Entretiens - Talal Selhami, dans le cadre du festival du film fantastique de Gérardmer 2011

Par Mulder, Gérardmer, 28 janvier 2011

Dans le cadre du festival du film fantastique de Gérardmer, nous avons eu l’opportunité de faire notre première interview en commun du jeune réalisateur très prometteur Talal Selhami et dont la passion pour le cinéma l’a amené à réaliser plusieurs courts-métrage et son premier film, Mirages.
Gérardmer semble destiné à être un vivier de jeunes réalisateurs qui – malgré des budgets serrés – réussissent pour le plus grand plaisir des spectateurs à nous proposer des films intéressants, certes imparfaits, mais dont la volonté de faire un bon ouvrage est plus que visible à l’écran.

Le réalisateur Talal Selhami

Vous êtes né en France et toute votre jeunesse, vous l’avez passée en France ?

Effectivement, j’ai vécu moins de dix ans au Maroc. Je suis né en France et je suis parti ensuite avec mes parents au Maroc. Quand j’ai eu mon bac, je suis revenu en France et cela va faire presque dix ans que je suis revenu ici.

Côté cinéma, vous êtes passé par une école ?

J’ai fait des études de cinéma à la Sorbonne (Paris I). J’ai fait ensuite un stage auprès de Nabil Ayouch quand j’étais étudiant. Les stages étaient plus faciles à faire au Maroc, mais j’en ai fait aussi à Paris. Dans ce milieu, les stagiaires se font souvent exploiter. J’ai commencé par faire des courts-métrages. Ma première expérience professionnelle de tournage, ce fut au Maroc. Mon court-métrage fétiche, c’est Sinistra, qui est un petit film avec des petits moyens (800 euros) que j’ai pu monter avec une association à Limoges. Ce court-métrage m’a donné confiance, puisque je me disais que je pouvais continuer dans ce domaine. Sinistra a en effet voyagé et a fait plus ieurs festivals. On a notamment assisté au festival de Los Angeles. J’ai ainsi découvert ce monde et j’y ai pris goût en tant que simple spectateur.

Vous êtes ainsi parti au Maroc, parce que cela devait être sûrement plus facile d’y tourner et après, vous avez pu avoir l’opportunité de faire votre premier film Mirages ?

En fait, j’ai développé deux projets de courts-métrages, Le Cercle des illusions et un autre qui s’appelle Oasis. Si tout se passe bien, Oasis sera mon prochain long-métrage. Ces courts-métrages étaient des projets assez ambitieux pour un montage financier en France. Nabil Ayouch qui est aussi producteur m’a approché en me disant qu’il avait une collection de films à faire et en me demandant si cela pouvait m’intéresser. Il m’a présenté ces projets en me disant que le budget était étriqué avec tant de jours de tournage. Le challenge m’a intéressé, j’ai donc décidé de le relever. Comme j’avais déjà eu une expérience de travail au Maroc, ce projet m’a fortement intéressé. Pour moi, aucune proposition pour réaliser un film ne se doit d’être refusée.

Photo gracieuseuté Ali n’ Productions

Que pensez-vous du genre fantastique ?

Je suis tombé amoureux du cinéma à travers le cinéma fantastique. Ensuite, j’ai élargi mon champs de culture cinématographique et je vois actuellement tous les genres de films. L’université de cinéma est une bonne école, car elle présente une multitude de films.

Le projet Mirages fut concrétisé dans le cadre du film de genre ? Si je comprends bien, le scénario ne vient pas de vous, mais c’est une autre personne qui l’a proposé ?

En fait, ce qui s’est passé, c’est que nous avons conçu avec Christophe Mondellet, le scénariste attitré du projet, le scénario définitif. Initialement, cela devait être un huis clos car le budget était très limité. On est parti sur ce principe-là et sur le fait que le Maroc était un pays riche en décors naturels. Certains paysages n’ont jamais été exploités au cinéma marocain alors que de grands réalisateurs américains ont profité de ces décors pour planter leur caméra. On s’est ainsi lancé dans cette aventure. Quand je suis rentré dans l’adaptation du scénario, ce fut plus pour la dimension fantastique.

Il n’y avait donc pas cet apport fantastique dans le scénario d’origine ?

Disons que cette dimension était moins présente. On retrouvait des codes du genre, mais le fantastique à proprement parler – comme les visions – s’est greffé par la suite.

Pouvez-vous nous parler du rôle des hallucinations ?

Même si le film est universel dans son traitement, les personnages sont profondément ancrés dans la culture marocaine, qui peut faire penser à celle d’autres pays en développement. A partir de ce principe-là, nous avons retenu des échantillons de personnes représentatives de la tendance marocaine actuelle. Un des personnages est un fils à papa manquant de valeurs morales, le personnage féminin se reproche d’avoir sacrifié sa mère. Elle est ainsi tiraillée entre deux cultures. Elle aspire aussi à cette liberté féminine, de s’évader, elle est plus individualiste. Je pense que le Maroc est aujourd’hui un pays schizophrène, tiraillé entre le monde occidental avec la mondialisation et internet, alors qu’il aspire en même temps à avoir la même trajectoire que les autres pays.

Le fait que le personnage principal soit un télé-conseiller peut se rapprocher des idées préconçues que l’on peut se faire sur le Maroc ?

Je n’ai pas vu cela comme un cliché. Avant que le film ne commence, on entend un mec qui s’appelle Julien Dupré. On voit sa tête et on comprend ensuite qu’il s’appelle Saïd. Cela rejoint ce que je disais sur le sacrifice de l’identité culturelle. Aujourd’hui pour réussir dans la société, où se joue cette dimension-là ? Quelle est la limite que l’on va donner ? Sous prétexte que l’entreprise est une entité multinationale qui s’installe dans un pays qui n’est pas le sien, est-ce qu’elle peut tout se permettre pour que l’individu qui en fait partie puisse réussir ? Le nom de la multinationale dans le film, Matsuka, vient de moi, car je pensais à l’influence des entreprises japonaises dans le monde. Même si le PDG dans le film n’est pas japonais, c’est normal, comme dans le cas de Sony.

Photo gracieuseuté Ali n’ Productions

Par rapport au métissage linguistique, le film est en partie en français, en partie en arabe. Le personnage de Karim parle lui plus en français, car il a vécu en France et il est revenu ensuite au Maroc. Pourquoi les autres personnages ne parlent-ils pas que arabe ?

Le Maroc, c’est cela aujourd’hui : c’est un pays qui a connu la colonisation et qui a encore une relation assez privilégiée avec la France et vice-versa. La langue française est très présente au Maroc. Le fait de parler français est un moyen de se distinguer des autres. Dans la façon de penser des personnages, cela reste un film marocain à part entière.

Lors de la présentation du film, vous avez parlé d’un jeune étudiant qui s’est immolé publiquement.

En effet, j’ai commencé à en parler mais à vrai dire, j’avais un peu le trac juste avant la présentation de mon premier film. Il s’agit d’un jeune diplômé chômeur médecin, qui s’est tué sur une place publique. On a voulu rendre hommage à cet homme en incluant une séquence dans notre film, mais cela ne s’est pas fait. Il s’agit d’un cri social, c’est là où je pense que le film est d’une façon ou d’une autre un écho de ce besoin d’exister.

Concernant le tournage sur trois semaines, avez-vous des éléments à nous communiquer ?

Le tournage fut en effet compliqué, car on avait pas mal d’ambitions par rapport à la richesse des décors. Il y a plusieurs déserts au Maroc et chacun a sa propre typographie. On était une équipe très réduite et le fait de se déplacer n’était pas une chose facile. On avait pas une grande infrastructure, pas de caravanes qui nous attendaient.

Pour finir, quelles sont vos inspirations, vos films préférés ?

J’adore forcément l’œuvre de Dario Argento, mais je préfère les films fantastiques aux giallos. Suspiria et Inferno sont des classiques.

Photo gracieuseuté Ali n’ Productions

Au niveau du découpage, votre film nous rappelait plus les western spaghettis…

J’avoue être très influencé par ce cinéma. J’ai vu très jeune Il était une fois dans l’Ouest et cela m’a marqué. Sergio Leone n’avait pas son pareil pour présenter ses personnages. De la même manière, Quentin Tarantino a exploité cela encore mieux et fait exister ses personnages, en leur donnant un charisme certain. Toutes proportions gardées, j’ai été très influencé par Shining de Stanley Kubrick que je revois tous les six mois et que j’adore. Il y a un peu de cette double lecture dans mon film, sur le fait que l’on ne sait pas si le désert, comme l’hôtel Overlook, est vraiment hanté ou non. On peut aussi se demander si les personnages vivent réellement ce que l’on voit se dérouler devant nos yeux. Tout est ainsi une question d’interprétation. La chaleur, la solitude, l’isolement peuvent expliquer ces hallucinations. Le désert est le principal personnage de mon film, une sorte de quatrième dimension. Le désert met les personnages à l’épreuve et chacun va être testé. Les plus faibles vont ainsi basculer dans la folie pure. Le surnaturel va se confondre avec le réel et cela explique la scène du fusil.

Propos recueillis par Tootpadu et Mulder, le 28 janvier 2011, au Grand Hôtel, Gérardmer.
Avec nos remerciements à Nathalie Iund.