Entretiens - Helene Muddiman : Notre interview exclusive

Par Mulder, Edimbourg, Ecosse, 17 juin 2016

Q: Bonjour Héléne, que pouvez-vous nous dire au sujet du début de votre carrière chez EMI Records et Music Publishing et aussi de votre travail avec Hans Zimmer sur plusieurs musiques de films ?

Hélène Muddiman : J’ai signé à l’âge de 18 ans avec un groupe chez Emi. Notre musique était très tournée pop et nous la décrivions pour la presse comme de la musique punk gentillette parce que j’avais une coupe de cheveux Mohawk ! Cela signifiait que j’ai passé ma jeunesse à ce que des étrangers me demandent si le temps était venteux à l’extérieur. Je leur répondais que non et je glissais mes doigts dans les prises de courant. Hans Zimmer m’a donné un travail en 1994 comme chanteuse anglaise. Il me payait très bien pour trente minutes de travail pour enregistrer ma voix. Ainsi je suis devenue la voix de Helenya qui apparait dans de nombreux films. Je réalise maintenant que j’étais très naïve à l’époque et que je me suis écartée de plusieurs bonnes occasions en n’étant qu’une simple voix enregistrée. C’est pour cela que j’encourage les jeunes compositeurs et artistes à apprendre le maximum qu’ils peuvent sur l’industrie musicale.

Q: Vous avez travaillé avec John Powell sur Happy Feet 2 et l’Age de glace 4 et Danny Elfman sur Frankenweenie, vous avez aussi travaillé sur une série animée de Cartoon Network The Cramp Twins. Qu’aimez-vous dans le fait de travailler sur des films ou séries d’animations ?

Hélène Muddiman : C’est tellement varié. ! Une minute vous travaillez de manière minimaliste et la suivante avec un véritable orchestre mais aussi entre les deux. Cela peut être aussi très subtil ou très puissant cela dépend sur quoi vous voulez obtenir le plus d’émotions ou de pleurs. Il y a tellement de musiques différentes.

Q: Que pouvez vous nous dire au sujet de votre travail sur le film Bliss de la réalisateur Rita Osei ?

Hélène Muddiman : Ce fut un travail formidable. Rita a participé à l’écriture du scénario dans les passages dans lesquels elle vous fait utiliser la musique comme un instrument important pour raconter une histoire. Elle était très précise sur les nombreux détails de tous les éléments du film afin d’avoir plusieurs niveaux de lecteur, une sous lecture de l’histoire ce qui a rendu ce travail passionnant. Rita a compris l’importance d’avoir un réel orchestre avec lequel vous pouvez entendre le sang circuler dans les veines comme elle aime le dire. Nous avons pris une réelle fierté à trouver le budget nécessaire pour une musique de qualité et nous l’avons enregistré dans le cultissime studio New des studios Fox de Los Angeles (ville dans laquelle j’habite dorénavant). Cela fut magique d’être dans un studio avec différentes ethnies et des musiciens de toutes origines qui jouaient en parfaite synchro. Ils lisaient la musique et on l’enregistrait dès la première prise. Je ne peux pas décrire la puissante synergie qu’il y avait dans la salle d’enregistrer avec autant de talents et d’années de travail réunis. J’aimerais que beaucoup plus de compositeurs puissent revendiquer un budget plus important et le droit de travailler avec un vrai casting de musiciens. Les essais semblaient très bons mais nous nous inquiétions de ceux qui ne pouvaient pas faire la différence. Ce n’est jamais bon pour le monde de faire les choses les moins coûteuses possibles. C’est vraiment triste quand les compagnies de production et les chaînes de télévision n’apprécient pas la différence, les talents et l’investissement apportés à la création musicale utilisant de réels musiciens pour jouer de la musique avec des instruments chers parce que ces gens qui peuvent voir la différence font la meilleure musique possible. Rita a une réelle dextérité pour associer le temps pour l’action, les dialogues et la musique ce qui rend le travail du compositeur beaucoup plus simple tout le temps. Rita donne de l’espace au film pour respirer à travers le temps qu’elle accorde pour la musique.

Q: Quel est pour vous la meilleur endroit pour enregistrer des musiques de film et pour quelle raison ?

Hélène Muddiman : je pense personnellement que le système de paiements résiduels et de royalties est un système équitable. Si les projets fonctionnent bien les créateurs peuvent en tirer bénéfices. Si cela ne fonctionne pas chacun peut risquer un peu de son temps et de son talent. C’est pour cela que j’aime enregistrer mes compositions aux Etats-Unis car c’est plus rentré dans les mentalités. A travers de nombreux prestigieux studios le monde de la musique a périclité pour de mauvaises raisons. Dans cette âge d’or de la créativité dans laquelle la musique et le divertissement sont beaucoup plus consommés que jamais, à travers des médias comme youtube et Spotify sont en train de nous cambrioler notre héritage culturel. De la même manière quelques-uns sont entrain de profiter des créations disponibles et les partager grâce à des entreprises technologiques pour construire leur propre business sur le dos des créateurs ce qui entraîne que ces derniers sont payés au strict minimum. Il y a beaucoup d’argent qui est fait mais les résultats ne vont pas dans les bonnes poches. Il y a un mythe qui affirme que les gens ne veulent pas plus payer pour la musique. Ce n’est pas vrai ! La réalité des choses c’est qu’ils n’ont pas à payer pour écouter de la musique si des entreprises leurs permettent de contourner la loi et de payer pour cela. C’est pour cela notamment que les artistes Adele et Taylor Swift ne souhaitent pas que leur musique circule sur youtube et spotify et que les gens doivent l’acheter et cela leur rapporte des millions. Beaucoup de personnes ne réalisent pas que youtube se dissimule derrière les failles de la loi et que Spotify est en partie possédé par des compagnies de grands studios qui vendent leurs parts afin de créer des fortunes en abusant d’un système en place qui contrôle ce que nous gagnons. Le gouvernement des Etats-Unis autorise à réduire les droits de redistribution et étrangle de cette manière les compositeurs. Youtube affirme qu’il a reversé plus de trois billions de dollars sur les dix dernières années à l’industrie musicale mais ils ne diront pas que Google (auquel Youtube appartient) a réalisé plus de six cent billions de dollars sur la même période et cela avec 96% sur les profits des publicités. Cela représente plus de deux cents fois plus. Les gens ne savent pas cela et devraient arrêter de penser que la musique est maintenant gratuite. C’est ennuyeux. C’est le travail du gouvernement de protéger ces citoyens et d’éviter que leurs droits soient abusés et de protéger les créateurs du fait que leur travail soit utilisé de manière gratuite sur un marché sans compensation. Nous avons besoin d’un système ouvert et non d’un système gratuit. Les artistes sont en train de se conditionner à ce qui pourrait arriver et à réaliser qu’ils sont trompés par une propagande qui les éloigne de la réalité des choses. Ce n’est pas justement la manière dont la révolution technologique commence avec des abus considérables jusqu’à ce qu’un système correct soit mis en place. C’est justement cela qui existe avec les droits à la télévision et à la radio et les mécanismes de paiement. Les artistes de tout genre sont unis pour mettre en place un nouveau système sur internet. Celui-ci doit est démocratique car ils donnent aux utilisateurs et aux artiste le pouvoir sur leurs créations.

Q: Quel est votre meilleur souvenir sur votre travail sur la série Les jumeaux barjos (The Cramp Twins) ?

Hélène Muddiman : j’ai été tellement chanceuse d’avoir ce travail. J’avais fait un plan d’aller passer cinq mois à Los Angeles avec rien de plus que des rêves et de l’espoir. Avant de partir j’étais trop reconnaissante envers mon agent Karen Elliott de la compagnie Air Edel qui m’a obtenu un rendez-vous avec l’équipe de cette série à Londres. Ils m’ont proposé ce travail après avoir écouté ma musique. Cela signifiait que j’allais partir travailler à Los Angeles. J’ai essayé de leur vendre l’idée que cela ne m’embêtait pas d’être à des milliers de kilomètres de chez moi et d’être réveillé lorsqu’ils dormaient. Je pensais que je n’avais pas été retenue et ils m’ont dit que non que j’avais le poste et que c’était où se créait cette série que je devais être. C’est sûrement cela la définition de la chance. J’ai ainsi commencé à travailler dès le premier jour où je suis arrivée à Los Angeles et j’ai fini avec cinquante-deux épisodes justement le jour ou je devais repartir et pour lequel j’avais déjà mon billet d’avion. Ce fut un travail fabuleux avec une réalisatrice formidable Becky Bristow. Elle a durement combattu ma cause pour avoir plus de budget et plus d’excellents musiciens pour un poste que beaucoup d’autres compositeurs auraient pu avoir. J’ai adoré travailler avec elle et nous avons beaucoup ri. Nous sommes restées de bonnes amies. Elle est partie travailler dans une école d’animation en Chine pour de nombreuses années et nous sommes restées en contact via Skype même si nous ne travaillions plus ensemble.

Q: Quelle est pour vous la différence de travailler sur la musique d’un film , une série de télévision et sur une publicité ?

Hélène Muddiman : Il y a beaucoup de différences non seulement en terme de temps, de budget mais aussi de formats. Le temps accordé et les budgets proposés peuvent variés en fonction des équipes de production. Quelquefois la deadline est affolante sur certains genres. Les experts vous diront que dans certains cas vous devez piocher entre deux possibilités pas une méthode bon marché, une plutôt bonne ou enfin une rapide mais vous ne pourrez jamais compiler les trois. Je suis contente que la télévision et les jeux vidéo soient des médias de grande qualité. Nous avons perdu de nombreux films à moyen budget mais j’espère qu’ils puissent se multiplier et mieux récompenser ceux qui font ces films.

Q: Quels sont vos films préférés ?

Hélène Muddiman : il y en a beaucoup et cela dépend de l’état d’esprit dans lequel je suis. J’ai aimé les films Bienvenue Mister Chance (1980) de Hak Ashby et 12 hommes en colère de Sidney Lumet (1957) parce que leurs scénarios sont excellents. Les films 37°2 le matin de Jean-Jacques Beinex (1986) (musique de Gabriel Yared ) et Kingdom of Heaven de Ridley Scott (2005) (musique de Harry Gregson-Williams) car ils ont une excellent musique. Terminator 2 est l’un aussi de mes films préférés et montre une vision de notre futur si nous n’apprenons pas à l’intelligence artificielle l’humour, pauvres humains que nous sommes ! Sur la route de Madison de Clint Eastwood (1985) et Au fil de la vie de Garry Marshall (1988) sont des tires larmes fantastiques. Des films comme Grease de Randal Kleiser (1978) et Les Commitments d’Alan Parker (1991) sont fantastiques pour nous pousser à chanter. Wall-E d’Andrew Stanton (2008) est un formidable exemple pour l’apprentissage sans avoir à prêcher et un film familial intelligent. C’est rapide d’en déduire que je ne suis pas une fan des films d’horreur ce qui est faux car j’aime écrire la musique de films de ce type de films. Je préfère les thrillers aux films d’horreur.

Q: Avec quels réalisateurs aimeriez travailler et pourquoi ?

Hélène Muddiman : tous ceux qui font des bons films qui touchent le public et tous ceux qui s’intéressent aux musiciens et aux créateurs. Ceux-ci comprennent l’importance de créer un écosystème favorable.

Q: Que pouvez-vous nous dire au sujet de la musique que vous aimez et vous inspire ?

Hélène Muddiman : la musique m’inspire quand elle est tellement puissante qu’elle touche votre état d’esprit. Dans les films nous utilisons le pouvoir de manipuler l’audience. Ils vous disent quoi ressentir. La musique peut vous amener de fortes émotions ou vous les supprimer. Ils peuvent vous toucher ou vous ennuyer. C’est très subjectif de dire que les compositeurs de musique de films ont pour délicate mission d’essayer par tous les moyens de connecter le maximum de personnes dans le public autant que possible autant par leur musique mais aussi de servir l’histoire.

Q: Qu’aimez-vous dans le processus de création de musique de films ?

Hélène Muddiman : travailler avec une multitude de personnes créatives et talentueuses afin d’atteindre d’autres personnes tout autant créatives et talentueuses dans l’audience et dans le but de raconter des histoires qui peuvent les aider, les informer et les divertir.

Q: Quels sont vos projets en cours ?

Hélène Muddiman: d’autres films avec Rita, des séries de livres audio avec le brilliant réalisateur Benjamin Alfonsi et aussi de collaborer avec ProTechU sur le projet The Digital DNA Genome. Www.protechu.org

Q: Quelle est votre plus belle réussite à ce jour ?

Hélène Muddiman : d’être restée mariée, d’avoir deux enfants et d’avoir de si bons amis dans ce qui devrait être un business difficile.

Q: Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui aimerait devenir compositeur de musique de films ?

Hélène Muddiman : vous devez travailler comme une partie intégrale d’une communauté créatrice pas seulement pour vous-mêmes. Vous devez évaluer votre travail et celui des autres. Si vous pensez que Thomas Newman et John Williams devraient être payés pour écrire de la musique alors d’autres compositeurs méritent aussi de pouvoir gagner leur vie en écrivant de la musique. Je les encourage à se battre pour les droits des musiciens dans des temps cruciaux pour l’humanité. Finalement être chanceux aussi. Il faut être au bon endroit au bon moment avec les bonnes capacités et le bon équipement si vous n’abandonnez jamais et que vous avez fait le travail votre temps viendra aussi. Vous devez faire ce travail aussi longtemps que possible et aussi prendre soin de vous et profiter de la vie car celle-ci est ce que vous en faites et vous devez toujours le faire en vous amusant.

Credit photo : Ray Meese