Q : Bonjour, votre film commence à la façon d’un reportage. C’est un procédé très à la mode, comme on l’a vu avec Cloverfield ou avec REC. Pourquoi avoir choisi de faire cela pour le début de votre film et pourquoi ne pas avoir gardé ce procédé pour tout le reste du film ?
Neill Blomkamp : Disons en effet, s’il y a cet aspect que vous reconnaissez, ce n’est pas tant pour faire partie d’une mode ou de trouver une émulation dans une tendance, qu’il y aurait dans le cinéma. C’est uniquement parce que c’est un film de science fiction à part entière et je voulais que cela soit un film qui s’ancre dans le réel, que cela soit quelque chose d’assez réaliste et ancré dans le réel. Ce qui permettait de le faire, c’est d’avoir cette dimension presque documentaire de reportage. Pour répondre à la seconde partie de votre question, c’est vrai qu’il y a une sorte de basculement. On change de genre, mais c’est parce que l’on change aussi dans la façon dont l’histoire est racontée. Au début, il s’agit presque d’un compte rendu documentaire, alors que petit à petit on va vers une fiction, on va vers un récit. Quand on va vers un récit dans le compte tenu du fond, il fallait qu’il y ait un changement et cette nouvelle forme que je voulais, je ne pouvais la donner à travers un style documentaire.
Q : J’aurais voulu savoir comment vous avez eu cette idée pour le scénario ? On voit d’habitude l’inverse (les humains se crashent d’habitude sur d’autres planètes) et j’ai une autre question : comment expliquez-vous que les aliens et les humains arrivent à parler ensemble dans le même langage ?
Blomkamp : Pour la première question, il faut savoir que l’histoire, le désir de raconter cette histoire est partie de la ville de Johannesburg, où je tenais à faire un film de science fiction qui se situe dans cette ville d’Afrique du Sud. L’idée n’était pas de démarrer en partant des clichés des films de science fiction. Je voulais qu’au cœur du film, il y ait cette ville. Pour ce qui est de la question des langues, il faut connaître la réalité linguistique de ce pays. Dans ce pays, il y a onze langues officielles et c’est donc quelque chose d’assez banal de voir des personnes d’ethnies différentes qui se parlent chacun dans leur langue et la conversation passe. Il y a sept ou huit langues africaines en présence, la compréhension est là. C’est ce qui s’est passé pour ce personnage de bureaucrate africain qui est là, qui a suffisamment côtoyé ces personnes pour comprendre leur langue, mais qui répond dans la sienne.
Sharlto Copley : En effet, c’est bien comme cela que je l’ai ressenti. Mon personnage comprend ces extraterrestres, mais n’a pas la possibilité de s’exprimer dans leur langage physiologique.
Q : J’ai trois questions, deux pour le réalisateur et une à la scénariste. Pour le réalisateur, est-ce que son film n’est pas une métaphore de l’apartheid et du racisme, de la discrimination en général. Pour ma deuxième question, on sent une grande influence des fictions des années 1970 et notamment du cinéma de science fiction de Steven Spielberg, comme Rencontres du 3ème type. Enfin ma dernière question pour la scénariste, est-ce que dans son écriture elle a été influencée par des écrivains ?
Blomkamp : Pour ce qui est de l’apartheid, il y a en effet une dimension métaphorique dans mon film et s’il y a une analogie à relever, ce n’est pas seulement l’apartheid. C’est évidemment quelque chose qui nous marque tous dans nos expériences. Moi personnellement, j’ai été marqué par cela mais du côté blanc. Il y a cette question de séparation, de ghettoïsation, la population blanche est séparée et met à l’écart la population noire, mais il y a une autre dimension de la société africaine : cette xénophobie que l’on peut ressentir, qui est plus contemporaine, plus vive aujourd’hui et que moi, j’ai eu présent à l’esprit pendant tout le travail que j’ai pu faire pendant ce film. Cette xénophobie entre populations nous montre qu’il y a une population noire très pauvre qui vit dans ses bidons villes, qui font l’objet de discriminations et qui, eux-mêmes rejettent ces populations migrantes, considérées comme illégales et n’acceptent pas de partager leur conditions matérielles avec ces autres populations noires. C’est un thème que j’avais présent à l’esprit et que j’ai tenu à montrer dans ces différentes populations qui subissent cette discrimination dans le film. Pour ce qui est des influences que vous citez, Steven Spielberg à proprement parler, on ne me l’avait jamais dit. J’adore certes ses films, mais on n’avait pas fait ce rapprochement, à part une version gore de ET, je ne vois pas très bien. Je me reconnais plus dans les Alien, que cela soit celui de Ridley Scott ou surtout celui de James Cameron. Il y a un certain nombre de films de science fiction qui m’a nourri et qui m’a servi de base de travail, de source d’inspiration directe.
Terri Tatchell (scénariste) : Là aussi, je souhaiterais répondre sur les deux aspects. Tout d’abord pour ce qui est de la question de l’apartheid. Quand j’ai fait des recherches préalables à l’écriture du scénario, évidemment je me suis documentée sur l’histoire sociale et politique de l’Afrique du Sud, mais pas seulement. J’ai essayé d’élargir ce champ d’ étude et d’observation aux différents phénomènes d’oppression dans le monde. Je me suis intéressée aux combats des femmes, je me suis intéressée à la question de l’esclavagisme. J’ai essayé d’avoir des sources de réflexion et un champ plus large pour l’écriture de ce film. Pour ce qui est des influences, je pense que nous, au moment où nous travaillions, il nous tenait à cœur de ne pas répéter des choses que nous avions déjà vues et que l’on ne sente pas d’influence trop marquée dans ce film. Une fois que le film est fait, et que vous vous placez dans la situation du spectateur, vous êtes bien obligés de reconnaître que vous comparez ce film avec d’autres films que vous avez appréciés. Moi, enfant j’adorais ces films de science fiction, j’adorais voir les extraterrestres débarquer et comme beaucoup de personnes, j’ai vraiment appréciée ET et on peut trouver des analogies, des similitudes qui ne sont pas conscientes ou intentionnelles. On est tous marqués par des choses de notre enfance comme spectateurs.
Q : Tout d’abord je tiens à vous féliciter pour le succès rencontré par votre film sur le territoire américain. La presse américaine annonce que ce film est premier au box-office et je trouve que c’est suffisamment remarquable pour être dit ici et pour vous en féliciter. J’aimerais savoir si vous, qui avez monté de toutes pièces et porté à bout de bras ce film et avoir rencontré un tel succès si large, si vous avez des conseils, des trucs à dire à de jeunes réalisateurs. Comment faire pour vous retrouver à Deauville et que votre film fonctionne ?
Blomkamp : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour vos félicitations. Je n’ai pas encore eu l’occasion de dire à quel point on était ravis d’être à Deauville et reçu comme cela dans ce festival. En plus, j’adore beaucoup cette ville. C’est un grand plaisir d’être dans cette ville et avec vous ici et de vous présenter ce film dans le cadre de ce festival. Pour ce qui est des conseils que je pourrais donner : le film, c’est vrai, est premier au box-office, c’est génial, on est très heureux de ce succès, mais moi, ce que je ressens à chaque fois, c’est que je reste la même personne, je n’ai pas changé, je veux continuer à vouloir mener des projets à bien. C’est mon premier film et il fonctionne bien. J’aimerais bien faire un deuxième film et me battre pour que mes projets avancent. A ce titre là, l’attitude que j’ai toujours eu, c’est que quoi qu’il arrive, il faut juste prendre une caméra et sortir filmer. Dans mon métier, il ne faut pas se laisser abattre, ne pas se laisser décourager, juste faire le travail que l’on a à faire en prenant une caméra et en commençant à filmer. Cela dépend dans quel champ du cinéma on pratique. Si vous êtes scénariste, vous prenez un papier et un stylo et vous écrivez autant que vous voulez et peu importe l’écho immédiat ou non que cela aura. Quand vous êtes un réalisateur, c’est plus compliqué, car il ne faut pas que du papier et un stylo, il faut une caméra et si vous n’avez pas de caméra, il faut en emprunter une à un de vos proches. C’est comme cela que j’ai agi dès le début et que je continue à travailler.
Q : J’ai deux questions : la première pour le réalisateur sur la forme du film. C’est un film où on en prend plein les yeux et plein les oreilles, c’est très démonstratif parfois. Donc j’aurais aimé savoir si dès le départ, on se pose la question de ce que l’on va montrer et que l’on s’autorise à montrer ou pas ? J’ai aussi une question pour le comédien, comment rentre-t-on dans la peau d’un personnage mi-alien, mi-homme et comment vous avez vécu cette transformation intérieurement et quelle préparation vous avez dû faire ?
Blomkamp : C’est intéressant la question que vous me posez et que l’on en prend plein la vue. Il se trouve que cela doit venir tout seul, je ne me le suis pas formulé directement. Je suis un homme d’images. En qualité de réalisateur, je ne peux pas dire que je suis quelqu’un qui vient du théâtre et qui a une expérience particulière dans la direction d’acteurs. Je me considère comme un artiste visuel et c’est ce qui m’a porté dans ce film. J’ai conçu ce film comme quelque chose de très visuel. J’ai mis une attention toute particulière dans la conception graphique et visuelle de chacun des éléments qui constituent ce film. Que ce soient des soldats, des hommes, les armes utilisées : j’ai vraiment tenu à ce que chaque détail soit porté à l’aspect visuel et à l’imagerie en fait de ce film. C’est dans cet esprit là que j’ai fait ce film. C’est aussi le travail que j’ai fait pour ce qui est de la conception sonore. J’ai porté une grande attention aux détails et une complexité, une espèce de richesse qui donne cette impression de pléthore, d’images et de sons que vous avez ressenti.
Copley : Je n’envisageais pas du tout une carrière d’acteur. Avant d’avoir fait ce film, je n’étais pas un acteur. Je ne sais pas si je peux vraiment vous donner une idée de mon expérience d’acteur en tant que tel. J’ai toujours travaillé sur la voix, ce qui m’a sûrement aidé à appréhender ce personnage-là. J’ai nourri mon personnage des personnes de mon entourage. Je l’ai vu comme un stéréotype avec sa façon de parler, son débit, ses habitudes de parole et de langue. Cela a commencé comme cela. En me basant sur ce personnage vocal et oral, petit à petit s’est posé la question de la posture, de ce que son corps représentait. Ce que je peux en dire, c’est que ce personnage est abattu par la situation. C’est quelqu’un qui se laisse complètement emporter et détruire. Son corps est marqué par ce désarroi. Avec le maquillage et les prothèses, il suffisait que je me regarde dans une glace pour voir la pénible situation dans laquelle était ce personnage et le voir se détruire de l’intérieur.
Q : J’aimerais que le réalisateur me parle du ghetto. En a-t-il trouvé un qui existait déjà ? Je n’ai pas beaucoup d’imagination, mais il y a un seul enfant dans le film. J’aimerais savoir s’il est le seul et s’il est venu avant les vingt ans ou s’il y a d’autres enfants, mais que nous ne les voyons pas ?
Blomkamp : Pour ce qui est du ghetto, de ce bidonville, il est bien existant. On est parti en repérage avec un hélicoptère et nous avons vu cet endroit désolé, terrible. C’est un quartier difficile de Soweto, où l’Etat commence tout juste de faire partir la population pour les reloger dans des maisons, mais encore il n’y a qu’une partie qui le font. Ce que nous avons fait, c’est que pour la partie des bidonvilles, on a demandé à l’Etat de les louer et on les a reconstitués et cela nous a servi de décors pour deux mois. C’est un décor authentique. Pour ce qui est de la question des enfants, figurez-vous que ces enfants-là coûtent chers, donc nous n’avons pas eu le budget nécessaire pour en faire plus d’un. Pour les enfants alien, c’est le seul que nous pouvions nous permettre. Pour les enfants humains, il existe des scènes magnifiques avec le personnage de Charlto et les enfants excités par ce tournage dans ce bidon ville. Il existe des images très belles que nous n’avons pas pu utiliser dans ce film. A posteriori, quand je vois le film, je me dis que cela manque et que cela aurait été bien de voir la vie qu’insufflent les enfants à ce groupe.