Conference-de-Presse - Conférence de presse Grand Budapest Hotel (The)

Par Mulder, Paris, Hôtel Littré , 20 février 2014

 
 
Q : Bonjour, d’abord bravo, c’est un excellent film. Après le film je me suis demandé si vous aviez une formation théâtrale ou quelque chose comme cela. J’ai vu que vous étiez du Texas, donc, pas forcément une formation théâtrale mais on a l’impression à chaque fois de regarder des pièces de théâtre vraiment anglaises avec un humour très anglais et une troupe de théâtre. Je me demandais d’où venaient toutes ces influences et pourquoi cette mise en scène que l’on adore ? J’ai également une question pour Monsieur Fiennes, bonjour, cela fait plaisir de vous voir chez Wes Anderson, cela fait plaisir de vous revoir. Est-ce que ce vous allez retravailler avec lui et s’il vous plaît oui ?
 
Wes Anderson : je n’ai pas de formation théâtrale et peut-être que la plus grande influence-là, pour ce film, ce sont les films des années 30 ans, les films hollywoodiens des années 30 ans qui étaient fait par des réalisateurs qui venaient d’Europe de l’Est et qui se passaient à Budapest ou à Prague. 
 
Ralph Fiennes : bien sûr, si je suis invité, cela sera avec un grand plaisir
 
Anderson : je vais vous confier un petit secret. Ralph et moi nous nous sommes rencontrés il y a quelques années et avec le temps j’ai toujours pensé à lui. Dans le film Moonrise Kingdom, il y avait un rôle que j’aurais pu lui proposer mais après ce rôle a été supprimé et je me voyais mal lui dire j’ai un rôle pour toi mais finalement le rôle a été supprimé. 
 
 
Q : j’ai une question pour les deux, quelle est votre plus grande obsession quand vous êtes sur un plateau de tournage. Il est pour Monsieur Anderson comme je suis persuadé qu’il doit en avoir plusieurs quelle est celle qui l’agace et dont il aimerait se débarrasser. 
 
Anderson : en fait, lorsque je prépare un film, je travaille de manière très obsessionnelle et très minutieuse et au moment de tourner le travail se fait rapidement. Il y a énormément de prises. Il y a peut-être un sentiment de chaos. Il y a énormément d’énergie sur le plateau. J’ai alors l’impression que je passe le relais aux acteurs. Je ne pense pas être quelqu’un d’obsédé sur le plateau, je me laisse prendre par la vague. 
 
Fiennes : je pense que nous nous rejoignons tous les deux là-dessus. Nous avons tous les deux nos obsessions. Nous adorons le détail du cadran que cela soit bien filmé. J’ai un peu le sentiment de vouloir tout contrôler. Sur le plateau, mon rôle de Monsieur Gustave était un rôle très minutieux et cela a augmenté ce sentiment d’obsession et de contrôle. Il fallait que là tout soit en ordre précis. Je vérifiais tout le temps pendant le tournage a replacé mon nœud papillon et savoir si mes cheveux étaient bien peignés ou pas. Mais, en quelque sorte c’est une sorte d’anarchie créatrice et c’est quelque chose de plutôt positif. Wes a beaucoup d’exigence mais j’aime cela. J’ai senti que cela libérait ma propre obsession le fait d’avoir cette obsession et ce besoin de contrôle de Wes. Quand on a tout préparé, tout contrôlé, sur le plateau, on peut bousculer les choses, on peut essayer de sortir un peu de cet ordre et quand on est trop sorti on le rattrape. Cela donne beaucoup plus de liberté. On crée cet environnement extrêmement contrôlé. C’est comme si on reproduisait l’espace que l’on a dans notre crâne et qui nous donne la liberté d’agir.
 
Anderson : s’il y avait des photos de notre espace de travail respectif, elles seraient probablement très similaires car tout serait bien en ordre, bien contrôlé. Il y a ce sentiment d’anarchie sur le plateau qui peut peut-être embêter certains car on finit de changer un tas de choses mais cela lui nous attire et nous aimons beaucoup cela. 
 
 
Q : en allant dans ce sens-là, j’ai l’impression que ce qui lance ces personnages dans cette course est le hasard. Est-ce que je me trompe ou pas. Ma deuxième question qui va dans ce sens-là et que j’ai l’impression aussi que nous allons de cause à effet, c’est-à-dire d’action qui enchaîne d’autres actions et ainsi de suite.
 
Anderson : j’ai essayé de comprendre ce que vous vouliez dire par là. C’était vraiment en conséquence de ce qui avait été dit avant de partout ce contrôle qui est fait il y a une chose qui est libérée pendant le tournage. Par exemple, la scène avant le vol du tableau, Gustave apprend qu’il est l’héritier du tableau. Ils vont donc voir celui-ci et c’est là qu’il s’est dit pourquoi on ne le volerait pas. C’est un peu une sorte de réaction spontanée. Le personnage de Gustave et extrêmement théâtral, très flamboyant et l’approche aussi de l’acteur de son personnage faisait qu’il avait besoin de sentir que ce personnage était réel, une vraie personne. Il a vraiment investi son personnage.
 
Fiennes : en fait, part la préparation très minutieuse de Wes, il y a une sorte de mouvement en avant qui explique ce sentiment que l’on a au moment du vol. Comme Wes pousse tous ces acteurs dans cette énorme vitesse qui se passe pendant le tournage, tout va très vite, cela libère une spontanéité chez les acteurs et cette manière qu’il a de créer se rapproche tellement de ce que nous sommes, de nos personnages avec une telle vitesse et spontanéité que cela  finit par nous étourdir. Nous sommes dans une sorte de spirale qui libère notre spontanéité et qui nous enlève la rigidité ou le carcan d’une préparation très longue.
 
Q : j’ai deux petites questions sur le personnage de Gustave. Tout d’abord pour Ralph comment voyez-vous ce personnage. Pour Wes Anderson, est-ce que ce personnage de Gustave, sa futilité, son côté désuet n’incarne pas quand même quelque chose d’assez profond face à la montée de la barbarie qui traverse tout le film ?
 
Fiennes : c’est vrai que souvent on demande un acteur ce qu’il pense de son personnage. Je ne suis pas vraiment sûr qu’il y a une sorte d’interaction qui se passe entre le personnage et l’acteur. Je ne sais pas très bien ce que j’ai envie de dire ou de ne pas dire à ce sujet-là en général. Monsieur Gustave sur le papier est un personnage clairement défini. C’est un homme qui a plein de péchés, qui est vaniteux, qui est très préoccupé par son apparence physique, son parfum, ses cheveux. C’est une sorte d’armure qu’il s’est créé, tout comme moi. Mais, à l’intérieur, Monsieur Gustave a des principes très  ancrés profondément. Il a un petit protégé, c’est Zero. Il se fait un point d’honneur de le protéger et d’accomplir cette mission tant et si bien qu’à la fin lui donner sa propre vie, à sacrifier sa vie pour lui. J’aime beaucoup cet homme qui peut paraître superficiel mais qui malgré sa vanité et son côté très précieux, c’est quelqu’un qui a des principes ancrés très profondément. Il tient au droit des gens, que chacun a droit à la vie et au respect au point qu’il va donner la sienne pour son protégé.
 
Anderson : je vais apporter une réponse que vous attendez à la question. En fait, Stefan Zweig dont je ne me suis inspiré pour ce film mais également pour ce personnage même s’il y a dans la vraie vie une personne qui a été à la source de mon inspiration pour écrire l’histoire de cet homme. C’est vraiment le personnage de Stefan Zweig lui-même dont je ne me suis inspiré. C’est surtout dans ses mémoires dans lesquelles il raconte la vie à Vienne et en Europe avant 1914. Ce livre m’a fait une impression très forte. Il raconte ce monde où il a été au centre de tout ou dans les journaux du matin, vous aviez des textes de philosophie ou de la poésie. C’était vraiment ce monde qu’il a connu un monde auquel il voulait participer à l’évolution et qui va s’interrompre brutalement avec la guerre et la montée de la barbarie. Il a d’ailleurs décidé de ne pas participer à ce monde-là. Je pense que c’est cet aspect de Zweig qui m’a vraiment inspiré dans la création du personnage de Gustave. C’est la réponse que je vous donne, une des possibles réponses
 
 
Q : ma question est pour rester Anderson, le réalisateur Jean-Pierre Jeunet nous dit qu’il a une boîte à idées qui sort et qu’il range à volonté et comme ces films grouillent d’idées je me demandais si il était ce genre de metteur en scène, si collecter ces idées et comment il les développait. Ma deuxième question est qu’il fédère tellement d’acteurs autour de lui, est-ce qu’il va être obligé de créer des scénarios avec de plus en plus de personnages pour pouvoir les inviter à nouveau.
 
Anderson : pour ce film j’ai une méthode un peu différente que celle de Jean-Pierre Jeunet car une fois que j’avais le scénario en tête je me suis mis à voyager pour avoir de nouvelles idées notamment en Tchécoslovaquie, en Autriche et en Allemagne et ce faisant j’ai également rassemblé des nouvelles idées pour de nouveaux personnages. La, j’ai créé une nouvelle boîte à idées où il y avait six nouvelles idées et les nouveaux personnages. C’est plutôt comme cela que j’ai travaillé là-dessus. Quant à l’histoire, pour la deuxième partie de votre question, elle se divise en plusieurs périodes et à chaque période ses acteurs. En plus, ce qui diffère ici des autres films c’est qu’il y a une intrigue est pour les besoins de celle-ci il faut créer aussi et montrer un peu plus de personnages. J’ai eu la chance de pouvoir réunir vraiment tous les acteurs que j’avais eu en tête tous à l’exception près de Madame D. qui est jouée ici par Tilda Swinton car je voulais une actrice qui avait justement 85 ans mais elle n’a pas pu à la dernière minute. Qui mieux que Tilda Swinton pouvait jouer ce rôle ?
 
Q : dans les films de Wes Anderson il y a une véritable grammaire visuelle. Ces films sont directement identifiables par ce souci de la symétrie qui est presque maladif. J’aimerais savoir d’une part si ce trait de caractère c’est quelque chose qu’il  a depuis longtemps, si il est du genre à marcher super droit dans la rue ou mettre une heure à décrocher un tableau pour qu’il soit droit. Tout cela a créé un univers et à fédérer une famille d’acteurs qui revient très souvent. Je pense à Jason Schwartzman , à Tilda Swinton etc. Quels sont les critères pour rentrer dans le monde de Wes Anderson ?
 
Anderson : pour répondre la seconde partie de votre question, chacun des acteurs avec lesquels je travaille sont des personnes dont je suis fan moi-même. Ce sont vraiment mes acteurs préférés. Quand vous êtes dans cette position, c’est presque facile de pouvoir le faire. Pour ce film par exemple une fois que le scénario avait été écrit et prêt je l’ai d’abord envoyé à Ralph et après à Jason, Willem, Tilda et aux autres et c’est vraiment du luxe car je sais que je suis chanceux. Il me faut juste envoyer un e-mail et j’ai la réponse. J’aime travailler et retravailler avec des personnes qui sont mes fans, mais acteurs préférés. Si vous allez voir mon appartement à New York, il est tout en beige, ce n’est donc pas tout ce côté flamboyant que l’on voit dans mes films ou au travers de mes personnages. C’est du contreplaqué dans mon appartement à New York et cela ne ressemble pas du tout à l’image que je donne de moi. Je dis bien mon appartement à New York le reste on ne sait pas. Mon appartement à Paris est nettement plus coloré.
 
 
Q : j’aimerais revenir sur l’histoire du film. J’ai l’impression qu’elle s’est construite comme une partition de jazz avec trois temps, avec des décélérations et des accélérations, une composition des personnages qui figure même les notes. J’aimerais savoir si c’est seulement une impression ou si c’était vraiment une volonté de la part de Wes Anderson de traduire une partition jazzy comme scénario.
 
Anderson : quand j’ai commencé à écrire, je pensais à Stephen Zweig et dans ma tête c’était un rythme lent, un rythme assez doux car au début quand on voit Jude Law on est encore dans ce rythme-là et puis si je n’avais même pas anticipé le changement de rythme avec l’arrivée de Ralph et de l’histoire, l’atmosphère va changer. J’aime beaucoup cette idée de cette impression d’une partition jazzy car il y a l’aspect de spontanéité du jazz.
 
Q : vous mêlez différentes cultures dans le film, il y a de l’américain, du slave, du Britannique, du français. J’aimerais savoir ce qu’il y a derrière ce melting-pot. Avez-vous une attirance pour ces cultures ?
 
Anderson :  au moment du tournage, à l’hôtel nous avions un tas de DVD avec nous qui venaient de toutes sortes de provenance, il y avait beaucoup de films des années 30, de Ernst Lubitsch, Rouben Mamoulian, de Jean Renoir, Ingmar Bergman. Je pense que tous les films que nous avons vus ont une relation à l’histoire du film. Ce film me parle de l’Europe de l’Est. Tous les artistes, toutes ces cultures m’intéressent et le film au niveau du scénario en tout cas quand j’écris mon film reflète bien sur mes intérêts.
 
 
Q : je me demandais en voyant votre film si il ne parlait pas autant de l’Europe, et de ce qui est évoqué ici comme la montée de la barbarie et de l’attitude face à cela que presque un petit peu du cinéma précode Hays et de comment il s’est comporté, quelles étaient ses thèmes et comment un moment il a été quasiment éradiqué ?
 
Anderson :  tous ces films de l’ère précode Hays j’en ai connaissance mais je ne les connaissais pas. Je ne les avais pas vus. Certains sont des classiques mais je ne pense pas à ces films comme faisant partie de ce groupe comme par exemple The Public Enemy (William A. Wellman, 1931). C’est six mois après avoir terminé le tournage que je m’y suis intéressé notamment au travers des comédies musicales de Ernst Lubitsch qui sont des films précode. William Willman faisait quatre à cinq films par an. Les films avec Joan Crawford en font partie. Il y a toute une œuvre comme cela que je commence à comprendre aujourd’hui que j’ai commencé à voir après avoir terminé ce film. Ces films sont faits presque comme des films muets dans le souci du détail dans le montage. Il y a aussi également beaucoup d’anarchie, c’est très drôle. On pourrait prendre par exemple film Three on a Match Mervyn LeRoy, 1932) avec Humphrey Bogart dans lequel celui-ci découvre une femme qu’il pense sniffer de la coke et qui finit par se jeter par la fenêtre. C’est un film extrêmement violent et électrique. Cela n’a pas été une influence sur moi dans la fabrication de ce film et dans l’écriture de celui-ci. Je peux citer aussi Joan Blondell dont je ne connaissais rien d’elle et dont je suis maintenant un fan absolu de cette actrice après avoir vu tous ses films.
 
Q : j’ai une question pour Ralph et j’aimerais savoir quel a été le premier film de Wes Anderson que vous aviez vu, quel a été votre sentiment à ce moment-là sur l’univers cinématographique de celui-ci et comment avait évolué ce sentiment après avoir joué dans un de ses films ?
 
Fiennes : le premier film que j’ai vu de Wes Anderson est La Famille Tenenbaum (2001). J’ai beaucoup aimé ce film. Ce qui m’a beaucoup touché dans ce film est la douleur de cette famille. Je pense que les meilleures comédies sont toujours les comédies qui se basent sur un sujet très sérieux. Chez Wes, la famille est au centre de tous ces films. Wes s’est appuyé là où cela fait mal et il parle de la douleur humaine. Le sujet est toujours dans ses comédies et dans ce scénario ce que je trouve extrêmement touchant et émouvant. J’ai pris extrêmement du plaisir dans ce rôle et cela a été un défi pour moi que cela soit physique et même dans la façon d’être toujours flamboyant dans la joie, dans cet esprit de vitesse comme on en parlait avant. Concernant mon personnage Gustave, j’ai un moment favori dans le film c’est quand face à zéro qui n’a pas trouvé le coffre, ni les déguisements, il avait tout raté, Gustave s’énerve et lui dit tu ferais mieux de rentrer là d’où tu viens est la zéro lui raconte son histoire. C’est une histoire émouvante du XXe siècle. C’est là que je trouve que Wes est absolument génial car il fait cette grande fresque et c’est une histoire vraiment d’aujourd’hui. Ce moment-là qui est pour moi un moment de brillance, question même de la comédie. Gustave se sent complètement humilié fasse à son ignorance et de la manière dont il rejette de garçon après cette histoire véritablement tragique. De la même manière, la famille est également au centre de tout. 
 
 
Avec tous nos remerciements à Constance et Michael de l’agence Cartel
Propos recueillis, photos et vidéos par Mulder.