Festivals - The American French Film Festival 2025 : La fête est finie – Quand la satire met à nu les failles du privilège

Par Mulder, Los Angeles, Hollywood, Directors Guild of America Theatre, 02 novembre 2025

Projecté le 2 novembre au Directors Guild of America Theatre de Los Angeles, La fête est finie (Classe moyenne) a été l'une des projections les plus marquantes du Festival du film français américain 2025. Présenté dans la section Compétition cinéma avant une conversation avec Élodie Bouchez, le film d'Antony Cordier a proposé une exploration caustique et sombrement comique des tensions sociales qui a trouvé un écho universel auprès du public. Sa première mondiale à la Quinzaine des Cinéastes lors du Festival de Cannes 2025 l'avait déjà imposé comme l'une des satires sociales les plus audacieuses de l'année, mais à Los Angeles, sa résonance s'est faite plus forte, peut-être en raison des contrastes entre glamour et précarité qui caractérisent la ville. Le cinéma de Cordier, qui oscille depuis longtemps entre tendresse et ironie, trouve dans Classe moyenne une nouvelle dimension : un champ de bataille moral où coexistent empathie et cruauté, faisant écho à la tradition satirique italienne et à l'esprit de Claude Chabrol.

Au cœur de cette production franco-belge se trouve Sami Outalbali dans le rôle de Mehdi El Glaoui, un jeune avocat d'affaires qui passe l'été dans la villa familiale de sa fiancée, pour se retrouver à jouer le rôle de médiateur entre le clan bourgeois fortuné de celle-ci et le couple de gardiens, Tony et Nadine Azizi, interprétés avec une profondeur surprenante par Ramzy Bedia et Laure Calamy. La situation, d'une simplicité trompeuse, dégénère rapidement en chaos lorsque les ambitions personnelles, les ressentiments de classe et les egos fragiles s'affrontent. Antony Cordier, qui a coécrit le scénario avec Jean-Alain Laban, Steven Mitz et sa collaboratrice de longue date Julie Peyr, construit cette farce sociale avec une précision chirurgicale. Chaque échange devient une négociation, chaque silence un jeu de pouvoir. C'est un film de masques et de miroirs où personne n'écoute vraiment et où tout le monde complote pour s'élever au-dessus de sa condition, que ce soit par cupidité, par honte ou par désir de respectabilité.

Le réalisateur, qui avait déjà exploré la jeunesse et le désir dans Douches froides et Happy Few, adopte ici une forme d'observation plus froide. « La satire permet la cruauté », confie-t-il dans le dossier de presse du film. « C'est le plaisir de la comédie italienne, qui révèle la véritable violence des relations sociales. » Cette violence n'est pas physique mais psychologique, une corrosion insidieuse qui ronge à la fois les privilèges et la pauvreté. Mehdi, un « transfuge de classe », incarne l'expérience personnelle de Cordier, issu d'un milieu ouvrier et qui tente de se frayer un chemin dans les sphères élitistes. Ses beaux-parents, interprétés par Laurent Lafitte et Élodie Bouchez, incarnent une sorte d'hypocrisie morale que le réalisateur dissèque avec un humour caustique. Philippe, interprété par Lafitte, est un avocat satisfait de lui-même, peut-être le menteur le plus honnête du film : vaniteux, manipulateur et conscient de sa propre corruption. Bouchez, en revanche, incarne une fragilité glaciale et une rage refoulée, son jeu équilibrant élégance et mépris discret.

C'est la dynamique entre le couple Azizi et leurs employeurs qui donne toute sa tension à The Party's Over. Cordier admet s'être inspiré de sa propre famille, en particulier de son oncle plombier et de sa mère coiffeuse, pour créer les personnages des Azizis. La physicalité de Ramzy Bedia – la présence constante d'un corps « trop visible, jamais tout à fait caché », comme le décrit le réalisateur – ajoute une couche de malaise, rappelant aux spectateurs que la classe sociale se manifeste non seulement dans le discours, mais aussi dans les gestes, la peau et la sueur. Laure Calamy, dans le rôle de Nadine, apporte vitalité et imprévisibilité au film. Elle oscille entre pathos et autorité, et ses scènes de comédie physique improvisée – comme le célèbre moment du jacuzzi avec Élodie Bouchez – soulignent le talent de Cordier pour transformer les frictions sociales en une intimité brute, parfois absurde.

La fête est finie tire son rythme non seulement de ses dialogues, mais aussi de la maison dans laquelle se déroule l'essentiel de l'histoire. Tourné à Castillon-du-Gard et à Nîmes, l'architecture de la villa, un labyrinthe en forme d'escargot, reflète le thème central du film : l'enfermement dans le mouvement circulaire de la lutte des classes. Tout coule et déborde ici : les émotions, l'eau, le pouvoir. La cinématographie de Nicolas Gaurin utilise ces courbes pour renforcer le sentiment d'étouffement, tandis que le montage de Camille Toubkis maintient un rythme soutenu, comme si les murs eux-mêmes se refermaient.

La musique du film joue un rôle essentiel dans l'équilibre de sa complexité tonale. Cordier a travaillé en étroite collaboration avec Clémence Ducreux, dont il a découvert les compositions par hasard sur Deezer. Mêlant ses thèmes mélancoliques et ironiques à des morceaux électroniques de Sascha Funke, Boris Brejcha et Thylacine, la bande originale établit un dialogue entre le classique et l'électro, écho musical du fossé générationnel et culturel au cœur du film. Ces « fugues », comme les appelle le réalisateur, capturent la répétition et le piège des ambitions de ses personnages, faisant du rythme une forme de commentaire social.

Le retour de Cordier à la Quinzaine des Cinéastes vingt ans après Douches froides est à la fois nostalgique et triomphal. À l'époque, il était un jeune cinéaste avec des acteurs inconnus et un petit budget ; aujourd'hui, il dirige une distribution de talents confirmés, mais son regard reste imperturbable. The Party's Over refuse tout réconfort moral : ses personnages sont tous monstrueux à leur manière, et pourtant douloureusement humains. Dans son univers, tout le monde veut « changer » – son statut, son image, son destin – mais chaque tentative ne fait que révéler des contradictions plus profondes. La satire est mordante parce qu'elle est véridique, et le rire est teinté d'inquiétude.

À Los Angeles, la projection s'est terminée par des applaudissements nourris et une discussion animée menée par Élodie Bouchez, qui a évoqué sa longue collaboration avec Cordier et le défi que représentait l'interprétation d'un personnage aussi fragile et critique. Le public, composé de cinéphiles et de professionnels du cinéma, semblait captivé par le caractère universel de l'histoire, même au-delà des océans. Sous le soleil de la Côte d'Azur et les projecteurs d'Hollywood, The Party's Over tend un miroir aux sociétés fondées sur l'apparence, où chacun prétend avoir mérité sa place, mais où personne ne sait vraiment plus ce que cette place signifie. C'est une dissection acérée et élégante du mythe de la méritocratie, racontée avec un humour aussi incisif que divertissant.

Synopsis :
Mehdi avait prévu de passer un été tranquille dans la somptueuse villa de ses beaux-parents. Mais dès son arrivée, un conflit éclate entre la famille de sa fiancée et le couple qui s'occupe de la villa. Issu d'un milieu modeste, Mehdi pense pouvoir négocier entre les deux parties et ramener tout le monde à la raison. Cependant, les choses ne font qu'empirer...

Classe moyenne
Réalisé par Antony Cordier
Écrit par Jean-Alain Laban, Steven Mitz, Antony Cordier, Julie Peyr
Produit par Pauline Attal, Julien Madon
Avec Laurent Lafitte, Élodie Bouchez, Laure Calamy, Ramzy Bedia, Sami Outalbali, Noée Abita, Mahia Zrouki, Ryad Ferrad, Candide Sanchez
Photographie : Nicolas Gaurin
Montage : Camille Toubkis
Musique : Clémence Ducreux, Sascha Funke, Boris Brejcha, Thylacine
Sociétés de production : Cheyenne Federation, Umedia, SOFICA LBPI 18
Distribution : Tandem (France)
Dates de sortie : 19 mai 2025 (Festival de Cannes 2025), 24 septembre 2025 (France)
Durée : 95 minutes

Photos et vidéo : Sophie Janinet / Mulderville