Cheyennes (Les)

Cheyennes (Les)
Titre original:Cheyennes (Les)
Réalisateur:John Ford
Sortie:Cinéma
Durée:146 minutes
Date:28 octobre 1964
Note:
Du millier d'Indiens de la tribu des Cheyennes qui ont été emmené de force dans un territoire aride à des centaines des kilomètres de leur terre natale, il ne reste plus que trois cents, un an plus tard, en 1878. Les autres sont tombé victime des maladies ou des mauvaises conditions de vie, en attendant en vain l'application des promesses venues de Washington. Quand les Cheyennes se font une fois de plus humilier par les politiciens qui ne daignent pas venir à leur rencontre, leurs chefs décident de partir de leur réserve et de rejoindre, coûte que coûte, la terre de leurs ancêtres. Il s'ensuit un périple long de plusieurs mois et marqué par la famine, qui laissera cette communauté, autrefois fière et guerrière, exsangue.

Critique de Tootpadu

Selon la légende, John Ford aurait décidé de réaliser vers la fin de sa carrière un film qui rendrait hommage aux Indiens, après en avoir massacré autant au cours de son immense filmographie. Et ses intentions apparaissent presque un peu trop dans cette fresque au ton profondément solennel. Avec leurs moyens de fortune et leur volonté inébranlable, les Cheynnes peuvent paraître comme les victimes impuissants d'un système qui ne se soucie plus du tout d'eux, qui les considère comme une nuisance qui entrave l'essor de l'Amérique commerciale. Mais la sympathie du cinéaste, et par conséquent la nôtre, est toujours de leur côté. Il émane une noblesse impossible à ignorer du récit de leur voyage éprouvant, justement ce ton solennel qui dépasse les nombreuses inégalités du film.
Car ce dernier western du maître incontesté du genre séduit plus par ses défauts que par sa volonté un peu trop affichée de relayer la dernière cavale des Indiens, à défaut de pouvoir montrer ce peuple exterminé dans toute sa gloire. La faiblesse est avant tout structurelle et elle se perpétue tout au long de l'oeuvre à travers des éléments récurrents. Ainsi, le personnage de la jeune femme Quaker, interpreté en plus par une Carroll Baker entièrement impliquée dans le pathos de son rôle, plombe le récit au lieu de lui donner un aspect de transmission, de communication entre les deux groupes opposantes. Décidément la bonne conscience du film, qui énonce l'injustice faite aux Cheyennes, cette soeur Deborah devient vite pénible dans son emploi sans reproche, et finalement sans profondeur. De même, sa relation avec le capitaine Archer est des plus conventionnelles, et traitée avec ingratitude, comme lors de ce demande en marriage original mais sans aucune suite. Enfin, son thème répétitif de l'apprentissage de la langue anglaise aux enfants indiens devient vite agaçant.
Ces motifs qui reviennent, le film en est truffé, sauf qu'il y en a autant qui marchent que ceux qui lassent trop rapidement. L'erreur d'Archer sur le nom commun d'un de ses subordonnés, par exemple, peut encore faire sourire les premières fois, mais devient anodine par la suite au point de passer pratiquement inaperçu. Le choix de quelques dispositifs est également peu heureux, telle l'obligation de passer chaque fois par le personnage de la femme espagnole afin de comprendre les décisions des Indiens. Mais d'un autre côté, cette forme aussi contrainte que foisonnante permet un plaisir de la digression, qui a pratiquement disparu de nos jours. Comment ne pas apprécier en fait cet épisode autour de Wyatt Earp, joué par un James Stewart merveilleusement caustique, qui casse complètement le rythme et le ton tragique de l'ensemble ? Peu importe les intentions initiales pour cette paranthèse, conçue comme remplacement d'un entracte d'usage pour les films longs à l'époque, et peu importe aussi sa forme probablement tronquée en vue de la durée du film dans son pays d'origine, de dix minutes plus long, elle reste un moment exceptionnel d'humour décalé dans l'oeuvre de Ford. En tout cas, cette apparition éclaire de Stewart et Arthur Kennedy est infiniment plus satisfaisante que celle de Sal Mineo, pourtant nommé en quatrième position au générique, qui doit se contenter du petit rôle peu enviable du jeune indien agressif. Enfin, il y a toujours ce plan de circonstance sur la ligne de cavaliers filmé de dos, vers la fin, qui est une fois de plus du plus mauvais effet, malgré sa justification probable (l'indisposition du vieux Edward G. Robinson de tourner en extérieur).
Certes, les imperfections sont nombreuses dans ce film, mais elles nous permettent de mieux apprécier les qualités d'autant plus éclatantes. Comme ces images d'une incroyable beauté, ce souffle épique ou cet attachement très particulier de Ford aux traditions. Cette chaleur humaine qui baigne la plupart des oeuvres du réalisateur fait aussi son effet ici et rend ce film, s'il est loin d'être parfait, un morceaux précieux dans le diadème de son créateur.

Revu le 20 mars 2005, au Forum des Images, Salle 300, en VO

Note de Tootpadu: