Le 20 mai 2025, le Palais des Festivals a été le théâtre d'un moment de magie cinématographique rare lorsque le dernier film de Rebecca Zlotowski, « Une vie privée » (Vie privée), a illuminé l'écran dans la section Hors Compétition du Festival de Cannes. De la première note envoûtante de la bande originale de Robin Rob Coudert jusqu'au dernier plan glaçant de Lilian Steiner dévoilant une psyché qui s'effrite, le film a ensorcelé le Grand Théâtre Lumière. À la fin du générique, une ovation debout de dix minutes a éclaté, ce qui n'est pas une mince affaire dans un festival réputé pour son public exigeant. Ce qui distingue ce film, ce n'est pas seulement son intrigue mystérieuse ou son casting prestigieux, mais l'élégance complexe avec laquelle il mêle traumatisme émotionnel, exploration psychologique et identité européenne profonde pour créer un thriller intimiste et envoûtant. Pour Jodie Foster, qui signe ici sa troisième performance en français, c'est un retour triomphal non seulement à Cannes, mais aussi à une langue et une culture qui lui sont chères.
Jodie Foster incarne Lilian Steiner, une psychiatre renommée qui est bouleversée jusqu'au plus profond d'elle-même lorsqu'elle apprend la mort suspecte d'un ancien patient. Ce qui suit n'est pas seulement une enquête, mais une descente dans le doute, l'obsession et, finalement, la révélation. Jodie Foster incarne Steiner avec un tel contrôle émotionnel qu'on en oublierait presque qu'elle joue dans une langue qui n'est pas la sienne. Son jeu subtil, naturel et nuancé a été salué à juste titre par la critique et le public. Sa maîtrise du français est non seulement linguistiquement parfaite, mais aussi émotionnellement fluide, ce qui confère à Lilian une authenticité qui ancrent les fioritures stylisées du film. L'immersion de Jodie Foster dans le cinéma français s'est approfondie au fil des ans, mais ici, elle va au-delà de la performance pour devenir, en effet, un vecteur de fusion cinématographique franco-américaine. On pouvait sentir, dans les minutes d'applaudissements qui ont suivi la première, que le public ne réagissait pas simplement à un grand film, mais qu'il rendait hommage à une légende vivante, transcendant les frontières tout en restant profondément enracinée dans le cinéma d'auteur européen.
Rebecca Zlotowski, surtout connue pour Une fille facile et Les Enfants des autres, continue de prouver qu'elle est l'une des architectes narratives les plus fascinantes de France. Ici, en collaboration avec les co-scénaristes Anne Berest et Gaëlle Macé, elle construit un récit énigmatique qui évite habilement toute explication excessive. Le scénario oscille entre traumatismes passés et enquête présente, plaçant constamment le spectateur dans la même position que le protagoniste : douter, réévaluer, remettre en question les motivations et la mémoire. Tourné à Paris et sur les côtes brumeuses de Normandie entre septembre et novembre 2024, le film évoque une impression d'immobilité temporelle, comme si son univers était pris au piège entre deux marées. La photographie de George Lechaptois est richement texturée : les boulevards parisiens trempés par la pluie et les salles de consultation faiblement éclairées reflètent le tumulte intérieur du film. La monteuse Géraldine Mangenot maintient habilement le rythme pendant 105 minutes, laissant la tension monter sans sombrer dans le mélodrame. C'est une véritable leçon de mise en scène, aidée par la bande originale atmosphérique de Coudert, qui mêle des lignes de piano épurées à des textures sonores plus expérimentales.
L'ensemble qui entoure Jodie Foster n'est pas moins éblouissant. Daniel Auteuil apporte une gravité fatiguée au rôle d'un enquêteur de police en difficulté, empêtré dans la quête de vérité de Lilian, tandis que Virginie Efira, souvent connue pour ses rôles plus légers ou romantiques, se glisse dans la peau d'un personnage plus froid et énigmatique, qui cache peut-être des informations cruciales. Mathieu Amalric apparaît dans un rôle plus petit mais essentiel, tandis que Vincent Lacoste et Luana Bajrami incarnent les aspects plus jeunes et plus instables du récit. Il est remarquable de voir comment Zlotowski utilise ces grands noms non pas comme des ornements décoratifs, mais comme des extensions des thèmes centraux du scénario, chaque personnage représentant un angle différent sur la confiance, le deuil et les limites professionnelles.
Le film a reçu un accueil enthousiaste. Au-delà des ovations, les premières critiques internationales ont été élogieuses. Variety a salué la « menace raffinée » de la mise en scène de Zlotowski et « l'élégance linguistique » de la performance de Jodie Foster. Le Monde a qualifié le film de « plongée vertigineuse dans les zones grises de l'âme humaine ». Sony Pictures Classics a clairement vu le potentiel mondial de A Private Life, en obtenant les droits de distribution pour l'Amérique du Nord et l'Amérique latine dès février 2025. Sa sortie en salles en France est déjà prévue pour le 26 novembre 2025, ce qui promet de capitaliser sur l'élan post-Cannes et devrait lui permettre de se positionner comme un acteur majeur de la saison des récompenses, en particulier dans les catégories interprétation et scénario.
Ce qui est fascinant, c'est la façon dont A Private Life parvient à fonctionner sur plusieurs registres à la fois. C'est un thriller policier, certes, mais aussi un portrait psychologique, une réflexion sur les limites de l'éthique professionnelle et, peut-être plus poignant encore, une méditation sur la solitude. Lilian Steiner est une femme discrète, blindée émotionnellement et d'une grande rigueur intellectuelle, mais qui finit par être détruite non pas par les autres, mais par sa propre obsession de connaître l'inconnaissable. Cette exploration complexe de la vulnérabilité humaine est typique de Zlotowski, qui a déclaré un jour dans une interview : « Je crois que le mystère est plus cinématographique que la vérité. »
Il y a dans Une vie privée une qualité typiquement européenne – un refus de la simplification, une célébration de l'ambiguïté – qui pourrait poser des défis sur des marchés plus commerciaux, mais son succès critique est déjà assuré. Le choix de présenter le film hors compétition était stratégique, lui permettant de briller sans le poids des attentes du jury, et Cannes a prouvé une fois de plus pourquoi il reste la référence en matière de sélection cinématographique. Pour les cinéphiles présents en cette soirée mémorable au Palais, les applaudissements n'étaient pas seulement destinés au film, mais aussi à un cinéaste qui continue d'évoluer, à une star qui transcende les langues et à une histoire qui refuse d'être cataloguée.
Les photos du tapis rouge et des coulisses sont disponibles sur la galerie Flickr de Mulderville, qui capture l'effervescence et le glamour d'une soirée mémorable. Et pour ceux qui souhaitent avoir un aperçu de l'atmosphère sombre du film, la bande-annonce officielle offre un avant-goût alléchant de ce labyrinthe élégamment construit, fait de chagrin, de culpabilité et de perceptions. A Private Life n'était peut-être pas en compétition, mais dans l'esprit de nombreux spectateurs, c'était le véritable gagnant de la soirée.
Vous pouvez découvrir nos photos sur notre page Flickr
Synopsis :
Lilian Steiner est une psychiatre renommée. Lorsqu'elle apprend la mort d'un de ses patients, elle est convaincue qu'il s'agit d'un meurtre. Troublée, elle décide d'enquêter.
Vie privée
Réalisé par Rebecca Zlotowski
Écrit par Rebecca Zlotowski, Anne Berest, Gaëlle Macé
Produit par Frédéric Jouve
Avec Jodie Foster, Daniel Auteuil, Virginie Efira
Directeur de la photographie : George Lechaptois
Montage : Géraldine Mangenot
Musique : Robin Rob Coudert
Sociétés de production : Les Films Velvet, France 3 Cinéma
Distribué par Ad Vitam (France)
Date de sortie : 20 mai 2025 (Cannes), 26 novembre 2025 (France)
Durée : 105 minutes
Photos : @fannyrlphotography