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Q : Comment avez-vous été contacté pour ce festival des Musiques à l’image ? Pourquoi avez-vous accepté de venir ?Hans Zimmer : Ils m’ont envoyé un email l’année dernière, j’étais en train de travailler sur un film. Ils m’ont demandé si cela me disait de venir à Paris et j’ai répondu que oui. Avec Marco [Beltrami], nous sommes voisins et amis.
Q : Avez-vous commencé à travailler sur « Man of Steel » ?Zimmer : C’est sur quoi je travaille actuellement.
Q : Que pouvez-vous nous en dire ? Quel sera le thème ? Comment sera la musique ?Zimmer : Je ne peux pas vous le dire, car je ne le sais pas moi-même. Pour le moment, j’expérimente des choses.
Q : Comment c’est de travailler avec Zack Snyder ?Zimmer : Il veut que je vienne avec des idées. Il existe une conception selon laquelle un réalisateur dit au compositeur ce qu’il doit faire. Selon moi, cela ne fonctionne pas comme ça. Les deux doivent venir avec des idées. C’est une source de problèmes. Généralement, le réalisateur demande à ce que la musique sonne différemment. La meilleure façon est que la musique doit suivre l’histoire racontée par un film. La plupart des réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé ont une vision forte de ce que doit être leur film. Je ne peux pas décider à ce sujet.
Q : Allez-vous incorporer le fameux thème de Superman de John Williams ?Zimmer : Non, car cela n’aura pas de sens.
Q : Comment s’est passé votre collaboration avec Christopher Nolan sur la trilogie « Dark knight » ? Est-il difficile de succéder à James Newton Howard et de trouver sa propre voie sur Batman ?Zimmer : La façon dont nous travaillons a toujours sa propre voie. Je ne voulais pas vraiment faire « Batman begins » à cause de la dualité du caractère principal. Pour les Allemands, il est plus facile de choisir Batman, the dark knigt. Je ne voulais pas écrire sur l’histoire d’amour de Bruce Wayne. Christopher m’a alors demandé pourquoi je ne travaillerais pas en duo avec un autre compositeur pour mieux appréhender les deux faces du caractère principal. James Newton Howard et moi avons toujours voulu travailler ensemble, mais sur les deux premiers films, Christopher a tué tous les personnages représentés par la musique de James. Tout ce qui est resté dans le troisième film est le côté sombre du personnage principal.
Q : J’ai une question plus générale : Hollywood nous a proposé de grands films comme « Chantons sous la pluie » et « Autant en emporte le vent » en mettant en évidence de grandes musiques. Que pensez-vous de la situation actuelle ?Zimmer : Si je prends les films de Batman, la musique y occupe toujours la même place importante. Pour « Man of Steel », je vais essayer de faire quelque chose de différent. J’ai un très long thème. Je ne ferai aucune allusion au thème de John Williams. Si vous essayez de réinventer quelque chose, quelque fois cela donne quelque chose de mieux. Il faut faire les choses par soi-même. Il ne faut pas utiliser le travail d’un autre et surtout pas ses idées, même si elles sont bonnes. Le film aura une toute nouvelle approche du personnage.
Q : Pensez-vous qu’écrire des thèmes pour le cinéma est quelque chose du passé ?Zimmer : Non. Revenons dans le passé, dix ans environ, il y avait 80 thèmes comme celui de Pirates des Caraïbes par exemple. Le thème était juste bien approprié pour le personnage principal, un peu comme celui de Batman. Je pense que l’on fait ce qui est approprié à chaque film. « Inception » a un long thème déguisé.
Q : Avez-vous vu le film « The Artist » ? Qu’en pensez-vous ?Zimmer : Oui, je l’ai vu et apprécié. J’ai rencontré Ludo et nous avons discuté.
Q : Que pensez-vous de la manière que les compositeurs américains ont de travailler plus facilement sur les films français, comme par exemple Klaus Badelt, et vice versa concernant les compositeurs français sur les films américains ?Zimmer : Pour commencer, Klaus Badelt n’est pas américain mais allemand. Donc, qu’est-ce que je pense des compositeurs allemands ? Cela a toujours été comme cela. Les Américains peuvent travailler partout, nous ne rencontrons pas de difficultés de langage. Je n’ai jamais fait de musique pour un film allemand. J’ai fait des musiques pour des films en France, en Afrique. Je pense que ce qui apporte une valeur ajoutée aux films extérieurs est qu’en qualité de compositeur, je n’ai pas la même mentalité. J’apporte donc un regard neuf par cette approche dans le cinéma hollywoodien. Avec ma culture germanique, je vais apporter un regard différent.
Q : Quelles sont vos inspirations musicales ?Zimmer : Sans hésiter, la musique italienne, celle de Ennio Morricone, la musique d’ »Il était une fois en Amérique ». J’apprécie aussi John Williams. Ce sont des compositeurs de l’âge d’or du cinéma.
Q : Est-il vrai que le thème de John Carpenter de « Assault » est l’un de vos préférés ?Zimmer : Oui, c’est exact. Dès que je l’entends, je le reconnais. C’est un thème si simple et brillant à la fois. Même s’il est minimal, il fonctionne parfaitement dans le film.
Q : Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir compositeur ?Zimmer : Je pense que ce qu’il faut faire avec chaque film est développer un iconique « soft ». Je ne pense pas que cela ne revient qu’à la musique. Nous voulons faire en sorte que tout fonctionne, la musique, les sons. Je travaille toujours très dur pour trouver un petit fragment pour dire qu’il s’agit bien du bon film. Quand vous prenez le film « Batman begins » et pensez à sa structure, c’est un film Batman. Je veux donner dès le départ une musique qui illustre clairement cette appartenance.
Q : Y a-t-il un compositeur qui vous a inspiré plus que les autres ?Zimmer : Non, en fait, c’est un processus, il y a toujours différentes étapes dans la collaboration. Certaines se passent bien, d’autres non. Certaines fois, j’ai besoin plus du réalisateur que lui de moi et inversement. Nous essayons de travailler comme une équipe. La raison pour laquelle je travaille à Hollywood et le plus souvent avec des compositeurs européens, c’est géographiquement plus facile de travailler ensemble. Certaines fois dans la collaboration, vous n’avez même pas à parler.
Q : Dans les vingt dernières années, vous avez changé la donne concernant les musiques de films et avez créé la société Remote Control. Que pensez-vous à propos de cela ? Le referiez-vous ?Zimmer : Non, si je le faisais, je ne le referai pas de la même manière car cela serait ennuyeux. Je ne sais pas par contre comment je le ferais différemment. Je pense qu’il serait intéressant d’inviter de jeunes compositeurs. Cela a toujours été un problème, mais cela est dû au pouvoir que vous avez et à l’argent que vous avez. J’aimerais donner leur chance à tous ceux qui sont talentueux et leur donner les jouets les plus chers pour s’exprimer. Mais de toute façon, tu ne peux rester qu’un petit moment et après tu dois aller voler de tes propres ailes. C’est amusant de bâtir un lieu où vous avez une multitude de talents divers. Certaines fois, lorsque je pars à 4h du matin et que je vois qu’il y a encore des voitures sur le parking, je me sens coupable et me dis que je ne dois pas bosser assez. Les compositeurs sont des gens étranges et cinglés. C’est vraiment bien de pouvoir échanger avec d’autres personnes au sujet de la musique.
Q : Aimiez-vous le temps où vous travailliez seul à vos débuts ?Zimmer : Non, je l’ai détesté. J’ai commencé dans un goupe de musiciens. J’ai toujours travaillé avec d’autres personnes. J’aime l’idée qu’une musique doit être jouée, pour exister, avec d’autres personnes. La musique vient à la vie quand vous avez tous ces musiciens autour de vous. Le fait de collaborer avec d’autres personnes permet aussi de faire écouter son travail et d’avoir différents points de vue. Cela vous aide à continuer et à tester de nouvelles choses. Quelques fois, vous n’osez pas demander l’opinion du réalisateur.
Q : Pensez-vous que ce qu’a fait Stanley Myers à vos débuts est similaire à ce que vous faites actuellement avec d’autres musiciens et compositeurs ? Continuez-vous cette chaîne ?Zimmer : Oui, absolument. Si vous pensez à cela, c’est un genre de processus organique. Quand j’ai commencé en tant qu’assistant de Stanley, j’ai pu voir comment il fallait faire, comment cela pouvait fonctionner. L’approche est différente de celle d’aller à l’école et de vous donner un problème qui a déjà été résolu. Le fait d’être juste dans une pièce avec des personnes qui ont de l’expérience et qui savent que rien n’est impossible. Certes, vous ne faites que le café, mais vous pouvez apprendre à leur contact. Même si vous ne dites rien, rien que votre présence peut aider à résoudre le problème. C’est amusant de voir qu’à l’université, ils ne savent pas tant de choses à propos du monde réel. Le film arrive et vous devez faire le travail.
Q : Être instrumentiste, cela permet-il d’être un compositeur ?Zimmer : Oui. Vous savez, je pense que la chose la plus importante à apprendre n’est pas d’apprendre à jouer, mais surtout de savoir écouter et entendre. Quand tu es un jeune assistant et tu es assis dans une pièce, tu dois surtout écouter et apprendre le processus. Les premières choses étaient difficiles pour moi, lorsque j’étais auprès de Stanley, mais j’ai énormément appris. Toutes les choses prennent du temps. Il faut savoir donner de son temps pour d’autres personnes. Il y a tant de facteurs qui interviennent et vous devez observer.
Q : Comment s’est passé votre collaboration avec Ridley Scott sur le film « Gladiator » avec Lisa Gerrard ? Comment cela a influencé la musique classique ?Zimmer : La musique classique est juste dans ma tête, j’ai grandi avec elle. Vous devez faire attention, nous ne prenons pas ce travail de manière trop sérieuse. Cette entrée dans Rome, c’est un peu comme quitter le Leidenstadt. Je me suis dit, ok, mais j’étais horrifié. L’idée est qu’un film a besoin d’avoir une âme. Il est donc important dès le début de donner une ambiance au film, de lui apporter de la poésie. Lisa est donc venue chanter. Nous lui avons envoyé le film et elle est a dit oui. Elle devait rester trois jours mais en fin de compte, elle est restée trois mois. Elle est toujours mon amie.
Q : Concernant la musique de « The Dark Knight rises », pouvez-vous nous dire pour quelles raisons, après avoir acheté l’album, il faut télécharger d’autres titres sur i-tunes ? Avez-vous un contrôle là-dessus ?Zimmer : Oui, j’ai un contrôle là-dessus. Le fait est que nous voulons toujours plus que ce qu’il y a dans le film. Ce qui est intéressant, c’est que la musique que j’ai écrite incorpore l’ADN et devient la musique du film. Je me dis après qu’il faut faire une plus longue musique de film, le soundtrack album. Il faut donc ajouter, par exemple, après de la musique symphonique en plus que le public veut avoir. Je pense que compléter par ce fait la musique la rend plus vivante. Nous avons en stock tant de musique. De plus, un CD est comme un film, un produit fini à un moment défini. Vous le finissez et vous l’envoyez à une autre personne. Ce que vous achetez est ce que vous avez. De ce fait, avec cette application, vous pouvez constamment compléter ce CD. Cela devient comme une chose vivante. Je deviens de plus en plus intéressé de faire les musique de cette manière. On a commencé à faire cela sur la musique de « Inception » et surtout sur celle de « The Dark Knight ». Vous pouvez aussi avoir des photos, des informations diverses sur le film. Je pense qu’il est bien de relier ensemble la musique et la technologie. Les musiciens utilisent la technologie pour mieux informer leur audience. Vous savez, c’est comme la musique, vous pouvez avoir des singles longues durée. Sur les albums, vous devez faire attention à l’ordre des pistes, sur un CD pour les albums de musique pop. Avec i-tunes, cela facilite les choses. Je regarde alors comment utiliser cette technologie. « The Dark Knight rises » est en imax, j’essaye d’expérimenter au maximum l’utilisation des instruments de musique. Je ne sais pas si cela fonctionne, mais c’est bien de pousser la technologie. Je pense que nous sommes à un moment intéressant dans le rapport entre la technologie et l’art. Cette méthode permet aussi de compléter la musique du film que nous n’entendons pas ou peu dans un film.
Q : Quelle est l’importance de la guitare dans votre musique, par exemple dans « Mission : impossible 2 » ?Zimmer : Dans le film, il y a un personnage espagnol et le tournage se passait en Australie. J’ai associé ces idées dans ma tête et c’est aussi simple que cela. J’ai aimé travaillé sur ce film comme sur « Broken Arrow ». La guitare dans la musique harmonique actuelle est indispensable. Vous savez tout ce qui peut faire du bruit en musique est bien pour moi. En musique, quel que soit l’instrument, je choisis le musicien. Dans un orchestre, je choisis tous les musiciens de manière individuelle. Je pense que l’individualité est très importante. C’est la personnalité qui va guider le son et donner une valeur ajoutée.
Q : Par moments, vous choisissez un orchestre et ensuite, vous réorchestrez autrement la musique ?Zimmer : Non, c’est faux. Pour le film « Pirates des Caraïbes », le paysage est tellement grand et les effets sonores si importants que vous êtes obligés d’utiliser une musique d’orchestre. Comme je vous l’ai dit, la technologie est bonne et vous pouvez avoir tout ce dont vous avez besoin. Quand je fais la musique, je choisis les instruments en fonction de leur disponibilité. La personne qui s’occupe des effets sonores a tant d’outils à sa disposition qu’il peut créer des choses incroyables. Souvenez-vous, je fais une image de ce que je vois. Il y a une expression allemande qui dit « eyes listening ». Tu vois ce que tu vois, tu entends ce que tu entends. Quand il y a des batailles sur la mer, des monstres et d’autres choses comme cela, tu dois travailler d’une certaine manière. Je pense que l’électronique est un peu humain et un peu froid. C’est une manière particulière d’illustrer l’humanité. Je pense que cela ne peut pas illustrer l’individualité, l’émotion humaine.
Q : Vous dites que perdre le contrôle est un bonne chose ?Zimmer : Je n’ai pas à essayer, cela vient automatiquement. Si vous essayez de maîtriser la musique, la seule manière c’est par la passion. Ce ne sont que des clichés. Mais dans ce cas, vous stoppez les possibilités de laisser les choses se faire naturellement. Le chaos doit régner. Les réalisateurs avec lesquels je travaille encouragent cela quelques fois. Ce n’est pas par contre sans danger. S’ils veulent une musique sans danger, les réalisateurs savent qu’ils doivent aller voir plutôt une autre personne.
Q : Vous ne travaillez pas beaucoup, hormis quelques exceptions, avec des femmes dans votre société Remote Control.Zimmer : Nous essayons de le faire au possible. Ce que nous faisons avec Remote control est de travailler dans un contexte très international. Sur les portes, il n’y a pas le nom des personnes, mais le drapeau du pays d’où est orginaire la personne qui y travaille. Nous venons tous de lieux différents et variés. Il y a en effet quelques jeunes femmes compositeurs. Je ne pense pas en termes de sexe, vous devez avoir la bonne personne pour faire le travail. La musique que nous faisons est pour tout le monde.
Marco Beltrami : Je pense que c’est fantastique. C’est une très belle initiative d’avoir monté ce festival, surtout pour un pays qui met l’accent sur la musique de films et le cinéma en général.
Q : Comment avez-vous été contacté pour cet événement ? Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à dire oui ?Beltrami : En fait, c’est Jérome qui s’occupait de la programmation artistique avec qui j’avais collaboré par le passé, qui m’a contacté et parlé de ce festival. Je n’avais pas encore fait de festival de musiques. Pour moi, il n’y avait pas encore eu d’opportunité, de préparation par rapport à mon original qui m’a permis de le faire. Ce fut donc pour moi une excellente opportunité, d’autant plus que j’avais travaillé avec Bertrand Tavernier, notamment pour « Dans la brume électrique ».
Q : J’ai une question relative aux effets sonores, parce qu’il me semble que lorsque vous composez votre musique, elle entretient une certaine relation avec ceux-ci. Collaborez-vous donc à ces effets sonores ?Beltrami : Oui, tout à fait, la musique et les effets sonores doivent travailler ensemble. Le département du son est mon ennemi, car nous sommes en compétition pour le même espace sonore. Mais en devenant plus vieux, j’ai fini par penser qu’il n’y avait pas de compétition finalement entre nous. Nous devons au contraire travailler ensemble. J’ai donc essayé de voir avec eux quels étaient leurs idées pour les sons à utiliser. Certaines fois, ils me demandent conseil sur les sons qu’ils ont. Il m’arrive donc des les manipuler, de les incorporer dans ma musique.
Q : En parlant de cinéma, avez-vous vu le film « The Artist » ?Beltrami : Non, je ne l’ai pas encore vu.
Q : Par quels musiciens avez-vous été influencé pour composer votre musique ?Beltrami : J’ai été inspiré par la musique des western spaghetti, la musique de Ennio Morricone. Quand j’étudiais la musique, ce n’était pas des musiques de films, mais plutôt de la musique country. J’ai emménagé en Californie et j’ai eu la chance de travailler auprès de Jerry Goldsmith. C’est avec lui que j’ai appris à composer des musiques de films. La musique de film reste de la musique comme une autre, comme la pop, la country. La musique de film combine le meilleur de toutes ces musiques.
Q : Vous allez commencer à travailler sur la musique du remake de « Carrie » ? Quelle orientation aura cette musique ?Beltrami : Oui, je travaille sur la musique du film de « Carrie ». Je n’ai pas encore pu voir le film en entier pour le moment. Le réalisateur vient juste de finir le tournage. Dans le passé, j’ai créé la musique pour « Die hard 4 » et bientôt « Die hard 5 », et « Terminator 3 ». J’ai aimé faire cela. En général, je discute longuement avec le réalisateur pour me faire une idée.
Q : Avez-vous commencé à travailler sur « World War Z » ?Beltrami : Oui, nous travaillons encore dessus pour le moment. Nous avons commencé la semaine dernière de nouvelles additions à la musique du film. Le film devrait sortir en décembre, voire après. C’est une nouvelle forme de musique pour moi, c’est une musique hybride entre des sons manipulés et des musiques orchestrées. Les sons des zombies sont très importants dans ce contexte. Ils doivent être primitifs et visuels et donc on s’est inspiré de sons émis par des porcs du sud-ouest des Etats-Unis. La musique incorporera ces sons spéciaux.
Q : Que pouvez-vous nous dire au sujet de votre collaboration avec Bertrand Tavernier pour « Dans la brume électrique » ?Beltrami : La première chose dont je me rappelle, c’est d’avoir rencontré Bertrand Tavernier un an avant le tournage. Nous avons beaucoup discuté. J’étais non seulement très enthousiaste pour ce projet, mais aussi car sa connaissance du cinéma et de la musique en général est très conséquente, il en sait plus que tout le monde. Nous avons commencé à collaborer à partir des dialogues du film, avant même de commencer à tourner. Nous sommes allés en Louisiane, où il a tourné son film et avons passé du temps à rechercher la musique issue des bayous et de la culture locale pour l’incorporer.
Q : Dans votre carrière, à plusieurs reprises, vous avez travaillé sur plusieurs films d’une même saga, comme celle de « Scream », « Die hard », « Hellboy ». Comment faites-vous pour apporter un son nouveau à chacun de ces films et tout en gardant l 'esprit de la saga ?Beltrami : Tout d’abord, il s’agissait d’une relation particulière avec les mêmes réalisateurs, Wes Craven et Guillermo Del Toro. Après le premier film « Scream », la musicalité de la saga était posée. Pour les suites, il y avait une variation musicale, mais le plus important était fait. Pour « Hellboy », je n’ai fait la musique que du premier film. Le second, c’était la musique de Danny Elfman. Pour « Terminator 3 », la demande était de faire quelque chose de nouveau, le réalisateur ne voulait pas incorporer la musique des précédents films. Mon travail était une sorte d’hommage aux musiques des deux films précédents.
Q : Concernant « Hellboy 2 », alors que vous avez fait la musique du premier film, vous n’avez pas été contacté pour faire celle du deuxième. Qu’en pensez-vous ?Beltrami : C’est la vie. Je comprend qu’un réalisateur a sa propre vision créative. Avec Guillermo Del Toro, nous avons fait trois films ensemble, « Mimic », « Blade 2 » et « Hellboy ». Je pense avoir livré de bonnes musiques de film pour lui. J’ai moins aimé la musique du second film. Vous devez faire avec.
Q : Pensez-vous retravailler un jour avec Guillermo Del Toro ? Etes-vous restés amis ?Beltrami : Oui. Je comprends le fait que l’on peut apprécier de faire quelque chose de différent.
Q : J’ai une question plus générale : Hollywood nous a proposé de grands films comme « Chantons sous la pluie » et « Autant en emporte le vent » en mettant en évidence de grandes musiques. Que pensez-vous de la situation actuelle ?Beltrami : Je pense que cela a beaucoup changé concernant l’ancien esprit de la musique de film. Ce n’était pas nécessaire, l’art reste de l’art.
Q : Préférez-vous faire de la musique pour des films dramatique ou pour des films d’horreur ?Beltrami : Personnellement, les films d’horreur m’effraient. Les premiers films auxquels j’ai contribué ont été plus des films d’horreur. Je ne pense pas autant que cela au style.
Q : Que pouvez-vous nous dire au sujet de la musique du film « Dina » (2002) ?Beltrami : Je regrette que ce film soit si mal connu, mais c’est pourtant l’un de mes favoris au niveau de la bande originale. J’ai eu avec cette musique l’un des plus grands plaisirs à m’exprimer.
Q : Vous avez récemment participer à une série télé, « V ». Pouvez-vous nous parler du processus relatif à la musique d’une série ?Beltrami : En effet, c’est un processus complètement différent. Il n’y a pas de temps pour un second essai. Vous prenez ce qui vous vient en tête, vous le traduisez immédiatement. Il n’existe pas non plus le même rapport humain qui existe lorsqu’on travaille sur un film. Vous faites la musique et quatorze heures après la musique est présente.
Q : Que représente pour vous Jerry Goldsmith ?Beltrami : Jerry Goldsmith a été très important dans ma carrière. J’ai beaucoup apprécie le fait d’être son élève. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Surtout venant d’une formation classique qui donne des notions assez complexes, le fait de travailler avec un tel professeur fut très important pour moi. Pour le film « 666 La Malédiction », je trouvais important de lui rendre hommage, en reprenant son fameux thème. Pour l’original, sa musique pouvait être réduite à trois notes. Je ne voulais pas le copier, mais peut-être que je pouvais faire comme lui, alors j’ai utilisé peu de notes pour la musique de ce film.
Ludovic Bource : Ce sont des films d’époque, autant que de genre, donc je n’allais pas faire de la musique électronique. Michel Hazanavicius est quelqu’un qui vit un peu dans le passé, mine de rien. Il dessine extrêmement bien, ses personnages ou tout ce qu’il dessine est vintage. Il est ancré dans une époque entre les années 1920 et ‘70. On a partagé des affinités musicales et cinématographiques depuis qu’on s’est rencontré. C’est un peu son style à vrai dire. J’essaye de le traduire à ma manière. J’ai parcouru des styles différents de musique pour travailler une autonomie. Je ne me suis pas uniquement arrêté à une musique de genre de l’époque. Le film « The Artist » est encore plus marqué en termes de références au style hollywoodien. C’est un peu un fourre tout, parce que sur le « OSS 117 », le cadre était les années 1950 et la musique avait quinze ans d’avance. Elle était plus dans le registre des années ‘60. Pareil pour Rio, qui se passe dans les années 1960. Il y avait un style musical très années ‘70, voire psychédélique et kitsch. Cela fait partie de ce qu’on aime. On ne s’est pas vraiment posé de questions. Voilà, j’essaye de m’amuser simplement.
Q : Sur « The Artist », Michel Hazanavicius s’est beaucoup servi sur le tournage de musique hollywoodienne, notamment de Bernard Hermann. Il en a même gardé une musique au montage. Est-ce que cela vous a gêné ou dans quelle mesure cela a-t-il eu une influence sur votre travail ?Bource : Pas forcément. Comme Bernard Hermann a influencé tous les compositeurs actuels, il y avait psychologiquement une direction musicale que l’on devait amorcer à un moment donné dans le film. Michel l’avait senti assez rapidement. Dès le début du montage, il avait en tête cette musique de Bernard Hermann. Je savais dès le départ que j’étais condamné à accepter. Michel a souhaité que j’essaye ma version, qui est à la fin du disque de la bande originale de « The Artist ». Le morceau s’appelle « My suicide », je l’avais fait six jours avant l’enregistrement. Je savais que c’était peine perdue et je savais que je ne pouvais pas détrôner l’autre morceau, c’est négatif de dire cela. Je devais faire avec son choix. Surtout vis-à-vis de Hermann, c’était une évidence totale pour moi. Il a été assez difficile de faire cette version, mais elle existe, elle est sur le disque. C’est son choix. En général, tous les réalisateurs peuvent mettre une musique temporaire. Ils s’en impriment tellement. Les producteurs sont derrière cela aussi. Toute l’équipe commence à accepter cela sciemment. D’autant plus dans « The Artist », où il n’y a pas de dialogue. On est plus attentif à la musique qu’à des dialogues. C’est son choix, je le respecte.
Q : A propos justement de la musique « My suicide », au concert quelle version va être jouée ?Bource : Celle de Hermann, bien sûr.
Q : Est-ce afin de ne pas déstabiliser le public ?Bource : Pas du tout. Cela n’existe pas sur le film. « My suicide » est anecdotique et dédicacé à Michel d’ailleurs. On jouera bien la version du film sans aucun changement.
Q : Donc, il n’y aura jamais cette version ?Bource : Non jamais, à part …
Q : Est-ce que Michel avait décidé d’un thème précis de fin sur le film ?Bource : C’est ce dont je parlais juste avant. Il avait le Bernard Hermann en tête. Il est arrivé directement au début du montage. Lorsqu’il faisait des projections de test avec les différents départements et les producteurs, il fallait que le film soit présenté avec au moins un quart d’heure de musique originale. Le film était en friche. Il fallait qu’il mette de la musique. Il avait déjà mis de la musique du compositeur argentin Ginastera. C’est la scène dans laquelle Peppy Miller rentre dans la loge de George Valentin et fait une sorte de chorégraphie avec le porte manteau. Cela a été tourné avec la musique le jour du tournage. Il y avait aussi la musique de Duke Ellington et les enregistrements d’époque et le jeu des musiciens également. C’est très difficile de trouver l’esprit, le jeu de l’époque. On fait du jazz, certes. Je connais bien le problème, certes. On a mis ce genre de morceau car dans le son de l’époque, il y avait aussi une façon d’interpréter les choses. Les instruments à l’époque étaient différents à ceux qu’utilisent les musiciens actuels. C’était très important et pour cela je suis Michel à 100 %, de donner une conscience grâce à ces enregistrements désuets, avec du souffle. C’est pour cela qu’on a utilisé ce type de musique, qui a été choisi dès le départ.
Q : Au montage, il n’y a pas d’autres musiques qui ont été remplacées pour donner une direction ?Bource : Non, mais on avait quand même pendant un an échangé avec Michel des points de vue de musiques de films, de films parce que je n’axe pas tout sur la musique, sur des notes. J’essayais de capter l’émotion du réalisateur et de le comprendre, car c’est quelqu’un qui est assez humble. Il n’est pas une personne qui s’ouvre comme cela, même si on est très proche. C’est très délicat, donc j’essaye de déchiffrer ce qu’il veut. On regarde beaucoup de films ensemble. On essaye de respecter au mieux cette démarche-là.
Q : J’ai une question qui peut paraître hyper générale, mais quels sont pour vous les critères qui font une bonne musique de film ?Bource : Je ne sais pas comment répondre à cette question. Quel est votre couleur préférée ? C’est comme pour le goût et les couleurs, on aura des avis différents, une sensibilité différente. On sera plus sensible à un style. Je ne me pose pas cette question-là. En général, toutes les musiques de film sont assez bien faites. Les compositeurs ont une très grosse responsabilité et on leur donne un temps très, très limité. C’est toujours un exploit, chaque fois qu’un compositeur fait une musique de films. Je connais bien le problème avec tous les compositeurs que je connais. Je sais ce qu’ils éprouvent à chaque fois. Voilà, je ne peux pas répondre à cette question-là. Cela dépend en fait de votre culture, de votre goût.
Q : J’aimerais revenir sur l’instrumentation particulière utilisée pour « The Artist ». Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?Bource : On a utilisé un orchestre philamornique et à la fin, on a utilisé un big band qui s’est greffé avec le philamornique, car au niveau de cette scène finale des claquettes, il y aussi une valse donc les deux orchestres se sont joints à ce passage. Il n’y a pas d’instrument particulier.
Q : Du fait de composer pour un film muet, est-ce que vous avez pensé autrement la musique ?Bource : Oui, penser autrement … Je ne sais pas comment penser la musique. Je n’essaye pas de penser la musique. Tout se passe en quelques mini-secondes. Je peux vous sortir des mélodies assez rapidement, mais est-ce que ce sont les bonnes ou pas. Suis-je conscient de ce que je fais ? Si vous faites de la musique, vous voulez traduire quelque chose. Une scène lente ou triste, vous allez recourir à un accord mineur ou pas. Je ne vous apprends rien mais justement, j’essaye de me couper de cela. C’est un état qui est très intéressant, même lorsqu’on n’est pas compositeur. Interpréter la musique, c’est un effet psychique qui vous coupe du monde. A ce moment-là, on ne s’en rend pas compte, mais inconsciemment, même si on ne fait pas de musique, la musique continue dans votre tête. Ce processus, il faut l’accepter et prendre le temps de laisser toutes ces recherches pour une journée. A un moment donné vous reprenez votre conscience et vous traduisez ce que vous avez pu digérer. Je n’ai pas vraiment de technique.
Q : Hans Zimmer disait hier de Terrence Malick qu’ils se disputaient comme deux frères. Est-ce que vous pouvez en dire de même avec Michel Hazanavicius ?Bource : Bien oui, à la fin je voulais le tuer et lui aussi. Comme dirait Vladimir Cosma, c’est une vraie dramaturgie. On peut en parler, car avec Michel on se dit tout entre nous. Cela est même arrivé de ne plus se parler pendant un mois. On passait par des intermédiaires et des superviseurs pour la musique. Ce fut très douloureux. Mais c’est pareil pour beaucoup de compositeurs. Malheureusement, je n’ai pas pu assister à la master class de Hans Zimmer et de Marco Beltrami.
Q : C’est un peu comme un accouchement, mais après il y a un beau bébé ?Bource : Je ne sais pas si c’est un accouchement. L’image ne parle pas forcément, car là ce n’est pas véritablement de l’amour, même si cela en est un peu. C’est plus de savoir qui va gagner à la fin. Michel est quelqu’un de très intelligent. Il est hors norme. C’est un très bon metteur en scène pour cela. Il arrive à diriger les gens et les amener encore plus loin. A chaque film qu’on a pu faire ensemble, j’ai monté des palliers. Il en est pareil pour son chef-opérateur, pour Bérénice Béjo et Jean Dujardin. Michel voit le potentiel des gens qui l’entourent. Il voit de quoi il a besoin pour faire un film. Les 300 ou 400 personnes qui œuvrent pour ce travail collectif. Michel sait parfaitement gérer tout cela. Même si c’est difficile et dans la souffrance, j’ai passé des palliers maintenant qui me permettent d’avoir plus de connaissances, de confiance, un vocabulaire un peu plus large. C’est une grande envie de continuer surtout.
Q : Vous disiez hier à la fin de la rencontre que vous étiez en mixage. Peut-être que vous ne pouvez rien dire. Je pose quand même la question : c’est sur quel projet ?Bource : Je peux en parler. Je vais faire un peu court, car c’est un peu particulier. J’ai été appelé cet été par les frères Altmayer de Mandarin Films qui avaient besoin d’une aide urgente sur film avec Omar Sy et Laurent Lafitte, une comédie francaise qui s’appelle « De l’autre côté du périph ». C’est un buddy movie. Il y a beaucoup de retard sur la fabrication, mais cela n’a pas changé la date de sortie du film, qui est toujours le 19 décembre. J’ai fait quarante-cinq minutes de musique en un mois. Ce fut très sympa et très festif, un peu à l’américaine. C’est un film d’action, ce que je n’avais pas vraiment encore fait. Je vais pouvoir montrer une autre couleur du style que j’admire. Je vais faire aussi là ma première symphonie. Je suis commissionné par un directeur de musique dans le cadre d’un festival de musique en Espagne pour créer ma première symphonie. Là, je vais faire quelque chose de très personnel. J’adore rencontrer des gens, pouvoir discuter et échanger des choses. C’est le plus important pour moi. J’aime tous les genres. Cela me nourrit et alimente mon inspiration.
Q : Depuis votre Oscar, avez-vous des propositions aux Etats-Unis ?Bource : Oui, j’en ai une par mois à peu près. La première concrète était pour un film avec Jim Carrey qu’il devait tourner en septembre. Au dernier moment, en juillet, mon agent américain m’appelle et me dit que c’est annulé, Jim Carrey ne le faisait plus. Il a du mal à faire un come-back en tant que comédien et à la place il a accepté de jouer dans « Kick-ass 2 ». Comme j’ai eu la chance de passer un peu de temps avec Tom Cruise, il m’a raconté qu’ils se placent sur des films qu’ils aiment et après il y a un certain temps, cela rejoint la musique. J’ai aussi rencontré un jeune réalisateur et Tom Cruise devait tourner pour lui. Cela faisait quatre ans qu’il avait son scénario dans la poche. Lorsque Tom Cruise remet l’Oscar pour le Meilleur Film, j’ai donc pu passer du temps avec lui et je lui ai dit que j’avais rencontré ce réalisateur. Le monde du business du cinéma américain est assez particulier. Il m’a dit qu’il allait faire ce film, mais il ne sait pas quand. J’ai aussi rencontré Hossein Amini, qui est le scénariste de « Drive » et qui va réaliser un thriller, « The Two faces of January », très hitchcockien qui se passe en Grèce avec Viggo Mortensen. On est en relation depuis plusieurs mois et il attend toujours le feu vert. Les producteurs américains s’axent actuellement sur des films qui ne vont pas trop leur coûter d’argent ou vers la comédie, mise à part les blockbusters qui sont des phénomènes bien particuliers. Cela m’a aussi apporté que l’on m’a proposé un thème pour un jeune réalisateur, très sympa. Je me suis dit que j’allais me lancer sur ce petit projet pour pouvoir comprendre le mécanisme des gens et l’organisation des head of department de musique. Il y a beaucoup d’intervenants qui ne servent à rien à mon avis. C’est ce que Hans Zimmer m’a dit. Il m’a dit, ne va jamais voir ces gens-là, tu ne vois que le réalisateur. En fait pour ce film, mon agent m’a dit que cela allait me coûter plus d’argent que de m’en rapporter. En gros, je vais refuser de le faire. J’ai été propulsé cet été sur ce film, « De l’autre côté du périph ». J’ai reçu une autre proposition assez concrète sur un autre film que j’ai refusé, car j’étais déjà en train de travailler sur ce film. Aux Etats-Unis, ils veulent tout, tout de suite. Je ne peux pas tout faire. A vrai dire, je n’attends rien de Los Angeles. J’ai reçu pas mal de propositions après les Oscars, mais on me disait qu’on me voulait sur tel ou tel projet, mais en faisant tel type de musique comme tel compositeur réputé du moment. On m’a proposé aussi « Rango » un film dont Hans Zimmer a finalement fait la musique. J’avais rencontré les patrons de la Paramount. Hans et moi avons le même agent et je lui ai demandé de ne plus me mettre dans des plans comme celui-ci, car logiquement c’est à Hans Zimmer qu’il faut proposer en premier. S’il ne peut pas le faire, éventuellement, je pourrais essayer quelque chose. Je ne veux pas devenir un concurrent à Hans Zimmer. La confrérie des compositeurs est très sensible à cela. Donc, j’ai bien eu des propositions, mais je n’ai pas envie d’arriver aux Etats- Unis, où on me dira de faire comme beaucoup de bandes originales de films qui se ressemblent, avec des orchestrations qui sont toujours les mêmes. C’est toujours des cors, plus de flutes, des sons électriques arrivent. Beaucoup de musiques de films se ressemblent et sont stéréotypées et je trouve cela dommage. Chacun de nous à sa personnalité, son petit truc à apporter, qui peut faire la différence. Beaucoup de compositeurs veulent aller faire carrière là-bas. Ils ne sont pas prêts à faire n’importe quoi, mais ils doivent suivre le cahier des charges qui leur est donné. C’est pour cela que certains films hollywoodiens sont stéréotypés. Je suis allé dans beaucoup de festivals dans lesquels on rendait hommage aux musiques. J’ai donc pu me rendre compte de cette couleur qui est presque identique à mon goût. Mais attention, c’est très bien fait, mais cela ne me correspond pas. C’est le même cas pour les musiques de films en France, j’en parlais tout à l’heure. C’est exactement la même chose ici concernant le vecteur réalisateur / compositeur. Il y a toujours cette idée d’optimiser les choses.
Q : Pour revenir à « The Artist », quelles ont été les plus grandes difficultés, que cela soit un film où il y a une heure trente de musique ou de succéder à toute une légende de musique hollywoodienne ? Qu’est-ce qu’il y a eu de plus difficile sur ce film, l’approche de l’écriture ?Bource : Le plus difficile a été de faire les bons choix. Il fallait écouter son for intérieur pour savoir ce que j’allais proposer. C’est une bataille que l’on a à chaque projet en tant que compositeur. Le plus difficile est la technique du travail de Michel Hazanavicius. Je compose les thèmes, mais en fait, je commence à rentrer dans l’orchestration, les arrangements pour commencer à travailler sur les démos qui vont correspondre à ce que l’on va enregistrer après avec un orchestre en live. Ce travail commence quand Michel se met à monter son film. Je n’ai pas ce qu’on appelle le final cut. En sachant qu’il y a une vingtaine de versions pour un film d’une heure trente, vingt fois une scène du film. Moi, quand je travaille sur la version 1, je reçois un bloc de 7 à 10 minutes sur laquelle je vais me concentrer. Il y a des synchronismes. Quand je me mets à composer ce genre de longues séquences, je sais qu’une semaine après, Michel va me rappeler en disant que le montage a changé, il est passé par exemple de dix à cinq minutes. Dans ces choses qu’il reconstruit, il veut garder la même musique. C’est donc à moi d’ajuster les choses. Cela n’a plus aucun sens, mais cela en a un, car j’ai la chance que cela fonctionne avec lui. Cela est très périlleux et très fatiguant, car il faut tout le temps changer vingt fois sur le film.
Q : Le thème principal « Comme une rosée de larmes » est au piano, la musique est très symphonique.Bource : J’avais composé six thèmes au piano, car je voulais vraiment que Michel se concentre. En général sur les autres films, je lui envoyais directement une orchestration ou des maquettes très riches. Là non, je voulais vraiment que l’on travaille. Je voulais poser la mélodie et l’harmonie à l’état brut. On commence alors à s’imaginer les possibilités, surtout bien marquer les choses pour qu’il comprenne que ces thèmes-là seront déclinés. Pour ce morceau, c’est un thème que je lui ai envoyé juste avant le tournage aux Etats-Unis. Il m’a rappelé en disant qu’il avait écouté tous mes trucs et sur les six thèmes, il n’y avait qu’un seul qui était bien et il était pas 100 % sûr. Il a mis ce thème piano sur le plateau pour canaliser les gens et mettre une ambiance. C’est difficile après d’écrire sans dialogue, la musique avait donc une autre résonance. Il fallait canaliser les comédiens. Michel m’a appelé un soir en me disant que c’est cela le thème. Tout le monde l’a écouté, il y avait même un technicien qui faisait au moins cent-cinquante kilos et qui s’est mis à pleurer chaque fois qu’il entendait ce morceau. Il n’y a pourtant rien d’exceptionnel, mais cela correspond à ce que j’imaginais dès le début. Ce morceau est donc devenu le thème principal du film.
Q : Que pouvez-vous nous dire sur ce festival ? Comment appréhendez-vous le ciné-concert ce soir, dans lequel vous jouerez d’ailleurs au piano ?Bource : On a accepté avec Michel d’essayer de faire quelque chose, de tenter l’aventure sur ce qu’on appelle des ciné-concerts. On a eu la chance de pouvoir compter sur Audi. Lors des Talent Awards, j’ai été dans le jury au mois de mai à Cannes. Tout s’est monté après sur un mois et demi. Je me retrouve au piano ce soir. Je commence à me reconcentrer sur ce que je dois faire dans quelques heures. Je suis comblé. On a un orchestre français. J’ai pris un plaisir incroyable de répéter avec eux et ils le savent car eux aussi. Ce soir cela devrait être un grand moment.
Q : Il devrait y avoir une grande cohérence ce soir, car vous gardez le chef d’orchestre du film. Etait-ce indispensable ?Bource : Oui, car je ne vais pas pouvoir faire tout le concert au piano. Je suis compositeur. Ernst est l’âme du projet. C’est lui qui est imposé sur tous les sons du concert. Il connaît par cœur tous les axes millimétrés. La musique commence à lui appartenir aussi. Cela me va bien, car je trouve qu’il est un grand chef, qui va vraiment se faire connaître dans les prochaines années.