Au Pathe Palace à Paris, le 16 juin 2025, un événement monumental s'est déroulé. Avant la première française de The Return, le retour d'Ulysse, le dernier film et peut-être le plus audacieux du réalisateur Uberto Pasolini, le public a eu droit à un moment exceptionnel : une masterclass avec Juliette Binoche, animée par la journaliste Anne-Claire Cieutat. Devant un public captivé, Juliette Binoche, sereine et lumineuse, a retracé sa vie au cinéma, partageant des anecdotes sur sa carrière extraordinaire, qui l'a menée de Jean-Luc Godard et Krzysztof Kieślowski à Michael Haneke et Abbas Kiarostami. En regardant des extraits choisis de ses films et pièces de théâtre, on ne pouvait s'empêcher d'admirer l'étendue de son talent artistique. Mais ce qui frappait le plus, c'était peut-être cette détermination tranquille qui a marqué son parcours, celle d'une actrice qui a toujours préféré l'introspection au spectacle, qui a trouvé un nouvel écho dans l'Odyssée d'Homère non seulement à travers son rôle dans Le Retour d'Ulysse, mais aussi en lisant simplement ce texte ancien à son fils adolescent.
Cette honnêteté émotionnelle constitue la colonne vertébrale de The Return, le retour d'Ulysse, un film d'une profonde retenue et d'une clarté saisissante. Librement adapté des derniers chapitres de l'épopée d'Homère, cette réinterprétation cinématographique refuse de s'aventurer sur le terrain familier de l'héroïsme et de la grandeur. Au contraire, Uberto Pasolini, aux côtés des co-scénaristes Edward Bond et John Collee, élabore une méditation tranquille et obsédante sur les conséquences, sur ce qui se passe lorsque la légende prend fin et que l'homme rentre chez lui. Loin des clichés musclés du cinéma épique, il s'agit d'une odyssée profondément personnelle, presque monastique dans son esthétique, filmée avec une sorte de calme respectueux par le directeur de la photographie Marius Panduru. Ici, pas de monstres, pas de grandes batailles. Juste un homme brisé nommé Ulysse, incarné avec une humilité bouleversante par Ralph Fiennes, qui débarque pour découvrir que son royaume est occupé, son fils a grandi et sa femme n'est plus que l'ombre d'elle-même, se dressant toujours fièrement dans un palais rempli de vautours.
Les retrouvailles créatives de Ralph Fiennes et Juliette Binoche, près de trois décennies après Le Patient anglais, ne se déroulent pas dans la nostalgie, mais sur un nouveau terrain émotionnel. Leur alchimie est toujours intacte, mais elle a vieilli, s'est patinée, s'est approfondie. Ici, ils ne tombent pas dans les bras l'un de l'autre ; ils tournent l'un autour de l'autre comme des étrangers méfiants. Ralph Fiennes, dans une performance presque entièrement sculptée par sa posture et son regard, transforme Ulysse en quelque chose de rarement vu à l'écran : un vétéran de guerre rendu muet par la culpabilité et l'absence. Son corps est une métaphore, tordu et maigre, alors qu'il se déplace parmi les restes squelettiques d'Ithaque. La seule créature qui le reconnaît sans hésitation est son chien, un compagnon fidèle qui meurt en voyant son maître revenir – une scène qui frappe comme un coup de poignard en plein cœur.
Face à lui, Juliette Binoche transforme Pénélope en une figure de force inébranlable et de dévastation silencieuse. Sa performance est une leçon sur tout ce que l'on peut dire avec le silence. Cette Pénélope n'est pas seulement une femme qui a attendu, c'est une femme qui a résisté. Ses années de solitude et de vigilance l'ont rendue redoutable, et Juliette Binoche le transmet avec une précision poignante. La voir se tenir au milieu des prétendants, parmi lesquels se distingue Marwan Kenzari, effrayant dans le rôle bureaucratique d'Antinoos, c'est assister à une guerre intérieure aussi intense que n'importe quelle bataille à l'épée. Ses interactions avec son fils, Telemachus, interprété par Charlie Plummer, ont également une résonance particulière. Plummer trouve le juste équilibre entre la confusion adolescente et l'urgence vertueuse, incarnant une jeunesse déchirée entre le mythe et l'homme.
Ce qui est peut-être le plus révélateur dans The Return, le retour de Ulysse, c'est sa simplicité radicale. Uberto Pasolini dépouille le film de tout artifice cinématographique, s'appuyant sur la lumière naturelle, les longs plans et les silences tremblants des personnages pris dans une suspension émotionnelle. Cette approche ascétique exige quelque chose de rare de la part du public : patience, empathie, attention. Le concours de tir à l'arc, séquence qui aurait pu être mise en scène de manière grandiloquente et sanglante, se déroule comme un rituel funéraire : inévitable, silencieux, nécessaire. Même la musique de Rachel Portman évite les crescendos, ses thèmes minimalistes murmurant sous la surface comme des marées lointaines. Il en résulte une atmosphère qui semble non seulement intemporelle, mais sacrée.
Cette retenue émotionnelle et philosophique s'étend aux idées sous-jacentes du film. Comme l'a noté Uberto Pasolini dans ses notes de production, The Return, le retour de Ulysse est un film sur les conséquences des conflits, non seulement les cicatrices sur les corps, mais aussi les fractures invisibles dans les familles, la lente érosion de l'intimité, la mort silencieuse d'idéaux autrefois glorieux. Le co-scénariste Edward Bond, décédé peu avant la sortie du film, considérait ce projet comme une œuvre délibérément anti-patriarcale et anti-épique. Cet esprit imprègne chaque image. Il n'y a pas de héros ici, seulement des personnes qui fouillent dans les décombres de leurs souvenirs, de leur identité, de leur foyer. En ce sens, The Return, le retour de Ulysse devient une métaphore de tous les soldats qui reviennent et ne reconnaissent plus le lieu pour lequel ils se sont battus, ni les personnes qui les attendaient.
Lors de la masterclass donnée à Paris avant la projection, Juliette Binoche a parlé avec franchise de ce qui l'avait attirée dans ce projet. Ce n'était pas la nostalgie, a-t-elle dit, ni la chance de retrouver un ancien partenaire. C'était l'opportunité d'incarner une femme façonnée par le temps, par le deuil, par un extraordinaire acte d'endurance. En l'écoutant parler, il était impossible de ne pas voir à quel point sa carrière reflète cette même éthique : choisir des rôles difficiles, des histoires discrètes, des vérités humaines. De Trois couleurs : Bleu à Copie conforme, de Caché à Le Goût des autres, Juliette Binoche a toujours refusé les classifications faciles. Dans The Return, le retour de Ulysse, elle offre une nouvelle fois une masterclass, non seulement en matière de jeu d'actrice, mais aussi en matière de vérité émotionnelle.
The Return, le retour de Ulysse n'est pas seulement un film, c'est une élégie cinématographique, une méditation sur la fragilité de la mémoire et l'impossibilité d'un véritable retour au foyer. C'est une œuvre qui exige – et mérite – le silence. Et dans un paysage cinématographique de plus en plus dominé par le bruit, le spectacle et la vitesse, cela ressemble à un acte de foi radical. Ancré dans le calme magnétique de Ralph Fiennes et Juliette Binoche, et réalisé avec une grâce inébranlable par Uberto Pasolini, The Return, le retour d'Ulysse nous rappelle que parfois, les plus grands voyages ne se terminent pas par un triomphe, mais par une prise de conscience, simple et bouleversante, de qui nous étions et de qui nous sommes devenus.
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Synopsis :
De retour de la guerre de Troie après 20 ans d'absence, Ulysse échoue sur les côtes d'Ithaque, son ancien royaume. Sa femme Pénélope, qui lui est restée fidèle, y vit prisonnière dans sa propre maison, rejetant tous les prétendants au trône. Leur fils Télémaque, qui n'a jamais connu son père, devient un obstacle pour ceux qui veulent s'emparer du pouvoir.
The Return, le retour de Ulysse
Réalisé par Uberto Pasolini
Produit par James Clayton, Uberto Pasolini, Konstantinos Kontovrakis
Écrit par John Collee, Edward Bond, Uberto Pasolini
Avec Ralph Fiennes, Juliette Binoche, Charlie Plummer, Marwan Kenzari, Ángela Molina, Tom Rhys Harries, Amir Wilson, Moe Bar-El Elatus, Jamie Andrew Cutler Polybus, Jaz Hutchins Hippotas, Matthew T. Reynolds , Amesh Edireweera Leocritus, Pavlos Iordanopoulos Stratius
Musique de Rachel Portman
Photographie : Marius Panduru
Montage : David Charap
Sociétés de production : Picomedia, Rai Cinema, Heretic, Ithaca Pictures Inc., Kabo Productions, Marvelous Productions
Distribution : Maverick Distribution (France), Bleecker Street (États-Unis)
Date de sortie : 6 décembre 2024 (États-Unis), 18 juin 2025 (France)
Durée : 118 minutes
Photos et vidéo : Boris Colletier / Mulderville