe et qu’elle est bien constituée et que les parents d’un enfant sont ceux qui l’ont accompagné et qui lui ont tenu la main et ce sont ceux qui vivent avec les enfants et il n’est pas question nécessairement de parenté biologique mais d’avoir vécu ensemble, d’avoir traversé la vie ensemble.
Q : Annette, dans Mother and child et ce film que nous venons de voir, le rôle des hommes est d’une certaine manière perçu comme un rejet, voire vu comme des rôles secondaires. Lorsque que dans le premier film vous retrouvez votre enfant, cela ne correspond pas à l’idée que l’on s’en fait. Ici, Mark Ruffalo est la personne qui vient apporter le désordre dans la famille. La question que je voudrais vous poser est que, en tant que femme, est-ce que cette idée de concevoir la famille en dehors de la présence de l’homme est une nouvelle façon d’affirmer une sorte de matriarcat ?
Cholodenko : Tout d’abord, je n’ai pas vraiment ce sentiment. Ce n’est pas vraiment ma vision du monde de vouloir exclure les hommes de la famille et franchement j’ai tenu à ce que dans ce film, cela ne soit pas l’idée qui soit donnée. Il se trouve que la structure du film, l’intrigue, suppose que cela se clôt de cette manière. Mais la porte n’est pas fermée sur le personnage interprété par Mark Ruffalo. Si la porte est fermée, alors le verrou n’est pas tendu, il y a quelque chose qui est suggéré, c’est qu’une relation est possible entre ces enfants et cet homme, car après tout, ils méritent tous une relation à venir. Cet homme n’est pas rejeté, il est peut-être renvoyé provisoirement, mais ce n’est pas quelque chose de définitif. Loin de moi l’intention de vouloir exclure les hommes de mon film ou de l’univers familial.
Bening : Pour moi, c’est vraiment très intéressant de voir la façon dont vous vous appropriez dans votre interprétation un film, la manière dont vous le prenez à cœur. Pour moi, cela signifie que le film est bon quand on en fait une matière personnelle et qu’on le prend à ce point à cœur. Ce film a donc bien fonctionné. C’est ce qui s’est passé pour ce film, né de l’imagination de Lisa et de Stuart Blumberg et quand ils ont choisi de me solliciter pour ce rôle, j’ai reçu cette histoire et je me la suis approprié moi-même et c’est devenu très personnel pour moi. Maintenant, c’est intéressant de voir comment vous vous appropriez cette histoire et voir l’interprétation que vous en proposez. Je trouve que toutes les visions sont intéressantes et toutes les visions sont légitimes. Cela me surprend quand même un peu par rapport au film Mother and child peut-être, car moi, j’ai le sentiment que les hommes ont des rôles plutôt importants. Il y a le rôle de ce psychothérapeute, si lui n’était pas rentré dans la vie de mon personnage (Karen), elle n’aurait pas eu cette bascule et n’aurait pas pris l’orientation qu’elle a prise dans sa famille. De même pour le rôle de l’avocat incarné par Samuel L. Jackson, qui a un rôle très fort, très déterminant dans l’évolution des choses. J’ai une vision plus équilibrée entre les sexes peut-être que la vôtre. On peut donner aussi une interprétation un petit plus extérieur, en disant que très longtemps, le cinéma a traité les hommes comme des personnages essentiels, centraux et souvent la question a été posée de savoir pour quelles raisons les femmes n’ont pas de rôle plus important, pourquoi sont-elles toujours à l’arrière-plan dans des rôles secondaires, anecdotiques. C’est peut-être un juste retour des choses. Ces films-là, je pense ne cherchent pas à exclure des hommes, mais ce sont des films fait sur des femmes et qui racontent des histoires de femmes.
Q : Il y a un autre thème commun à ces deux films, c’est la quête des origines. Est-ce un hasard ou un débat qui est dans l’air du temps aux Etats-Unis, la législation n’étant pas la même selon les Etats ? En France, c’est un débat qui a des résonances, y compris politiques, car le droit des origines n’est pas encore reconnu.
Cholodenko : Non, je sais qu’il y a des pays où la législation à cet égard change. Je ne peux pas vous parler de Mother and child que je ne connais pas suffisamment pour répondre à la place de son réalisateur. Pour la question des donneurs de sperme, je sais que la législation a changé récemment en Angleterre et il me semblait qu’elle avait aussi changé ici. Pour ce qui est des Etats-Unis, les donneurs peuvent rester anonymes. A partir du moment où l’enfant atteint sa majorité, il peut faire la requête pour connaître son parent biologique, mais ils peuvent garder leur anonymat. Il n’est pas imposé par la loi de révéler leur identité. C’est une question qui, pour moi, s’est posée dans ma vie puisque j’ai avec ma partenaire un enfant grâce à un don de sperme. Cet enfant a maintenant quatre ans et demi. Au moment de l’écriture, la question s’est posée, car je me suis dit que le jour où mon enfant serait en âge de s’intéresser à son autre parent biologique, comment cela sera, comment je réagirai. Ce fut une espèce de fantaisie qui a été déclenché par une question personnelle et réelle.
Q : Comment avez-vous accueilli l’idée de cet hommage ? Quels films vous garderez dans votre mémoire ?
Bening : Pour ce qui est de l’hommage, je me sens vraiment ravie et très honorée d’être au centre de cet hommage, car il se trouve que les temps sont durs aujourd’hui pour le cinéma. Pas qu’aux Etats-Unis, mais partout dans le monde, nous sommes à une époque où il est difficile de faire des films de qualité, des films auxquels on est personnellement attachés, auxquels on croit. A cette époque-là, se retrouver dans un festival comme Deauville qui soutient le cinéma de qualité et le célèbre, c’est une grande joie et un grand honneur pour moi.
Q : Annette, dans Mother and child, on vous a vu vieillie. Dans ce film, vous êtes très masculine. Est-ce que, comme Emmanuelle Béart présidente de ce jury, qui n’a rien à faire de son image, c’est une étape pour vous ?
Bening : Je dois dire que pour moi, c’est vraiment le bonheur de ce métier de comédien, car il est celui qui vous permet d’incarner des personnages différents et de tomber amoureuse d’une histoire et de vous mettre au service de cette histoire. Pour moi, c’est tout l’intérêt du cinéma, mais aussi le cas au théâtre, avant que je ne vienne au cinéma. Il faut être au service d’une histoire et à travers une image que l’on essaye de donner de vous, sans s’attacher soi-même à cette image. J’espère que j’ai appris il y a déjà longtemps que nous n’avons aucun contrôle sur la façon dont les gens vous perçoivent. Il est complètement vain d’essayer de projeter une image que l’on jugerait soi-même bénéfique ou conforme à ce que l’on souhaite pour le rôle. Il faut se libérer de ce poids-là et se mettre au service d’une histoire. Cela c’est toute la joie, c’est tout le bonheur du métier de comédien, une impression assez répandue. Les gens croient que notre métier est assez sympathique et très drôle pour cela. C’est vrai que le bonheur de pouvoir incarner des personnes différentes finalement, c’est ce qui fait toute la joie. Le cinéma fait penser les gens, il cherche à les émouvoir ou tout simplement à les divertir. Vous-mêmes, vous vous laissez porter par ce propos commun sans chercher à savoir ce que les gens penseront de vous. Je sais que dans certains rôles, il est impossible de suivre ce que pense le public, de contrôler ou de prévoir cela. J’essaye tout simplement de me laisser aller à l’incarnation d’un rôle.
Q : L’hommage ici rendu à votre carrière a été l’occasion de vous voir dans des rôles extrêmement différents. Est-ce qu’il reste un rôle de votre vie que vous n’avez toujours pas incarné, qui reste encore à faire ? Par exemple, Sir Ian McKellen a pour rêve de jouer une femme et d’incarner un couple à l’écran avec Meryl Streep dans un film dans lequel elle ferait l’homme. Avez-vous un fantasme de ce type de rôle ?
Bening : Je trouve qu’Ian McKellen s’en sort avec une réponse magnifique. Je suis sûre qu’il est capable de le faire. Il se trouve que non seulement, c’est l’un des meilleurs acteurs vivants, mais aussi un ami, un être absolument délicieux. Je l’encourage à faire ce rôle dont il rêve. Pour ma part, quand j’ai commencé au théâtre classique, il y avait mon panthéon de rôles de répertoire que je voulais absolument aborder au point où j’en mourrais, si je ne le pouvais pas. Finalement non, j’ai très bien survécu et j’ai eu la chance d’incarner certains personnages. Aujourd’hui, il m’arrive encore de jouer des rôles du répertoire classique. Je le fais avec beaucoup de bonheur, mais je n’ai pas comme cela en tête un rôle auquel je tiens à tout prix.
Q : Une question pour toute l’équipe, y compris les producteurs qui ont été très patients et très silencieux : une des choses que je trouve formidable dans ce film est cet espèce de fait établi qu’il s’agit d’une famille type constituée de deux femmes d’âge moyen qui travaillent et qui ont une superbe famille avec deux très beaux enfants. C’est juste considéré comme quelque chose d’acquis. Je me demande si vous tous qui avez contribué à la réalisation de ce film, s’il y a quelques années, quand vous aviez l’âge qu’ont les enfants dans ce film, cela vous paraissait concevable qu’il y ait un film tout à fait accepté et courant pour le public, qui considère comme assez quelconque qu’une famille serait incarnée par deux mères et des enfants ?
Gary Gilbert : Je pense que c’est vraiment l’un des intérêts de ce film de montrer que c’est quelque chose d’acquis et ce film n’est pas un film démonstratif. Il ne vient pas porter un message, un ,discours sur la question. C’est l’histoire d’une famille. Il se trouve que cette famille est constituée par deux mères. Si la question est de savoir si lorsque j’avais l’âge de ces enfants, si une telle famille pouvait exister, je dirai que non, car à mon époque, cela ne faisait pas partie du paysage. Aujourd’hui, c’est une chose qui ne surprend plus, qui fait partie de notre paysage. C’est tout l’intérêt du film, car il arrive à un moment où ces choses-là se font. C’est considéré comme la toile de fond du film, sans qu’il y ait plus de démonstrations, de focalisation sur cet aspect particulier.
Jordan Horowitz : Moi qui suis tout petit et tout jeune, pour ma génération oui. J’ai eu l’âge de ces gamins dans les années 1980. Je pense que l’on est arrivé à l’âge adulte à un moment où tout cela devenait tout à fait acceptable et courant. C’est le contraire qui m’aurait choqué. Pour moi, c’est normal qu’un film comme celui-ci puisse se faire.
Q : On parle de tabous qui n’existaient pas à l’écran il y a dix ans, mais que l’on peut montrer maintenant. On a vu beaucoup de films qui parlaient de la famille, la recherche d’enfants. J’ ai l’impression que le cinéma américain est en train de changer. Ainsi, on montre tout sans différenciation. On brise des tabous : deux femmes qui vivent ensemble, un enfant qui décède.
Cholodenko : Personnellement, j’ai eu la tête dans le guidon pour faire mon film. Je n’ai pas pu prendre du recul pour regarder le paysage cinématographique de manière générale. Je laisse mes camarades répondre.
Annette Bening : Je crois vraiment que cela mérite que l’on fasse une étude poussée de la question de voir dans l’évolution de l’histoire, du récit, quel est le rôle de la famille. Est-ce vraiment si nouveau que cela de s’intéresser aux relations humaines et aux familles. Je crois que cela fait partie du mythe de l’humanité et de l’histoire du récit que de s’intéresser aux liens de sang. Je ne crois pas que cela soit nouveau. En revanche, ce qui peut être nouveau, c’est les raisons de financement d’un film. Aujourd’hui, l’argent qu’il faut pour faire un film pour le distribuer a amené des changements dans les termes de financement. Ces films qui avaient de grandes ambitions et qui doivent se faire à grande échelle, les films historiques, ceux qui avaient un propos beaucoup plus large ont laissé la place à des films plus intimes, qui traitent d’une vision extrêmement réaliste de l’histoire personnelle. Il suffit que quelques personnes soient réunies dans une pièce pour pouvoir le tourner et cela c’est parce que vous faites avec les moyens du bord, ce que vous pouvez faire avec peu de moyens. Vous pouvez aussi vous tourner vers des sujets plus modestes et plus intimes. On en parlait avec Lisa, cela nous donne une extrême liberté quand vous n’avez pas des studios qui sont derrière vous pour essayer, en raison des moyens investis, d’influencer votre scénariste, le réalisateur ou les acteurs en décidant de la tournure des choses, du dénouement du film. Cela vous donne une liberté réelle, cela vous permet de travailler dans des conditions qui autorisent l’éclosion du talent et de la création. Le produit fini correspond alors à la vision du réalisateur.