Ce fut une soirée mémorable lors du 78e Festival de Cannes, avec les débuts très attendus sur la Croisette d'Ari Aster, le créateur de Hérédité, Midsommar et Beau Is Afraid, avec Eddington, un western psychologique envoûtant qui se déroule dans le contexte inquiétant de la pandémie de COVID-19. Le Grand Théâtre Lumière était en effervescence vendredi 16 mai, sous les flashs des appareils photo et dans un silence impatient, alors que la première mondiale se déroulait devant un public composé de stars hollywoodiennes, d'un casting prestigieux et d'une presse avide de Palme d'Or. Pour Ari Aster, il ne s'agissait pas seulement d'un nouveau film, mais du retour à un concept qu'il avait mûri pendant près de dix ans, finalement remodelé par l'actualité récente.
Ari Aster n'est pas simplement arrivé, il a conquis. Vêtu d'un smoking sobre mais rayonnant de confiance, le réalisateur a foulé le tapis rouge aux côtés d'un casting de rêve : Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone, Austin Butler, Luke Grimes, Clifton Collins Jr., Micheal Ward, Amelie Hoeferle, Matt Gomez Hidaka et Cameron Mann. Ce cortège glamour a été accueilli par les acclamations de la foule, dont une grande partie campait devant le Palais des Festivals et des Congrès depuis tôt le matin. Des invités spéciaux tels qu'Angelina Jolie, Natalie Portman, Rooney Mara, Joel Edgerton, Harris Dickinson et les membres du jury Juliette Binoche, Jeremy Strong et Leïla Slimani ont ajouté à la solennité de la soirée, chacun rendant un hommage silencieux à la stature déjà mythique du film. Le passage d'Aster de l'horreur art et essai au western social aurait pu sembler improbable il y a quelques années, mais lorsque les lumières du Lumière se sont éteintes, il est apparu clairement qu'il n'avait pas perdu son penchant pour le dérangeant.
Eddington ne mâche pas ses mots. Se déroulant en mai 2020, dans une ville fictive du Nouveau-Mexique au bord du gouffre, le film capture une crise typiquement américaine avec une précision troublante et une beauté apocalyptique. Joaquin Phoenix incarne Joe Cross, un shérif blasé qui tente d'empêcher sa ville de s'effondrer, dans ce qui est peut-être l'une de ses performances les plus nuancées depuis The Master. Son rival, le maire Ted Garcia, interprété avec un charisme menaçant par Pedro Pascal, est l'incarnation même du « gaslighting » politique : un leader populiste dont l'obsession pour la désinformation et le contrôle dresse les voisins les uns contre les autres. La dynamique entre ces deux hommes, tous deux brisés et désespérés, se déroule comme un drame sous pression. Ajoutez à cela les performances bouillonnantes d'Emma Stone et d'Austin Butler, et Eddington devient moins un film qu'une autopsie de la société en mouvement.
Ce qui fait la résonance profonde d'Eddington, c'est sa confrontation audacieuse avec des thèmes qui restent douloureusement d'actualité : la paranoïa de l'isolement, la distorsion de la vérité et le tissu fragile de la communauté qui se désagrège en temps réel. Alors que la pandémie sert moins de toile de fond que de personnage vivant et respirant, Aster réalise avec une intensité chirurgicale, aidé par la photographie large et poussiéreuse de Darius Khondji qui rend chaque rue déserte et chaque porche vide chargés d'une menace silencieuse. Le cœur narratif du film bat au rythme du montage délibéré de Lucian Johnston, qui refuse toute catharsis facile. Il y a une scène, déjà largement disséquée sur les réseaux sociaux, où le shérif de Phoenix affronte une foule de villageois armés, le visage masqué par des drapeaux américains et des théories du complot, qui est l'une des représentations les plus effrayantes et les plus précises de la division à l'ère de la pandémie jamais filmées.
D'un point de vue production, Eddington est tout simplement magistral. Soutenu par A24 et Square Peg, le film a été tourné à Albuquerque et Truth or Consequences, au Nouveau-Mexique, un choix qui confère un réalisme inquiétant au décor. L'authenticité de ce désert brûlé par le soleil n'a d'égale que la bande originale poignante composée par Bobby Krlic et Daniel Pemberton. Les deux compositeurs, connus pour leur texture émotionnelle et leur dissonance sonore, collaborent pour créer une atmosphère musicale qui oscille entre l'élégiaque et le dérangé. Leur travail ici ne se contente pas de compléter le film, il renforce son emprise psychologique. Dans un film où la frontière entre effondrement interne et externe est toujours floue, la musique apparaît souvent comme le dernier lien avec la raison.
Mais ce qui élève véritablement Eddington, c'est le contexte dans lequel il a été créé. Aster aurait eu l'idée de ce film bien avant que Hereditary ne le rende célèbre, les premières ébauches ayant mûri pendant plus de cinq ans. Ce n'est que pendant la période d'incertitude mondiale de 2020 que le scénario a évolué vers quelque chose de plus urgent et prophétique. Le fait que le produit final porte le poids d'un traumatisme vécu, tant sociétal que personnel, est évident dans chaque image. Les changements de casting en cours de route, en particulier l'arrivée d'Austin Butler dans un rôle clé initialement attribué à Christopher Abbott, semblent presque prédestinés. Butler, qui vient de connaître la gloire grâce à Elvis, apporte une intensité brute et retenue qui contraste parfaitement avec le stoïcisme lent de Phoenix.
Lorsque le public cannois a quitté la salle vendredi soir, l'effervescence était palpable. Eddington n'est pas un film facile, et ce n'est pas son but. Sa durée de 145 minutes ne laisse aucune place au confort, mais invite plutôt à l'introspection. Les critiques l'ont qualifié de « fantaisie osée sur des thèmes nationaux », et si cette description rend bien compte de son audace, elle minimise toutefois le sentiment de désolation qui le laisse dans son sillage. Avec une sortie prévue aux États-Unis le 18 juillet et en France deux jours plus tôt, ce film semble prêt non seulement à susciter des débats, mais aussi à marquer un tournant dans le genre occidental moderne. Ari Aster n'a pas seulement présenté un film à Cannes, il a provoqué un véritable bouleversement.
Pour ceux qui n'ont pas eu la chance d'assister à la première, des photos capturant l'énergie fiévreuse et le glamour envoûtant de la soirée peuvent être consultées sur la galerie Flickr officielle de Mulderville, sous l'objectif de @fannyrlphotography. De l'apparition majestueuse d'Emma Stone aux rires spontanés d'Ari Aster et Joaquin Phoenix, les images soulignent ce qu'était vraiment cette soirée : pas seulement un événement sur tapis rouge, mais le couronnement d'Ari Aster comme l'un des auteurs les plus importants de sa génération. Eddington n'est pas seulement un film, c'est un miroir tendu à une nation, un rêve fiévreux mêlant vérité et terreur, et un candidat sérieux pour la Palme d'or de cette année.
Vous pouvez découvrir nos photos sur notre page Flickr
Synopsis :
En mai 2020, à Eddington, une petite ville du Nouveau-Mexique, la confrontation entre le shérif et le maire plante le décor d'un conflit qui oppose les habitants les uns aux autres.
Eddington
Écrit et réalisé par Ari Aster
Produit par Ari Aster, Lars Knudsen, Ann Ruark
Avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Luke Grimes, Deirdre O'Connell, Micheal Ward, Austin Butler, Emma Stone
Directeur de la photographie : Darius Khondji
Montage : Lucian Johnston
Musique : Daniel Pemberton, Bobby Krlic
Sociétés de production : A24, Access Entertainment, Square Peg, IPR.VC
Distribué par A24 (États-Unis), Metropolitan FilmExport (France)
Dates de sortie : 16 mai 2025 (Cannes), 16 juillet 2025 (France), 18 juillet 2025 (États-Unis)
Durée : 145 minutes
Photos : @fannyrlphotography