Table-ronde - Press Junket Il était une forêt

Par Mulder, Paris, 05 novembre 2013

 

Q : juste un petit mot. Est-ce que vous pouvez vous présenter rapidement.

Luc Jacquet : Bonjour je m’appelle Luc Jacquet, je suis réalisateur et je viens vous parler d’un film qui s’appelle il était une forêt

Francis Halle : Bonjour je m’appelle Francis Halle, je suis botaniste à Montpellier et grâce à Luc je suis dans ce film

Q : Il était une forêt est votre troisième film. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de votre carrière ? Comment avez-vous décidé de passer derrière la caméra ?

Jacquet : je n’ai pas décidé de passer derrière la caméra. Cela m’est arrivé par hasard. En fait, j’avais une maîtrise de biologie et j’ai eu une opportunité, à l’époque on faisait le service militaire. J’ai postulé comme scientifique et on m’a proposé de partir en Terre Adélie comme ornithologue. Au moment où je partais, comme j’allais passé plus d’un an sur la base Dumont-d’Urville, un réalisateur suisse m’a téléphoné pour me demander si je voulais faire des images pour un de ses films. Le film s’appelait le congrès des pingouins à l’époque. Je n’avais jamais fait d’images de ma vie. Je lui ai dit que s’il prenait le risque, j’y vais cela m’intéresse. J’ai adoré cela et quand je suis rentré il m’a dit tu devrais continuer, tu as un DEUG. Cela me paraissait tellement improbable de faire du cinéma. C’était à un moment où la télévision faisait énormément de documentaires animaliers, dans les années 90 et du coup j’ai trouvé l’idée pas si bête que cela je n’avais en plus qu’une seule idée en tête c’était de retourner en Antarctique et du coup faire des documentaires animaliers. C’était un moyen pour moi de retourner en Antarctique. Cela a commencé comme cela, aussi simplement que cela.

Q : Luc Jacquet, pourquoi un film avec comme héros des arbres ?

Jacquet : cela c’est la faute à Francis. Je le laisse répondre.

Halle : moi, je travaille sur les arbres depuis le début de ma carrière scientifique. Cela me mène donc dans les forêts équatoriales là où il en a le plus. Je vois les forêts disparaître sous mes yeux dans la durée d’une vie d’homme en fait. Elles ont pratiquement toutes disparues. Secondarisées je veux dire, il y a encore des forêts tropicales mais ce qu’il manque c’est les forêts primaires. Je trouve que j’ai eu beaucoup de chance de tomber sur Luc qui me dit OK on va faire un film là-dessus. Je crois que cela vaut la peine. Cela n’a jamais été filmé. Bien sûr, si cela avait été facile, cela aurait été fait depuis longtemps. Je trouve que c’est bien parce que Luc quand il est tombé sur quelque chose d’infaisable cela me stimule considérablement et il développe des qualités d’imagination et création que j’admire. Cela vous explique bien ce qu’il faut faire dans l’avenir, le mettre devant des impossibilités.

Jacquet : c’était aussi un moment dans ma carrière où j’ai eu vraiment le sentiment d’avoir une chance inouïe entre Le renard et l’enfant et La marche de l’empereur. Ces succès m’ont permis de me mettre aujourd’hui au service de causes que j’estime fondamentales qui aident à arriver à expliquer le monde dans lequel on vit et surtout faire comprendre et faire ressentir aux spectateurs des enjeux qui sont primordiaux aujourd’hui dans les décisions que l’on va prendre sur la survie de notre espèce sur cette planète. C’était vraiment une synergie entre moi qui avais envie de m’engager davantage et le désir de Francis de témoigner sur les forêts primaires et effectivement cela a commencé comme cela. L’idée était aussi de faire des films qui ont du sens, qui servent à quelque chose dans une certaine manière.

Q : justement après un film comme La marche de l’empereur avec des animaux, un film comme Le renard et l’enfant avec des animaux et des humains aussi, là vous faites un film où il n’y a pas d’humains, pas d’animaux….

Jacquet : c’est sympa pour Francis.

Hallé : merci.

Q : .. Où il n’y a pas de héros humains je voulais dire et du coup comment avez-vous appréhendé le fait d’avoir juste comme acteur la nature

Jacquet : cela c’est vraiment ce que moi j’ai ressenti quand j’ai été la première fois en Guyane avec Francis. C’est-à-dire sur ce premier voyage que nous avons fait pour nous connaître. Je n’avais jamais été en forêts tropicales. Moi, ce qui m’a plus dans cette histoire-là est de revisiter le monde du point de vue des arbres. Alors dit comme cela ça peut faire hurler de rire sauf que quand vous commencez à gratter un peu et Francis m’a abondamment documenté là-dessus, vous apercevez que les arbres tirent littéralement la ficelle de toute la vie de la forêt. C’est eux qui manipulent les animaux, c’est assez inattendu comme idée mais quand vous commencez à réfléchir sur le génie déployé au moment de la fructification, au moment de la polénisation de la forêt, quand vous voyez que les arbres sont capables de lutter entre eux ou de coopérer, que ce sont des mondes qui sont emboîtés les uns dans les autres. Là, il y a un monde qui est absolument prodigieux et je me dois si je veux être fidèle à ce récit de rentrer dans leur point de vue c’est ce qui était inattendu. Faire le énième film sur le scientifique qui se promène dans la forêt cela allait être passionnant mais à mon sens déjà vu alors que vraiment ce décalage passé du point de vue des arbres et rentrer à la fois dans un temps et dans une stratégie complètement inconnue, là à la fois il y avait le défi et le plaisir de ce film.

Q : pourquoi avoir choisi d’utiliser autant d’infographie dans le film ?

Jacquet : parce que je n’ai pas le temps de tourner pendant plusieurs siècles et malheureusement la vie humaine est trop courte pour voir pousser les arbres. Moi, j’avais besoin d’embarquer les spectateurs dans un monde qui n’est pas le nôtre et qui est pourtant là devant nos yeux, le monde des arbres. On sait tous que quand on a un bourgeon sous nos yeux et on sait qu’il va se développer et le lendemain on va passer c’est devenu une fleur sauf qu’ on aura manqué à mon sens l’essentiel, la beauté de ce moment-là. Comme on a parlé effectivement des bourgeons, moi, j’avais aussi envie de voir les arbres pousser. Pour moi il y a un prodige, c’est quelque chose qui nous échappe mais en me disant si on rentre dans un temps différent si un jour intellectuel vraiment stimulant, c’est Francis qui m’a amené là, il m’a dit imagine qu’ une heure soit une année, imagine qu’ une heure soit dix ans, qu’ une heure soit un siècle. Chaque fois que je faisais passé d’un cran, je voyais effectivement un visage de la forêt qui était complètement différent. Là, j’avais deux stratégies soit je passais sur une infographie très proche de la réalité et là j’allais lutter contre le monde réel qui est extraordinaire beau et une infographie qui allait être toujours à la traîne ou est-ce que je reprenais à mon compte cette qualité de botaniste qui est de dessiner justement, de raconter, d’interpréter le trait pour le prolonger pour nous amener justement dans ce monde végétal et c’est le choix que j’ai fait.

Q : Le tournage s'est déroulé au Pérou (parc de Manu), au Gabon et en France, dans l'Ain, parc des oiseaux. Quel fut pour vous le lieu le plus difficile à couvrir ?

Jacquet : en fait dans l’Ain, je voudrais rétablir une vérité, on a tourné quelques scènes de studio extrêmement précises, c’est-à-dire de toutes petites choses. Grosso modo, c’est quelques jours , sept semaines au Pérou et six semaines au Gabon. Tout cela est sans commune mesure. C’est vraiment des lieux que nous avons choisis ensemble. Il s’agissait d’aller là, dans les grands sanctuaires de forêts sauvages. On a beaucoup repéré au préalable, c’est-à-dire que nous sommes allés au Pérou dans différents parcs. On est allé la malheureusement ou il reste ce genre de forêts là parce que le choix est assez simple.

Q : Francis Hallé, en 2003, vous nous alertiez sur la disparition des forêts primaires où en est-on aujourd’hui ?

Hallé : en 2003, oui je me souviens, en première page du Monde avec un collègue de Toulouse et Hulot. C’est triste à dire mais l’exploitation forestière n’a fait que s’accentuer. Tout se passe comme si en face des derniers morceaux de forêts primaires les coupeurs de bois se disaient allons y le plus vite possible d’abord parce que cela touche à sa fin ensuite j’ajouterai parce qu’il semble qu’il y a une prise de conscience écologique dans la population et qu’ils subodorent que cela ne va pas pouvoir durer indéfiniment. Bref, la courbe ne s’est pas calmée depuis cet écrit-là, cela s’est plutôt aggravé. Il faut rajouter aussi le développement de la Chine et l’avènement des agro-carburants, tout cela est au détriment des dernières forêts.

Jacquet : il faut aussi mentionner la quête de l’ivoire, la quête de l’or qui ont pris des proportions absolument effarantes et qui contribuent encore à cette espèce de cercle vicieux dans lequel on est sur les questions de fond.

Q : justement le film, on ne sent absolument pas de message moralisateur à l’intérieur par rapport d’autres films sur la nature alors quel message avez-vous envie de faire passer par ce long métrage ?

Jacquet : des messages il y en a plusieurs. Personnellement j’essaye de reprendre le problème à la base c’est-à-dire plutôt que de renvoyer vers le public un message culpabilisant ou moralisateur, désespérant sur ces forêts-là, j’avais envie de reprendre le b.é.ba c’est-à-dire c’est quoi une forêt primaire. Quand vous êtes ici les forêts tropicales sont très loin, ce sont des choses un peu inaccessibles, un peu mystérieuses pour ne pas dire un peu fantasmées. L’idée était encore une fois de redire aux gens regardez ce truc c’est prodigieux et dans l’espérance de se dire mais peut-être que si le grand public comprend, peut-être que si il s’attache à ces forêts il va faire attention à ce qu’on ne finisse pas à les détruire. C’est vraiment ce parti pris de l’empathie que je vis sur ce film- là mais aussi celui de la connaissance, celui de l’émerveillement. On s’est attaché avec Francis à raconter une histoire pour que ce film soit accessible au plus grand nombre. C’est bien aujourd’hui vers les enfants qu’il faut se tourner pour arriver à faire avancer ces questions-là. Voilà c’est cette utopie, cette ambition autour de ce film, faire un film encore une fois qui porte un sens mais qui a aussi une valeur patrimoniale très forte des structures.

Q : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration de longue date avec la compositrice Emily Loizeau, qui a composé de nouveau la chanson du générique de votre film ?

Jacquet : vous semblez confondre avec Émilie Simon car c’est elle qui avait fait La marche de l’empereur. De compte il n’en reste pas moins que cette collaboration a été très agréable. Emily Loizeau est quelqu’un de très investi sur cette alerte pour la nature, cette empathie qu’elle a pour la nature. Elle nous a très gentiment offert ce titre du film qui est pour elle une espèce de contribution à la cause que l’on défend. Cela a été un plaisir. C’est quelqu’un que je vous recommande et de suivre ses concerts. Elle est vraiment singulière. Elle sera là ce soir (voir notre courte interview également ici).

Q : justement il y a une chanson d’Emily Loizeau dans le générique de fin mais comment s’est passé le choix de la musique, la conception de la musique qui est omniprésente tout au long du film. Comment avez-vous travaillé dessus ?

Jacquet : oui omniprésente, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous mais en tout cas qui a un rôle narratif extrêmement important tout comme le son. On a veillé justement à ce que la musique ne soit pas omniprésente. Pour moi le son au cinéma et quelque chose de fondamentalement important justement dans ces films qui sont à mon sens plus impressionnistes que descriptifs. J’avais vraiment envie de faire partager l’émotion que j’ai pu ressentir avec Francis dans les grandes forêts tropicales ne serait-ce que des choses tout aussi basiques, cela fait quoi d’être au pied d’un géant qui fait 80 m de haut et qui vous domine de toute sa taille. Il faut arriver à faire ressentir cela. C’est aussi un film qui est expérientiel et à côté de cela au lieu d’ajouter des mots et de décrire je préfère faire ressentir et à ce titre la musique et le son ont quelque chose de capital pour moi.

Q : avez-vous rencontré des difficultés pendant le tournage ? Je présume que tourner en pleine forêt cela doit avoir pas mal de surprises ?

Jacquet : des centaines par jour à commencer par la nature des arbres, une nature sans doute immobile quand on est à l’échelle de temps dans laquelle on vit, leur verticalité vs l’horizontalité de la caméra mais aussi la densité de la forêt, il est extrêmement difficile de mettre quelque chose en avant. Tout le travail était d’arriver à aiguiser le regard du spectateur pour qu’il puisse voir ce qui était pertinent de voir dans cet amas végétal. C’était très complexe. Après il y a des difficultés qui sont de l’ordre de la logistique quand vous allez tourner aussi loin. Je prends l’exemple du Pérou où on était à sept heures du premier village. Quand je vous parle d’un village c’est quelques huttes. C’est un vrai défi logistique mais pour moi il était important qu’ on aille le plus loin possible dans ces forêts sauvages pour simplement témoigner, dire voilà à quoi cela ressemble. Nous ne sommes pas dans une serre au parc géologique voisin.

Q : Votre film est distribué en France par Disney Nature . Pouvez-vous nous parler en détail de cette collaboration ? Le titre initial de votre film La Forêt des pluies est devenu Il était une forêt. Est-ce le résultat de cette collaboration ?

Jacquet : non, je vous interromps encore, je suis désolé au risque d’être un peu censeur mais le film est distribué par The Walt Disney Company France. Non, ce n’est pas la manipulation de Disney (ton humoristique)… C’est vraiment un choix personnel. Je vais vous mettre très à l’aise par rapport à la collaboration que j’ai avec Disney. C’est la troisième fois que l’on conçoit un film ensemble donc c’est plus qu’une complicité à ce niveau-là. Un film comme cela n’est pas une évidence pour un studio de cette dimension-là, une dimension extrêmement personnelle, d’engagement collectif autour du film. Non c’est un choix, je trouvais que le titre La forêt des pluies n’avait pas assez la dimension de conte que j’en espérais. C’est marrant ce soupçon d’influence, je n’ai jamais été influencé sur le titre. Personne n’est venue me dire que mon titre n’était pas assez bankable. Je crois que l’on a encore la chance aujourd’hui sur un cinéma qui est indépendant, un cinéma réaliste mais qui est indépendant.

Q : justement la collaboration avec Disney, Disney distribue mais n’est pas intervenu dans la production

Jacquet : vous avez raison de le souligner effectivement

Q : dans le film il y a une scène impressionnante d’un arbre qui meurt et qui tombe. Comment cela a été possible de filmer cette scène ?

Jacquet : on avait deux choix en fait. C’était soit se poster dans une forêt en attendant qu’un arbre nous tombe dessus ce qui arrive, je crois que tu as vécu cela d’ailleurs en parlant à Francis) soit on est allé dans un chantier forestier car plus sérieusement il nous fallait absolument pouvoir travailler la mise en scène de ce film, en tout cas la disposition des caméras donc on est allé filmer un arbre qui est malheureusement condamné. On a mis cinq caméras autour, on tournait simultanément et je suis très fier du travail qu’a fait l’équipe sur ce plan d’ailleurs. Cela se passe de manière très rapide. C’est très efficace en plus. Il y avait l’ émotion en plus car cela faisait quatre mois que l’on travaillait sur les arbres. D’être là au moment où vous savez que l’arbre va mourir, on était aussi ému que si c’était mais je ne veux pas dire un être humain mais en tout cas un animal. C’était une séquence qui était extrêmement chargée même compliquée pour nous car on n’ avait pas envie de cela. Il empêche que les arbres tombent, meurent de leur belle mort en tout cas dans les forêts primaires, c’est quelque chose qui est vital pour la régénération mais tu peux peut-être nous en dire davantage.

Hallé : on avait besoin de cette chute d’arbre car c’est l’indice que la forêt est arrivée à son état le plus avancé. Les arbres commencent à mourir. C’est naturel. Il y en a un par an et par hectare à peu près qui tombe dans une forêt primaire. Cela remet tout en question. La lumière arrive au sol. Tout repousse sous un jour différent. On avait besoin de cette scène-là. De toute façon l’arbre allait tomber autant que cela soit pour nous.

Q : comment s’est passé le tournage, aviez-vous scripté le film ou avez-vous posé les caméras et du coup essayé d’avoir le plus d’ images possibles et voir après comment vous alliez les utiliser pour raconter votre histoire.

Jacquet : vous avez raison de le souligner le film était entièrement storyboardé puisqu’ on a passé presque une année et demie avec Francis a écouté des collections scientifiques pour savoir ce qui était pertinent car c’est un sujet qui est extrêmement vaste que vous pouvez très vite vous y perdre au sens propre comme au sens figuré du terme. Le film était parfaitement storyboardé. On savait vraiment ce que l’on allait chercher. Il nous manquait juste le dernier degré de précision c’est-à-dire que Francis avait prit soin de m’expliquer, si tu cherches quelque chose en forêt tu peux être sûr que tu ne le trouveras pas en revanche tu vas trouver quelque chose d’aussi bien juste à côté de ce que l’on n’avait pas prévu. On avait mis des postes. Par exemple on va parler de la pollinisation et on ne dit pas je vais chercher telle espèce sur telle fleur. On s’est dit on va mettre une caméra qui est une caméra animalière qui va aller chercher l’opportunité et c’est comme ça par exemple que l’on a cette scène de pollinisation incroyable du petit singe qui va aller laper le nectar dans cette fleur de liane qui est absolument prodigieuse et tout le film a été agencé de cette manière-là. Cette scène était extrêmement écrite et d’autres dont on connaissait le cadre, on avait un objectif précis mais on n’en avait pas la matérialisation je dirais sous forme d’espèces très précises. La forêt est extrêmement vaste avec des opportunités comme celles-là vous en avez tout le temps.

Cette interview a été menée en collaboration avec le site CinéCoulisses et le blog Disney News.

Propos recueillis par Mulder, le 05 novembre 2013.
Avec nos remerciements à Julie et Charlotte de l’agence Heaven et à Aude Thomas, attachée de presse Walt Disney Studios Motion Pictures France.
Vidéo et photos : Mulder