Table-ronde - Robocop : Notre rencontre avec José Padhila et Joel Kinneman

Par Mulder, Paris, George V, 03 février 2014

Q : Quelle est la plus grande différence avec le film Robocop original ? Que peut attendre le public de ce film

José Padhila : La plus grande différence est que dans celui-ci il n’y a pas Peter Weller. Je plaisante bien entendu. Je plaisante bien entendu. Il y a deux grandes différences. la première est que dans l’original Alex Murphy meurt massacré, il y a ensuite un petit montage et vous obtenez alors un robot. Alex Murphy est mort et il est devenu un robot et il redevient uniquement progressivement humain à la fin du film. Dans notre vision, Alex Murphy se réveille comme étant Robocop, son intellect est intact, sa mémoire aussi, de la même manière pour ses fonctions cognitives. La seconde est que dans l’original, vous avez un homme à qui on dit qu’il est un robot. Dans notre film, vous avez une aventure concernant ce qui fait que vous êtes un homme et à qui on raconte qu’il est un robot et va en devenir un. Cela nous permet d’avoir une approche philosophique sur le fait de définir un homme d’une machine. C’est une approche philosophique même si vous pensez que cela n’en est pas une. Mais, si vous regardez dans la littérature et l’actuelle position de la philosophie, la plupart des philosophes pensent que les hommes ne sont rien d’autres que des machines organiques. Il n’y a pas de choses comme la libre pensée et cela est la position de la philosophie actuelle. Ainsi, nous utilisons le concept de Robocop non seulement pour parler de politique, du fascisme quand vous autorisez toute forme de violence à travers les drones. Les choses dont nous parlons comprennent également une dimension humaine et également la colère et la quête de Alex Murphy et également ce que cela signifie d’être un humain et également sa relation avec sa famille. Je pense que c’est cela la plus grande différence.

Q : j’ai lu dans une interview que Joel avait vu le film original plus d’une vingtaine de fois donc je voulais savoir du coup comment il avait réussi à faire sa propre interprétation du personnage sans être trop influencé ?

Kinneman : il y deux parties dans ma réponse. La première est que c’est un univers tout à fait différent de celui créé dans le film de Paul Verhoeven, cela rend plus simple le fait que l’aventure que vit mon personnage est complètement différente. Il vit dans un temps différent mais ils ont des expériences similaires qu’il traverse également et il devient avec son nouveau corps ce corps robotique. Mais en dehors de cela son aventure est complètement différente. La seconde partie de ma réponse est, malgré le fait que cela aurait pu être identique, cela ne l’est pas.. Je viens du monde du théâtre et au théâtre nous le faisons tout le temps : nous ne pensons pas à la dernière personne qui a joué Hamlet ou Raskolnikok. Vous avez à créer votre propre univers dans un univers existant, c’est cela la particularité du jeu d’acteur même si cela a déjà été fait. Si vous commencez à penser à propos que ce que quelqu’un a déjà fait, vous avez déjà commencé à échouer de toute manière. Mais dans ce cas précis, ce fut particulièrement facile. Si vous comparez les deux films, vous verrez deux films complètement différents mais qui ont certaines idées communes mais en dehors de cela ils ont leurs propres identités.

Q : Une question pour le réalisateur, dans le film Robocop, on a l’impression qu’il n’a pas été construit aux Etats-Unis ou au Japon mais en Chine. Pourquoi la Chine et pourquoi pas la France ?

Padhila: une réponse courte serait que ce travail aurait été nettement plus cher en France qu’en Chine et c’est pour cela que les Etats-Unis exportent leurs usines en Chine depuis déjà longtemps et cette idée a aussi été une satire politique au sujet de l’exportation. Une des choses amusantes est que lorsque j’ai parlé avec Michael Keaton pour la première fois à propos de son personnage Sellars, ce créateur qui a eu l’idée de mettre un homme dans une machine, nous en sommes arrivés que Sellars ne soit pas un mauvais gars dans le sens que les super héros ont leurs ennemis comme le Joker. Cette idée que le joker allait tuer tout le monde, qu’il allait exploser la ville était hors sujet. Nous voulions instaurer un climat réaliste dans le film comme le fait que le méchant de service ne soit pas réellement un mauvais type. Il pense que les machines sont utiles, que les robots sont bons et il veut parfaire sa société. Il veut également faire des profits comme chacun des patrons des grandes multinationales. Nous avons créé ce personnage de la sorte. Michael parlait sans cesse de Steve Jobs, un homme qui a une technologie de pointe et qui a de bons produits comme ceux d’Apple. Mais en même temps Apple extériorise leur production en Chine et quelques fois les conditions de travail de ces employés qui fabriquent ces produits sont en dessous des conditions de travail autorisées et nous essayons de faire un commentaire à ce sujet. C’est pour cette raison que Robocop a été construit en Chine.

Q : Est- ce que vous lisez de comics et que pensez-vous de leur adaptation au cinema?

Kinneman : Je lis rarement des comics. J’ai un ami qui en lit comme un esclave. Mais, Robocop c’est en quelque sorte l’inverse. Le film a été fait et ensuite il a été adapté sous forme de comics. Je pense que la plupart des films qui sont réussis repose sur un préconcept : ils sont basés sur des livres ou des comics. Pour moi, si c’est une bonne histoire, alors c’est une bonne histoire et si quelqu’un vient avec une idée originale ou si quelqu’un utilise une bonne idée et en fait un scénario alors c’est parfait. J’attends de chacun des scripts qu’ils se suffisent à eux-mêmes.

Padhila: j’ai lu tous les albums Astérix. C’est une bande dessinée belge. Mais je lisais des comics quand j’étais enfant pas seulement des Astérix mais pleins d’autres. Je pense que les adaptations live des bandes dessinées Astérix sont criminelles et elles le sont (en plaisantant). Mais cela ne signifie pas pour autant que toutes les adaptations sont nécessairement mauvaises. Depuis toujours, vous savez les films ont leur propre logique, leur propre manière dramatique pour construire une histoire. Quelquefois, on ne fait qu’extraire la trame centrale du comics books dans un film, d’autres fois non et vous pouvez vous poser la question à contrario. Comme a dit Joel à propos de Robocop, Paul Verhoeven en 1987 a réalisé un excellent film. Ainsi le concept a été repris dans ce film. Quand ce concept a été exploité sous format de comics cela n’a pas fonctionné en tout cas selon moi. Cela n’a ni aidé le film ni le comics. J’aime à penser que d’une certaine manière, la caractérisation dramatique d’un média ne peut être traduit sous forme d’un autre média et vice et versa. La même question est aussi valable en ce qui concerne la littérature. Certains livres ont été ou peuvent être adaptés avec succès au cinéma. Il y a ainsi beaucoup de livres qui ont été adoptés. Le livre Catch 22 est un excellent livre et aussi un très bon film mais d’autres livres ne peuvent pas être adaptés au cinéma. Vous ne pouvez pas adapter le livre de James Joyces Finnegans Wake. Déjà que vous avez du mal à comprendre ce qu’il y a dans le livre. Tout cela tourne autour du processus de translation d’une structure dramatique à une autre. Quelquefois cela fonctionne, d‘autres fois non. Cela dépend de l’histoire. J’aime à penser que les meilleurs livres qui ont donné naissance à des bons films sont ceux qui ont une histoire simple et intéressante avec une bonne structure. La voix d’un auteur n’est pas intéressante car c’est souvent plus facile de prendre ces histoires et leur structure pour les placer ensuite dans un scénario. Ainsi, vous donnez une voix différente à la narration car quand les gens sont de grands fans d’un livre ils ont le sentiment que parce que la voix d’un auteur est forte c’est trop difficile à adapter. C’est tout simplement impossible.

Q : J’ai une question pour Joel, j’aimerais savoir comment s’est passé sa rencontre avec Gary Oldman et de tourner avec des acteurs de cette trempe là comme Michael Keaton ?

Kinneman : C’est un rêve qui est devenu réalité pour moi en particulier de travailler avec Gary Oldman et Michael Keaton tout comme Samuel L. Jackson. Juste le fait d’être dans ce film avec ces acteurs que je révère. J’ai vu tous leurs films. Dans certains cas, j’ai même eu à étudier leur manière de travailler. Je devais jouer avec Gary d’une manière opposée à cause de notre connexion dans le scénario et de la manière dont notre relation évolue. Ce fut une des meilleures expériences que j’ai eue de ma carrière et aussi de ma vie. Certaines de ces scènes ont été parmi les plus difficiles dans le film particulièrement celles où on montre ce qu’il reste de mon corps. C’était la scène que je redoutais le plus à tourner. Cela fut le plus grand challenge à cause des émotions qu’elle nécessitait de manière profonde en montrant une anxiété existentialiste et un désespoir. D’habitude quand vous essayez de retranscrire ce type de sentiments, vous voulez utiliser votre corps. Vous pensez toujours à ces moments quand vous êtes le plus anxieux et vous ressentez ce type de désespoir existentiel, d’habitude, vous pincez votre estomac ou vous vous mettez à crier en position fœtale. En tant qu’acteur, lorsque vous essayez de retrouver ces sentiments, c’est très utile d’utiliser votre corps. Cela aide vos émotions à revenir à la surface. Dans ce film, je n’ai pas eu cette possibilité. J’avais ma tête enfoncée dans une armure qui tenait celle-ci en arrière. Lorsque je bougeais ma tête ce que je fais naturellement durant ces sentiments, la prise ne pouvait pas être utilisée. Je devais être complètement droit et tout devait venir de mon imagination. Ainsi, cela a été réellement encore plus difficile dans cette scène. La plus grande aide vint de Gary Oldman. Son regard était toujours plaisant et engagé, cela m’a aidé à traverser ces moments.

Q : Joel, dans le dossier de presse, vous dites que vous étiez entièrement nu sous l’armure. Est-ce vrai ou faux ?

Kinneman : non, j’avais comme sous- vêtement un collant. Ce que je ressentais : la sensation d’être nu. Quand j’étais en train de fantasmer au sujet de ce sentiment d’être amputé de la moitié de mon corps, sentiment avec lequel j’ai abordé ce rôle : ce fut la plus grande sensation d’être nu que je n’ai jamais ressenti, pas d’avoir un corps mais d’en être conscient. Cela m’a fait penser à ces rêves que j’ai eus quand je me suis soudain retrouvé au milieu d’une ville avec des gens autour, des personnes que je connaissais et je n’avais aucun vêtement. Je n’avais aucune place pour me cacher. Le costume me faisait penser un peu à cette sensation quand je marchais autour du lieu de tournage. Mais, pas quand nous étions en train de tourner mais en dehors des prises, je me sentais réellement embarrassé. Mais quand j’essayais de faire ressortir une sorte de psychologie ce que devait ressentir Alex quand il est devenu Robocop, déambuler dans l’espace, le costume est devenu pour moi un instrument trouver le bon état émotionnel. Il a ce merveilleux corps mais il est aussi extrêmement vulnérable. J’ai été réellement surpris que ce costume m’aide à trouver cet état.

Q : Une question pour tous les deux. Si le film fonctionne bien aux box office est- ce que vous seriez partant pour faire une suite ? Peut-être que Joel a déjà signé un contrat pour plusieurs films ?

Padhila: Je n’ai pas de contrat mais Joel oui. La réponse à votre question est pourquoi je fais des films en général et en particulier. Chaque film que j’ai tourné, je les ai tournés pour une raison précise car le cinéma doit vous parler d’un sujet qui vous touche. J‘ai tourné le film Robocop pour cent trente millions de dollars. J’ai aussi fait un documentaire Garapa pour vingt mille dollars que j’ai tourné en cinq ans. Cela m’a pris plus de temps que pour tourner Robocop, cinq ans pour le premier et trois ans pour le second. Pour moi faire un film revient à conquérir un public, de provoquer sa réflexion, quelquefois cela peut provoquer une controverse comme pour le film Troupe d’élite (2007). Dans ces cas, qui sont aussi importants pour moi que pour le public, il y a des sujets qui sont importants pour moi, il y en a plusieurs mais il n’y a qu’un seul cœur à ces sujets. Celui-ci, la principale thématique de Verhoeven est que l’automatisation de la robotisation de la violence ouvre des portes au fasciste et nous devons être attentifs à cela. Qu’est- ce qui pourrait arriver ? Qu’arriverait-il si les Etats-Unis avaient utilisé des robots au Vietnam plutôt que d’envoyer des soldats à la mort. Si vous remplacez des robots par des soldats, qu’arriverait-il ? C’est une question importante. Chaque pays du monde devrait définir sa propre législation et faire avec les progrès de la technologie. Peut-être au Brésil nous avons essayé d’automatiser l’exécution de la loi, peut- être voudriez-vous faire la même chose en France. Il faudra prendre une décision. Les Nations- Unies devront débattre de ce qui est illégal et plus. Robocop a été un concept qui m’a permis d’amener ces idées dans un film pour conquérir une large audience. Ce film avait des effets spéciaux et j’ai convaincu certaines personnes folles de les revoir et de les améliorer. Pourquoi n’avons nous pas eu beaucoup de travail, parce qu’à Hollywood tout le monde est dingue (en plaisantant). Je voulais faire ce film. Si vous me demandez si je ferai la suite de Robocop, ma réponse dépendra du sujet de la suite. Je veux dire par cela que si cela ne concerne pas un sujet qui m’intéresse, je ne le ferai pas. Une telle décision n’a rien à voir avec le succès du film. Le succès d’un film relève du financement et non ce que nous aimerions en faire.

Kinneman : mais comment vont-ils faire un autre film si ses bras sont cassés et qu’il ne peut pas jouer au tennis ? J’ai eu la chance d’interpréter des personnages intéressants aussi bien au théatre qu’au cinéma, des sujets intéressants dans lesquels j’ai dû à traverser des épreuves. Robocop est sûrement le plus intéressant sujet. Bien sûr, j’aimerais continuer à interpréter le personnage d’Alex Murphy et de travailler sur ce qu’il est réellement et de ce qu’il pourrait devenir. Cela dépend du succès rencontré.

Q : J’aurai une question pour les deux. Dans le film original l’agent Lewis est une femme, là c’est un homme. Du coup, est -ce que l’on aurait pu imaginer un Robocop féminin et l’homme un homme au foyer?

Padhila: pourquoi pas. Je trouve que cela est déjà arrivé mais je le ferai dans le prochain film (en plaisantant). C’est un bon concept.

Q : Je pense que mes camarades ont aussi aimé le film et j’ai un problème depuis que j’ai vu le film. J’ai l’impression que lorsque je marche, je marche comme Robocop , est- ce que vous avez le même problème ?

Kinneman : quand j’ai vu le film je devais avoir dix ou onze ans. Ma mère qui était thérapeute voulait que je voie un de ses collègues parce que je n’arrêtais pas de marcher comme Robocop. Donc, j’ai la même expérience. J’avais onze ans et vous quelle est votre excuse ?

Q : Quel est votre meilleur souvenir du tournage ?

Padhila: le dernier jour, non je plaisante. Tourner ce film a été la partie la plus facile. Cela a été plus facile de le tourner que de développer le script et que la post-production pour différentes raisons. Tout d’abord, nous avons eu quelques semaines avant pour répéter avec les acteurs dans un énorme studio vide, une scénariste et une table. Nous avons revu le scénario et fait en sorte ensemble que les choses fonctionnent avec Joe, Gary et Michael et Abbie, ensemble avec les acteurs principaux et nous avons étudié le scénario ensemble. Cela a été fondamental pour mon processus de création en particulier car j’ai toujours travaillé au Brésil par ce processus de répétition. Pour moi une réalisation revient à la manière de raconter visuellement une histoire et tout doit fonctionner dans l’histoire. La caméra ne suffit pas de faire de moi un bon réalisateur. Ce qui constitue une bonne scène n’a aucun sens pour moi. Ce qui importe pour moi est quel est le meilleur angle pour raconter un film. Si la caméra a besoin d’être déplacé alors je la bouge, si la caméra est bien placée alors je le suis aussi. C’est ma façon de voir les choses, c’est aussi ma façon de travailler ensemble sur l’histoire. Je fais cela avec le casting et l’équipe du film. Le studio m’a permis d’amener mon équipe du Brésil comme mon directeur de la photographie. Nous avons un monteur sur le plateau et il était aussi de mes précédents films tournés au Brésil, Eric Newman qui est ici est aussi un ami et un des producteurs du film. Nous avons déjà travaillé ensemble précédemment. Cela fut un environnement où tout le monde pouvait participer à la création du film du chef d’équipe au simple garçon sur le plateau de tournage. Tout le monde travaillait ensemble pour raconter cette histoire, cela faut un tournage plaisant. Quand vous tournez ce genre de film, ce n’est pas si difficile à tourner. Joel a eu plus de difficultés que moi parce qu’il devait porter ce costume qui lui tenait si chaud. Nous devions l’arroser d’eau froide. En conclusion, le tournage a été facile et pas aussi difficile que cela pourrait le laisser croire.

 

Avec tous nos remerciements à Gwenn de l’agence WayToBlue
Propos recueillis par Mulder
Montage vidéo: Mulder