
Le 12 septembre 2025, le Centre international de Deauville a accueilli une projection spéciale en avant-première de The Chronology of Water, le premier film très attendu de Kristen Stewart, qui en est également la co-scénariste. L'événement, auquel ont assisté Kristen Stewart elle-même ainsi que les producteurs Charles Gillibert et Maggie McLean, était chargé d'une forte attente. L'atmosphère dans la salle semblait vibrer de curiosité : la transformation d'une actrice célèbre en cinéaste adaptant l'un des mémoires littéraires les plus viscéraux de la dernière décennie n'était pas une mince affaire. Dès les premières images, le film s'est révélé être une tempête sensorielle, intime, fracturée et profondément humaine. Il ne s'agissait pas simplement d'une adaptation du livre autobiographique de Lidia Yuknavitch, mais d'une immersion dans la topographie physique et émotionnelle de la survie, de l'art et de la féminité.
The Chronology of Water raconte l'histoire d'une jeune femme, Lidia, qui grandit dans un environnement empoisonné par la violence et l'alcoolisme. Elle fuit sa famille, trouve refuge dans la littérature et finit par se redécouvrir à travers la natation et l'écriture. Le récit se déroule comme un courant – non linéaire, chaotique, vivant – reflétant le rythme même de la mémoire. Alors que l'histoire de Lidia oscille entre douleur et libération, le film devient moins une biographie qu'un acte de réappropriation. Kristen Stewart et le co-scénariste Andy Mingo s'affranchissent de la structure narrative traditionnelle, choisissant plutôt de laisser les émotions dicter la forme. Chaque scène semble à la fois brute et sculptée, chaque coupure guidée par le rythme de l'expérience plutôt que par la chronologie. Tourné en 16 mm par le directeur de la photographie Corey C. Waters, le film a une texture tactile, respirante, presque humide. Le grain de la pellicule renforce l'idée que la mémoire, comme l'eau, est à la fois insaisissable et impossible à contenir.

Au cœur du film se trouve la performance époustouflante d'Imogen Poots, qui incarne Lidia Yuknavitch de l'adolescence à l'âge adulte. Elle ne joue pas le traumatisme, elle l'habite, portant son personnage à travers des années de douleur, de honte et d'éveil avec une férocité tranquille. Son physique, son regard, même sa respiration semblent liés au rythme du film. Autour d'elle, une distribution solide apporte profondeur et contraste : Thora Birch dans un rôle maternel, Earl Cave dans un contrepoint fragile, Kim Gordon dans un rôle de mentor presque fantomatique et Jim Belushi dans un rôle paternel menaçant. Les paysages du film, tournés entre la Lettonie et Malte, oscillent entre l'austérité froide du passé et l'étendue scintillante de la mer, comme si la géographie elle-même devenait le miroir de l'esprit.
Il a fallu près de huit ans à Kristen Stewart pour donner vie à ce film. Elle a découvert les mémoires de Lidia Yuknavitch en 2017 et y a immédiatement reconnu le reflet de sa propre agitation artistique. Ce qui l'a fascinée, ce n'est pas seulement l'histoire, mais aussi la structure : un récit fragmenté et non linéaire qui refuse de mettre de l'ordre dans le traumatisme. La réalisatrice a passé des années à réécrire, remodeler et sculpter le scénario pour en faire quelque chose d'aussi neurologique et éphémère que la mémoire elle-même. Elle a souvent décrit son approche comme un processus d'abandon, laissant l'histoire trouver sa forme plutôt que de lui en imposer une. Chaque image porte en elle ce sentiment de découverte. Le montage d'Olivia Neergaard-Holm et la bande originale envoûtante de Paris Hurley, supervisée par Alexandra Eckhardt, fusionnent l'image et le son en quelque chose de viscéral, où l'émotion coule à travers le rythme plus que le dialogue.

Dès sa conception initiale, The Chronology of Water a été conçu non pas comme un récit raffiné, mais comme une confrontation — avec la honte, avec le silence, avec le corps. Kristen Stewart a qualifié l'expérience féminine de « grand secret », quelque chose que des générations ont appris à cacher. Son film cherche à dévoiler ce secret, non pas à travers le mélodrame, mais à travers les sensations. La conception sonore est immersive et physique, le montage précis et rythmé, créant un flux presque aquatique qui pousse le public à ressentir plutôt qu'à simplement observer. L'utilisation de l'eau dans le film, parfois douce, parfois violente, reflète la double nature de la guérison : purification et suffocation entremêlées. Le résultat est une expérience cinématographique qui se ressent autant qu'elle se voit, où le traumatisme n'est pas une fin en soi, mais un passage vers une renaissance artistique.
La présence des producteurs Ridley Scott, Michael Pruss, Yulia Zayceva et Charles Gillibert a permis au projet de prendre son essor après des années de frustration. Le financement a été assuré par Scott Free Productions, avec un mélange de partenaires internationaux, ce qui rappelle que même l'art personnel nécessite un réseau de croyances. Ce qui ressort toutefois, c'est à quel point ce film reste profondément personnel malgré son ampleur. L'héritage artistique de Kristen Stewart, qui a travaillé avec Olivier Assayas sur Personal Shopper et Pablo Larraín sur Spencer, se ressent dans sa confiance face à l'ambiguïté et au silence. Pourtant, The Chronology of Water semble être entièrement le sien : un collage de souvenirs, de douleur et d'instinct cinématographique façonné en quelque chose d'émotionnellement bouleversant.

La réaction du public a reflété cette charge émotionnelle. Lors de sa première au Festival de Cannes 2025 dans la section Un Certain Regard, le film a reçu une ovation debout de six minutes et demie. Les critiques l'ont qualifié d'audacieux, controversé, mais indéniablement vivant. Au moment de sa présentation à Deauville, sa réputation le précédait : 93 % d'avis favorables sur Rotten Tomatoes, 76 sur Metacritic, et de nombreuses mentions comme l'un des débuts les plus audacieux de l'année. L'accueil réservé au film à Deauville, suivi d'une séance de questions-réponses réfléchie, a confirmé ce que Cannes avait laissé entendre : Kristen Stewart n'avait pas seulement réalisé un film, mais aussi fait une déclaration d'intention.
Au cours de la discussion à Deauville, le public a semblé frappé par l'honnêteté des réflexions de Kristen Stewart. Elle a parlé des défis de la production, des années d'attente et de réécriture, de l'apprentissage de la mise en scène comme un acte d'écoute plutôt que de contrôle. Ce qu'elle a découvert au cours de ce processus, c'est une sorte d'humilité artistique, une volonté de laisser parler l'imperfection. Sa collaboration avec Imogen Poots a joué un rôle central dans cette évolution ; toutes deux, d'âge similaire, se sont retrouvées à revisiter certaines parties de leur propre vie à travers l'acte de réalisation cinématographique. La réalisatrice a décrit cette expérience non pas comme une narration, mais comme un échange de vérité, une reconnaissance partagée que raconter son histoire, c'est se réapproprier son pouvoir.

La sortie française prévue le 15 octobre 2025, sous la bannière Les Films du Losange, prolongera la vie du film au-delà du circuit des festivals. Il divisera probablement le public — sa structure fragmentée et son sujet brut ne sont pas conçus pour mettre à l'aise — mais c'est précisément ce qui lui donne tout son poids. La Chronologie de l'eau n'est pas un film qui cherche à plaire, mais à libérer. Ce faisant, il tient la promesse que Kristen Stewart a laissée entrevoir tout au long de sa carrière d'actrice : l'instinct de trouver la vérité dans l'inconfort, d'affronter plutôt que de dissimuler.
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Synopsis :
Ayant grandi dans un environnement ravagé par la violence et l'alcool, la jeune Lidia lutte pour trouver sa voie dans la vie. Elle parvient à échapper à sa famille et s'inscrit à l'université, où elle trouve refuge dans la littérature. Peu à peu, les mots lui offrent une liberté inattendue...
The Chronology of Water
Réalisé par Kristen Stewart
Écrit par Kristen Stewart, Andy Mingo
Basé sur La chronologie de l'eau de Lidia Yuknavitch
Produit par Ridley Scott, Charles Gillibert, Yulia Zayceva, Max Pavlov, Svetlana Punte, Michael Pruss, Rebecca Feuer, Kristen Stewart, Maggie McLean, Dylan Meyer, Andy Mingo
Avec Imogen Poots, Thora Birch, Earl Cave, Kim Gordon, Jim Belushi
Directeur de la photographie : Corey C. Waters
Montage : Olivia Neergaard-Holm
Sociétés de production : Scott Free Productions, Forma Pro Films, CG Cinéma, Nevermind Pictures, Fremantle, Curious Gremlin, Lorem Ipsum Entertainment, Scala Films
Distribution : Les Films du Losange (France)
Date de sortie : 16 mai 2025 (Cannes), 15 octobre 2025 (France)
Durée : 128 minutes
Photos et vidéo : Boris Colletier / Mulderville