Cannes 2025 s'est achevé le soir du 24 mai avec une cérémonie de clôture qui ne peut être décrite que comme un puissant mélange de haute couture, de politique mondiale, d'émotions intimes et de cinéma inoubliable. Le somptueux Palais des Festivals et des Congrès, baigné de lumières dorées et résonnant du brouhaha final de la Croisette, a accueilli une salle remplie de stars, de cinéphiles et de décideurs de l'industrie. Mais au milieu de tout ce glamour et de cette cérémonie, un nom résonnait plus que tout autre : Jafar Panahi. Lorsque Cate Blanchett, apparaissant sur scène comme une apparition dans sa robe noire à couper le souffle évoquant un ange gothique, a prononcé son nom en tant que lauréat de la Palme d'or pour Un simple accident, le temps a semblé s'arrêter un instant. Le public, retenant son souffle, a éclaté en un tonnerre d'applaudissements qui soulignait non seulement la célébration du génie cinématographique, mais aussi la reconnaissance collective des risques pris par Panahi pour raconter une histoire dans des conditions oppressives. Le cinéaste iranien, longtemps pris pour cible par son gouvernement et précédemment emprisonné pour son travail, est monté sur scène visiblement ému, entouré de ses acteurs, dont plusieurs étaient en larmes. Ce qui a suivi n'était pas un simple discours, mais un véritable manifeste. « Mettons tous les problèmes, les différences de côté, le plus important, c'est notre pays et la liberté de notre pays », a-t-il déclaré, une phrase qui a suscité une ovation debout et apporté une intensité palpable à une cérémonie habituellement dominée par des applaudissements polis et des séances de photos.
La décision de récompenser Panahi n'était pas seulement une célébration de la réussite artistique, mais aussi une déclaration de solidarité de la part d'un jury qui n'a pas eu peur de s'engager politiquement. Présidé par la toujours gracieuse et incisive Juliette Binoche, le jury était composé d'un mélange puissant de voix internationales telles que Halle Berry, Leïla Slimani, Carlos Reygadas, Hong Sangsoo, Payal Kapadia, Jeremy Strong, Dieudo Hamadi et Alba Rohrwacher. Leurs délibérations ont été passionnées et épuisantes, ce qui explique peut-être la fatigue visible sur certains visages lors de la cérémonie. Cependant, alors que la plupart des membres semblaient émus et festifs, c'est l'attitude détachée de Halle Berry qui a retenu l'attention. Lorsque Panahi a reçu la Palme d'or, Berry, assise à côté de Jeremy Strong, a applaudi mais semblait distante, le regard perdu dans un vide émotionnel loin de l'atmosphère chargée qui l'entourait. Les réseaux sociaux se sont rapidement enflammés de spéculations : était-ce la fatigue, le désintérêt ou simplement le poids de deux semaines intenses de projections et de débats ? Berry, souvent louée pour son élégance et son charisme, semblait ailleurs pendant le moment le plus crucial de la soirée. Son silence, juxtaposé à la plaidoirie passionnée de Panahi, a créé un contraste visuel étrange qui n'est pas passé inaperçu, ajoutant une dimension inattendue au drame de la soirée.
L'animateur de la soirée, l'acteur Laurent Lafitte, a ajouté sa touche personnelle à l'événement. Vêtu d'un costume sombre parfaitement taillé, il a ouvert la cérémonie avec son charme habituel, non sans quelques petits accrocs. Que ce soit par ses quelques hésitations dans son discours, ses blagues légèrement ratées ou ses signes de nervosité, sa présence a apporté une authenticité qui fait parfois défaut aux cérémonies cannoises. C'était rafraîchissant de voir le côté humain d'un événement aussi fastueux. Mais le chemin vers la cérémonie n'avait pas été sans encombre. Le matin même, la ville de Cannes avait subi une coupure de courant inattendue, interrompant brièvement la projection du film Sirât, d'Oliver Laxe. Selon les autorités locales, cette coupure était le résultat d'« actes malveillants » qui ont perturbé le réseau électrique de la ville. Heureusement, le Palais des Festivals n'a pas été touché grâce à son système d'alimentation électrique privé, et la soirée s'est déroulée dans toute la splendeur lumineuse que l'on associe à Cannes. Cette perturbation a néanmoins rappelé de manière symbolique le fragile équilibre entre spectacle et réalité, entre célébration et vulnérabilité.
Au-delà de la victoire de Panahi, le jury a décerné une série de prix qui en disent long sur l'évolution du cinéma et les types d'histoires qui trouvent un écho aujourd'hui. L'acteur brésilien Wagner Moura a remporté le prix du meilleur acteur pour sa performance électrisante dans L'Agent secret, un film qui a également valu à Kleber Mendonça Filho le prix du meilleur réalisateur. Moura, surtout connu du public international pour son interprétation de Pablo Escobar dans Narcos, a apporté une énergie brute et intime à un rôle qui exigeait à la fois retenue et émotions explosives, une performance que les membres du jury ont qualifiée de « impossible à oublier ». Du côté des actrices, le prix de la meilleure interprétation féminine a été décerné à Nadia Melliti, une nouvelle venue qui a stupéfié le public dans La Petite Dernière, réalisé par Hafsia Herzi. Adapté du livre de Fatima Daas, le rôle de Nadia Melliti explore les dualités entre héritage et modernité, tradition et rébellion, avec une force et une grâce discrètes. Sa victoire marque non seulement l'arrivée d'un nouveau talent majeur, mais reflète également l'attention portée par le jury aux films ancrés dans la vérité personnelle et la complexité sociale.
Les frères Dardenne, titans incontournables de la Croisette, ont reçu le prix du meilleur scénario pour Jeunes Mères, un film qui revisite leur obsession pour la famille, la pauvreté et la résilience. Leur victoire était teintée de mélancolie, car elle suivait le décès d'Emilie Dequenne, l'actrice qui s'était fait connaître grâce à Rosetta, leur film primé à Cannes. Le Grand Prix, la deuxième distinction la plus prestigieuse de la soirée, a été décerné à Valeur Sentimentale de Joachim Trier, qui avait déjà fait sensation en début de semaine en recevant une ovation debout de 19 minutes, la plus longue de cette édition. Avec Renate Reinsve et Elle Fanning, le film revisite les thèmes chers à Trier, tels que la mémoire, le temps et l'amour perdu, et marque les retrouvailles émouvantes entre Trier et Reinsve, qui avaient déjà captivé Cannes en 2021 avec The Worst Person in the World.
Parmi les autres prix importants, citons le Prix du jury, décerné conjointement à Sirât, d'Oliver Laxe, et Sound of Falling, de Mascha Schilinski, deux films qui remettent en question les structures narratives traditionnelles et proposent une réflexion lyrique sur la fragilité humaine. Le Prix spécial du jury a été attribué à Résurrection, de Bi Gan, une expérience cinématographique hallucinatoire que de nombreux critiques ont saluée comme le successeur spirituel de son film acclamé Long Day's Journey Into Night. Ces choix ont confirmé ce que de nombreux initiés soupçonnaient : le jury de cette année était particulièrement sensible aux films qui évitaient les attentes commerciales au profit d'une vision audacieuse et sans concession.
Alors que les lumières s'éteignaient et que le générique défilait à Cannes 2025, on ne pouvait s'empêcher de penser que cette édition, malgré – ou peut-être grâce à – ses moments de malaise, ses coupures de courant, ses dissonances émotionnelles et ses sous-entendus politiques, avait réaffirmé le statut du festival non seulement comme une célébration du cinéma mondial, mais aussi comme un miroir de notre époque. Il ne s'agissait pas seulement de tapis rouges, d'ovations record ou de robes élégantes. Il s'agissait de voix qui comptent, d'histoires qui dérangent, de performances qui hantent et de messages qui résonnent bien au-delà de la Côte d'Azur. De l'ovation endiablée pour Valeur Sentimentale à l'électricité silencieuse du discours de Panahi, en passant par le silence fantomatique dans les yeux de Halle Berry, Cannes 2025 nous a offert une dernière soirée inoubliable, où chaque sourire, chaque larme et chaque soupir semblaient faire partie intégrante du cinéma.
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