Etrange incident (L')

Etrange incident (L')
Titre original:Etrange incident (L')
Réalisateur:William A. Wellman
Sortie:Cinéma
Durée:75 minutes
Date:00 septembre 1948
Note:
Dans une petite ville du Nevada, l'annonce de la mort d'un fermier, lâchement assassiné par des voleurs de bétail, met la population en émoi. Malgré les appels au calme du juge, une expédition punitive est assemblée qui n'a qu'un seul but : lyncher les coupables dont on a retrouvé la trace. Lorsque la foule retrouve un petit groupe de cowboys en possession des bêtes de la victime, elle ne veut rien entendre de leurs exclamations d'innocence.

Critique de Tootpadu

La justice ne dépend pas de l'approbation de la majorité, mais du respect de la loi en quête d'un jugement équitable. Ce western d'apparence mineure, qui dispense cependant une leçon sur la nature humaine aussi simple qu'irréfutable, démontre que le pouvoir physique n'autorise en aucun cas la suprématie morale. Il décrit également une situation dans laquelle la minorité bienveillante se fait saboter par son propre code de conduite. Face à l'hystérie de la foule, les seuls moyens d'opposition à la disposition des têtes réfléchies s'avèrent cruellement inadéquats. Observer, consoler et émettre son veto, ce sont là des tactiques d'une impuissance consternante en comparaison avec la détermination aveugle des lyncheurs. Et par leur association récalcitrante, les rares personnages modérés asseoient encore plus la légitimité douteuse de l'expédition. De ce dilemme de convictions ébranlées et d'actions d'une passivité désespérée, rien de bon ne naîtra puisque le dénouement est particulièrement pessimiste, même pour un film produit au cours de la période la plus noire de la Deuxième guerre mondiale.
Le propos de cette excellente critique sociale amère ne se laisse cependant pas limiter au seul contexte des années 1940. Il renferme des considérations bien plus universelles sur la responsabilité humaine et le comportement individuel dans le cadre d'un mouvement de foule. Outre l'accusation d'une action irréfléchie qui n'obéit qu'aux instincts les plus bas, il s'attaque à la lâcheté et à l'impuissance des justes. Ainsi, ceux qui sont dès le début très dubitatif envers le bien fondé et l'exécution de la mission impulsive finissent avec les remords les plus douloureux et la tentative de réparation la plus pressante. En somme, il s'agit d'une interrogation capitale qui aura une resonance encore plus cruciale à la fin de la guerre et la découverte des camps d'extermination : celui qui ne fait rien mais qui est au courant du mal qui est commis ou qui s'en doute tout au moins, ne porte-t-il pas également une part de responsabilité ?
D'une facture très sobre et élégante, comme lors de ce même plan qui ouvre et clôt le film, ce dernier compte parmi les quelques chefs-d'oeuvre du cinéma hollywoodien engagé. D'une thématique semblable au Fury de Fritz Lang, d'une tristesse lucide comme son contemporain Les Raisins de la colère de John Ford, avec un Henry Fonda là aussi très convaincant en héros réticent et calculateur jusqu'à un certain point, d'un pessimisme sans éclat comme Le Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann, et enfin, d'une compréhension de la justice aussi éclairée que dans Douze hommes en colère de Sidney Lumet, il s'agit là d'un film essentiel qui met en lumière le côté peu glorieux de chaque être humain.

Revu le 9 décembre 2005, au Mac Mahon, en VO

Note de Tootpadu: