Premiere - La Petite Dernière : une avant-première à la Cinémathèque placée sous le signe de l’émotion et de la liberté

Par Mulder, Paris, La Cinematheque, 20 octobre 2025

Il y avait une tension douce et contenue, ce lundi 20 octobre 2025, à la Cinémathèque Française. Hafsia Herzi venait y présenter en avant-première La Petite Dernière (The Little Sister), son troisième long métrage, déjà auréolé d’un parcours exceptionnel depuis sa présentation au Festival de Cannes 2025, où il avait remporté la Queer Palm et le Prix d’interprétation féminine pour Nadia Melliti. La séance, suivie d’une discussion avec la réalisatrice et ses comédiennes notamment Nadia Melliti, Ji-Min Park et Amina Ben Mohamed , a pris des allures de confession publique, tant le film, à la fois pudique et incandescent, touche à des zones rarement explorées au cinéma français : la foi, le désir, la famille et la quête d’identité d’une jeune femme qui cherche à se réconcilier avec elle-même.

Adapté du roman autofictionnel de Fatima Daas, publié en 2020 sous le titre La Petite Dernière, le film suit Fatima, 17 ans, la benjamine d’une famille d’origine algérienne vivant en banlieue parisienne. Bonne élève, curieuse et discrète, elle intègre une faculté de philosophie à Paris et découvre un monde nouveau où tout semble possible — sauf peut-être être pleinement soi-même. Entre sa foi musulmane, son éducation et ses désirs naissants pour les femmes, elle se retrouve tiraillée entre ce qu’elle croit devoir être et ce qu’elle devient. Sous les traits de Nadia Melliti, Fatima apparaît comme un personnage d’une vérité rare, à la fois forte et fragile, tiraillée mais lumineuse. À ses côtés, Park Ji-min, révélée par Retour à Séoul de Davy Chou, incarne Ji-Na, la jeune femme dont Fatima tombe amoureuse, avec une intensité et une douceur qui confèrent à leur relation une puissance émotionnelle saisissante.

Hafsia Herzi, après Tu Mérites un Amour et Bonne Mère, signe ici son œuvre la plus aboutie, la plus intérieure. Sa mise en scène privilégie la proximité, la sincérité du regard. La caméra de Jérémie Attard, souvent portée à l’épaule, capte les gestes simples, les silences, les respirations, les regards. La première scène — les ablutions, la prière — donne le ton : la foi n’est pas ici un obstacle mais un ancrage. La réalisatrice filme la spiritualité comme un espace d’apaisement, pas de contrainte. “C’est son quotidien, c’est ce qui la construit, c’est ce qui la rend libre”, expliquait Hafsia Herzi après la projection. Par ce geste inaugural, le film choisit l’intimité comme terrain politique.

L’adaptation, qu’elle a écrite seule à partir du roman de Fatima Daas, s’est voulue libre mais respectueuse. “Je voulais garder son âme”, confie-t-elle dans le dossier de presse. Fatima Daas a été consultée tout au long du processus, lisant les versions successives du scénario, participant aux choix de casting. Hafsia Herzi s’est nourrie de témoignages, de rencontres, de soirées passées dans des bars lesbiens pour comprendre, sans fétichiser, la réalité qu’elle voulait raconter. Ce travail d’immersion confère au film une justesse rare : chaque scène sonne vrai, chaque regard pèse. Le choix de tourner avec plusieurs comédiens non-professionnels, la direction d’acteurs fondée sur la confiance et la répétition, la réduction de l’équipe technique sur le plateau : tout vise à recréer la vérité du quotidien, à effacer la distance entre caméra et réalité.

Le rôle de Fatima a d’ailleurs été confié à Nadia Melliti, une découverte que la réalisatrice décrit comme “un coup de foudre artistique”. Sans expérience, l’actrice s’impose avec une force instinctive, une compréhension immédiate de son personnage. Sa performance, récompensée à Cannes, habite littéralement le film. À travers elle, Fatima devient le miroir d’une génération en quête d’équilibre entre loyauté familiale et liberté individuelle. Face à elle, Park Ji-min apporte un contrepoint lumineux, une respiration, une ouverture vers le monde. Leur alchimie à l’écran, immédiate, transcende les mots.

Sur le plan visuel, La Petite Dernière épouse les saisons pour accompagner le chemin intérieur de Fatima. Hafsia Herzi a choisi de tourner en deux temps — hiver et printemps — pour que le temps, la lumière et la nature participent au récit. Les décors de Diéné Bérété et les costumes de Caroline Spieth reconstituent avec minutie la vie domestique de la famille, entre chaleur et promiscuité, amour et étouffement. La mère, figure centrale, cuisine vraiment pendant les scènes — détail que la cinéaste revendique comme symbole de vérité. Le montage précis de Géraldine Mangenot et la musique subtile d’Amine Bouhafa, inspirée d’une boîte à musique d’enfance, prolongent cette émotion discrète et continue qui traverse le film.

Mais La Petite Dernière est aussi, profondément, un acte de courage. Le projet a rencontré des résistances, notamment au moment du casting : certains refusant de participer à un film traitant d’homosexualité dans un contexte musulman. Loin de se décourager, Hafsia Herzi y a vu une raison supplémentaire de mener le projet à terme. “Je savais que c’était nécessaire”, dit-elle. Le film ne cherche pas à provoquer, mais à réparer. Il ne juge pas, il éclaire. Il ne revendique pas, il écoute. Il montre une jeune femme qui veut simplement exister “égale parmi les égaux”, pour reprendre la formule d’Étienne de La Boétie que Hafsia Herzi cite pour définir son intention.

Produite par Julie Billy et Naomi Denamur pour June Films, en coproduction avec Vanessa Ciszewski (Katuh Studio), Arte France Cinéma et ZDF/Arte, La Petite Dernière s’impose comme une œuvre à la fois intime et universelle, politique et poétique. Sa justesse vient de sa modestie, sa puissance de sa sincérité. C’est un film qui ne se regarde pas de haut mais de près, à hauteur de regard, à hauteur de cœur.

À la fin de la projection à la Cinémathèque, après quelques secondes de silence, le public s’est levé. Les applaudissements ont rempli la salle, non pour saluer un simple film, mais pour remercier un geste — celui d’une réalisatrice qui ose parler d’amour et de foi avec vérité et douceur. La Petite Dernière, qui sortira en salles le 22 octobre 2025, distribué par Ad Vitam, est une invitation à repenser ce que signifie être soi, à aimer sans renier, à croire sans s’effacer. Un film lumineux, nécessaire, et profondément humain.

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Synopsis : 
Fatima, 17 ans, est la petite dernière. Elle vit en banlieue avec ses sœurs, dans une famille joyeuse et aimante. Bonne élève, elle intègre une fac de philosophie à Paris et découvre un tout nouveau monde. Alors que débute sa vie de jeune femme, elle s’émancipe de sa famille et ses traditions. Fatima se met alors à questionner son identité. Comment concilier sa foi avec ses désirs naissants ?

La Petite Dernière
Écrit et réalisé par Hafsia Herzi
D'après The Last One de Fatima Daas
Produit par Julie Billy, Naomi Denamur
Avec Nadia Melliti, Park Ji-min, Amina Ben Mohamed, Rita Benmannana, Melissa Guers
Directeur de la photographie : Jérémie Attard
Montage : Géraldine Mangenot
Musique : Amine Bouhafa
Sociétés de production : June Films, Katuh Studio, Arte France Cinéma, ZDF/ARTE, MK Productions, MK2 Films
Distribution : Ad Vitam (France)
Dates de sortie : 16 mai 2025 (Cannes), 22 octobre 2025 (France)
Durée : 106 minutes

Photos et video 4K: Boris Colletier / Mulderville