Il y a des nuits à Cannes où le temps semble suspendu, où les flashs des appareils photo deviennent le battement du cœur du cinéma lui-même, et le 18 mai 2025 était sans aucun doute l'une de ces nuits. Le 78e Festival de Cannes a accueilli l'une des premières hors compétition les plus attendues, La Femme la plus riche du monde, dans une atmosphère à la fois mystérieuse et électrique. Le tapis rouge devant le Palais des Festivals était en effervescence alors qu'une impressionnante brochette de talents français se rendait à la projection. La légendaire actrice Isabelle Huppert était en tête du casting, accompagnée de Marina Foïs, Laurent Lafitte, du réalisateur Thierry Klifa, du scénariste Jacques Fieschi et des acteurs André Marcon et Mathieu Demy. Ce fut un moment empreint de glamour et de solennité, ponctué par une aura cinématographique que seul Cannes peut offrir. Même Diane Kruger, qui ne fait pas partie du film, a attiré tous les regards, ajoutant à l'atmosphère solennelle de l'événement.
Inspiré de la célèbre affaire Bettencourt-Banier, le film avait déjà suscité beaucoup d'intérêt avant sa sortie. Pourtant, l'approche de Thierry Klifa n'est pas celle d'un simple biopic. Au contraire, La Femme la plus riche du monde transforme habilement le scandale en un drame psychologique riche et complexe qui plonge tête la première dans la décadence et la tromperie qui rongent la société française. Dans le film, Huppert incarne une héritière recluse et autoritaire, une femme dont la fortune l'isole, dont le cœur reste fermé et dont la richesse devient à la fois un bouclier et un fardeau. Entre en scène Laurent Lafitte, un écrivain-photographe provocateur, un homme dont le charme n'a d'égal que son ambition et ses intentions cachées. Les deux personnages s'affrontent dans une danse mêlant séduction, suspicion et jeux de pouvoir émotionnels qui se déroule dans des intérieurs somptueux et des salles de réunion froidement éclairées, le tout magnifiquement capturé par le directeur de la photographie Hichame Alaouié.
Ce qui ressort, c'est la façon dont le film explore avec habileté la fragilité des relations humaines dans un environnement saturé de privilèges. Il ne s'agit pas seulement de la femme la plus riche du monde, mais aussi de la pauvreté émotionnelle qui peut accompagner une richesse extrême. Thierry Klifa ne romantise ni ne diabolise ses personnages : il les explore, disséquant leurs silences et leurs regards autant que leurs paroles. Ce faisant, il tisse une histoire qui traite autant de solitude et d'identité que de scandale et de trahison. Comme on pouvait s'y attendre, la performance d'Isabelle Huppert est fascinante. Son interprétation est empreinte d'une grande force, mais aussi d'une vulnérabilité sous-jacente qui donne au film toute sa résonance émotionnelle. Son regard en dit long dans les scènes où les dialogues sont rares, et son effondrement silencieux offre un contrepoint obsédant au style de vie ostentatoire de son personnage.
Les seconds rôles élèvent le film à une plus grande complexité émotionnelle. Marina Foïs apporte sa gravité caractéristique à un rôle qui reste énigmatique mais ancré dans la réalité. Raphaël Personnaz et Micha Lescot offrent également de belles performances qui ajoutent tension et nuance. Le personnage du majordome, observateur silencieux du déclin émotionnel de la maisonnée, offre notamment un miroir au public, un homme qui en sait bien plus qu'il ne le laisse paraître et qui est témoin de la lente érosion de la confiance derrière les murs dorés. Le scénario, coécrit par Thierry Klifa, Fieschi et Cédric Anger, évite le mélodrame et opte plutôt pour une sophistication psychologique, tissant secrets de famille, manipulations et révélations explosives dans un récit dense de 123 minutes.
Tout aussi captivante est la bande originale d'Alex Beaupain, dont les compositions musicales discrètes soulignent la fragilité émotionnelle du film sans la submerger. Son travail ici n'est pas envahissant, mais plutôt enveloppant, une présence subtile qui fait écho à la profondeur psychologique du récit., Ce n'est pas seulement un accompagnement, c'est un commentaire. Et dans les moments où la musique s'estompe complètement, le silence devient assourdissant, comme si les personnages eux-mêmes étaient conscients des murs invisibles qui se referment sur eux. Le montage de Chantal Hymans est sobre et réfléchi, permettant de longs plans qui laissent respirer les performances tout en maintenant la tension croissante du film.
Il est particulièrement remarquable que, bien que le film ait été présenté hors compétition, il ait suscité autant d'attention, sinon plus, que bon nombre des prétendants à la Palme d'or. Ce statut a quelque chose de libérateur : libéré de la pression de la compétition, La Femme la plus riche du monde semble s'appuyer avec encore plus d'assurance sur sa théâtralité et ses choix narratifs audacieux. Sur la Croisette, les discussions après la projection se sont poursuivies jusque tard dans la nuit dans les bars des hôtels Majestic et Martinez. Certains ont salué la précision de Thierry Klifa, d'autres ont qualifié la performance de Huppert comme l'une de ses plus énigmatiques depuis Elle. Pour beaucoup, le film a rappelé que le cinéma a toujours le pouvoir de disséquer les riches, non seulement avec satire, mais aussi avec empathie et gravité.
Au-delà de sa réalisation artistique, le film trouve un écho particulier dans la manière dont il aborde la corruption des sentiments dans un monde régi par le statut social et la méfiance. Ses thèmes sont d'une actualité troublante : la facilité avec laquelle l'amour peut être marchandisé, la rapidité avec laquelle la confiance peut être utilisée comme une arme, et la façon dont la richesse, loin d'isoler ceux qui la possèdent, peut au contraire les enfermer dans des cages qu'ils ont eux-mêmes construites. C'est dans ce territoire émotionnel – brut, imprévisible, intime – que Thierry Klifa revendique sa place. En centrant le film sur une femme déchirée entre son désir d'amour véritable et sa peur d'être exploitée, La Femme la plus riche du monde s'élève au-delà du simple commentaire social. Il devient une tragédie moderne enveloppée de diamants et de déni.
Avec une sortie en salles prévue en France le 29 octobre 2025, cette première à Cannes semble être le coup d'envoi d'une longue saison de récompenses, ou tout au moins d'un débat animé dans les cercles cinéphiles. Que vous y voyiez une critique de l'élite française, une romance gothique ou une étude de personnages digne d'un opéra, La Femme la plus riche du monde a déjà marqué le festival de cette année. Ce faisant, il a réaffirmé le rôle unique de Cannes dans la présentation de films qui provoquent et fascinent à la fois. Alors que les dernières robes de soirée disparaissaient dans la nuit et que la Croisette commençait à s'assagir, une chose était claire : ce film parle peut-être de la femme la plus riche du monde, mais sa véritable richesse réside dans la profondeur de son récit.
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Synopsis :
La femme la plus riche du monde : sa beauté, son intelligence, son pouvoir. Un écrivain et photographe : son ambition, son insolence, sa folie. Le coup de foudre les emporte. Une héritière méfiante qui se bat pour être aimée. Un majordome vigilant qui en sait plus qu'il ne le laisse paraître. Des secrets de famille. Des dons astronomiques. Une guerre où tous les coups sont permis.
La Femme la plus riche du monde
Réalisé par Thierry Klifa
Produit par Mathias Rubin
Écrit par Cédric Anger, Jacques Fieschi, Thierry Klifa
Avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs, Raphaël Personnaz, André Marcon, Mathieu Demy, Joseph Olivennes, Micha Lescot, Paul Beaurepaire, Yannick Renier, Anne Brochet, Douglas Grauwels
Musique : Alex Beaupain
Photographie : Hichame Alaouié
Montage : Chantal Hymans
Sociétés de production : Recifilms, Versus Production, 7 SOFICA
Distribution : Haut et Court (France)
Date de sortie : 18 mai 2025 (Cannes), 29 octobre 2025 (France)
Durée : 123 minutes
Photos : @fannyrlphotography