Edukators (The)

Edukators (The)
Titre original:Edukators (The)
Réalisateur:Hans Weingartner
Sortie:Cinéma
Durée:129 minutes
Date:02 février 2005
Note:
Pour exprimer leur désaccord avec le système capitaliste en Allemagne, Jan et Peter s'amusent à rentrer dans les villas des riches autour de Berlin, et, sans voler quoique ce soit, à déplacer les meubles et à laisser un message qui est censé miner l'impression de sécurité des plus favorisés. En même temps, Jule, la copine de Peter, croule sous les dettes et doit travailler comme serveuse dans un restaurant de luxe. Afin de remonter le morale de la jeune femme, Jan lui propose de participer à un de ces casses contestataires. Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu ...

Critique de Tootpadu

La mise en question de notre système social, capitaliste, n'est plus d'actualité sur les écrans de cinéma depuis très longtemps. A une époque où la seule conscience sociale se retrouve dans le cinéma documentaire, le champ fictif se contente soit d'histoires touchantes à un niveau isolé, personnel, soit de films-à-thème qui se servent d'un fléau social pour donner du poids à une intrigue qui en manquerait autrement. Mais même cette forme de contestation ne fait que constater dans le cas du documentaire, ou bien colporter dans la fiction.
Parmi la non-fiction militante, dont l'exemple récent le plus réussi était le Mémoire d'un saccage de Solanas, il y a certes certaines qui relèvent des problématiques vitales, des dangers sociaux graves. Par contre, si leur constat peut paraître juste, le message d'une solution alternative qu'ils s'efforcent de transmettre parfois est trop souvent lourdement didactique. Serait-ce parce que la démarche du documentaire est de chercher et d'interroger ce qui existe et non pas d'imposer une idée de départ immuable ?
Quant à la fiction, elle se borne dans l'immense majorité des cas à seulement enregistrer les joies ou les peines fictives de personnages posés dans un contexte social précis. Car, point important, pour que la contestation sociale au cinéma ait un quelconque impact, il faudrait traiter de cas de figure contemporains, en prise directe avec le vécu du spectateur. Regarder un film sur l'esclavage ou le massacre des Indiens d'Amérique peut alors nous toucher émotionnellement et, indirectement, nous instruire, cependant, dans notre vie quotidienne, ces événements culturels du passé n'auront guère de répercussions immédiates et tangibles.
Nous avons placé toutes ces remarques en exergue afin de mieux faire partager notre impression que ce film allemand, un des derniers de la compétition cannoise de 2004 à sortir en France, est un retour singulier, et à son propre niveau révolutionnaire, à une forme de cinéma indispensable, qui avait néanmoins disparu depuis plus d'un quart de siècle. Le lien qui raccorde ce conte de rebelles post-modernes à l'après '68 ne se limite en effet pas au simple passage entre les générations, évoqué amplement dans le scénario. Ce film exceptionnel s'avère davantage comme un reflet éclairé, voire désabusé, du militantisme d'antan. Une de ses forces éclatantes consiste justement à ne pas se prendre à son propre jeu. Ainsi, le trio de protagonistes dispose évidemment de valeurs idéalistes fortes, mais en même temps il ne se fait pas trop d'illusions sur le résultat dérisoire de ses actions (manif, effraction, défense des défavorisés). En quelque sorte, la récupération du sursaut culturel de '68 a servi au reveil des rebelles d'aujourd'hui, qui tentent d'éviter les pièges d'autrefois, tout en se rendant compte d'une absence de but. La complexité des interrogations du film se manifeste alors à travers les incertitudes des personnages. La mise à l'épreuve de leurs valeurs en raison d'une suite de situations imprévisibles fonctionne par conséquent en tant que questionnement constant et sans illusions.
Au-delà de sa richesse de fond, ce meilleur film allemand depuis longtemps - dans la limite des rares oeuvres qui sont distribuées en France - cache également quelques perles formelles. Cela concerne moins son aspect visuel fièvreux et tributaire du numérique, que l'interprétation sans faille et surtout, cette inclusion magistrale d'une chanson de Leonard Cohen pendant les dix dernières minutes du film.

Vu le 18 février 2005, au Lincoln, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu: