Alexandre

Alexandre
Titre original:Alexandre
Réalisateur:Oliver Stone
Sortie:Cinéma
Durée:175 minutes
Date:05 janvier 2005
Note:
La vie d'Alexandre le Grand, narrée par Ptolémée : de son enfance à sa mort, des cours d'Aristote aux conquêtes qui firent sa légende, de l'intimité aux champs de bataille. Fils du roi Philippe II, il soumit la Grèce révoltée, fonda Alexandrie, défit les Perses, s'empara de Babylone et atteint l'Indus pour établir à 32 ans l'un des plus grands empires ayant jamais existé.
(Source Allociné)

Critique de Tootpadu

La vision qu'Oliver Stone nous présente du plus grand empéreur est fortement personnelle. Nul besoin d'être un spécialiste en histoire ancienne pour se douter que l'interprétation du cinéaste ressemble plus aux préoccupations de ce dernier qu'à l'existence réelle, lointaine d'Alexandre. Cela n'implique par contre nullement que ce péplum est sans intérêt ou incompétent. Au contraire, en tant qu'expérience cinématographique, cette première épopée d'un réalisateur qui approchait l'Histoire sous un angle plus réduit auparavant, a tous les mérites pour accéder à ce niveau rare d'un film à grand spectacle intimiste. Depuis le Cléopâtre de Mankiewicz, il ne nous a pas été donné d'être autant fasciné par une oeuvre très atypique pour son genre, mais néanmoins magnifique. Au point que l'échec cuisant du film aux Etats-Unis nous fait presque mal, sans vouloir recourir aux tentatives d'explication plutôt désespérées de Stone.
Le héros du film est probablement l'un des personnages les plus ambigus de ces dernières années. Pour une fois, cette incertitude ne s'applique pas à ses préférences sexuelles, puisque les pratiques bisexuelles d'Alexandre, s'ils ne sont pas explicitement montrées, sont au moins clairement désignées. Non, là où le protagoniste approche le mystère, c'est dans l'incertitude de son caractère, dans la multitude des pistes de réflexion qui ne débouchent, en fin de compte, que sur un point d'interrogation. Quelles étaient les ambitions de ce maître de guerre dont le royaume s'étendait plus qu'aucun autre avant ou après lui ? Etait-il réellement un fils traumatisé par sa mère, repoussé régulièrement par son père qu'il adulait jusqu'à un certain point ? Cette force qui le poussait toujours plus loin, était-elle la peur du vide, de la solitude, de la déception des attentes de sa mère ? A toutes ces questions, parmi d'autres, Stone refuse de nous donner des réponses claires et toutes faites. Dès le récit cadre - ce vieux narrateur qui ne sait plus que croire au bout de son histoire - , il nous laisse dans l'incertitude, nous présente des indices d'approche qui sembleront caduques au prochain changement de statut d'Alexandre. Peu importe alors que le héros perd parfois ses attributs, qu'il commence à ressembler à un faible, son portrait est bien plus intriguant et perturbant que celui des autres surhommes des péplums récents, davantage engagés dans un combat aussi glorieux qu'insipide. On ne peut plus s'empêcher alors de penser au Ludwig de Luchino Visconti, un autre tableau somptueux au message aussi peu clair et défini.
Si le sujet du film est dominé par des mises en question d'un mythe, sa forme n'a strictement rien d'incertain. Exceptionnellement sobre pour le grand adepte de la débauche stylistique (même si ces cas extrêmes se justifiaient amplement par le thème traité (Tueurs nés)), cette oeuvre est l'exemple parfait de la plus grande efficacité avec des moyens relativement réduits. Cette restriction s'applique d'abord aux scènes de combat, limitées au nombre très peu élevé de deux. Cependant, ces deux séquences magistrales suffisent pour convoquer l'esprit guerrier du protagoniste, laissant le reste de l'histoire aux intrigues et à l'avancée presque ininterrompue des troupes. Surtout le premier affrontement contre le roi Darius est d'une force et d'une vigueur époustouflantes, qui dépasse même en intensité et en durée celui qui ouvre Gladiator, malheureusement la référence contemporaine en la matière. L'emploi très judicieux des effets spéciaux et la musique solennelle de Vangelis font que cette séquence trône comme une pièce maîtresse sur l'ensemble du film, rendant tout besoin d'une bataille supplémentaire superflu. Qu'il y en ait une, à l'opposée de la campagne d'Alexandre, correspond autant à la logique narrative (le début glorieux / la fin humiliante) qu'à un seul et unique faux pas stylistique. En effet, cette séquence rouge constitue la seule débauche formelle du film, une exagération en termes de couleurs de laquelle le reste aurait très bien pu se passer. Nous voulons bien croire que Stone a ressenti la nécessité de dénaturer cette partie, mais la rupture narrative aurait probablement pu être accomplie sans altérer la photographie sublime de Rodrigo Prieto.

Vu le 13 janvier 2005, au Max Linder, en VO

A la deuxième vision de ce film toujours aussi excellent, outre une meilleure compréhension des rapports entre les personnages et de l'apport des seconds rôles, il se dégage surtout un meilleur aperçu de la structure fondée sur la dualité. Alors que les oppositions entre le père et la mère et entre la peur et le courage étaient évidentes dès le début, la relation entre le soleil et la lune a gagné, pour nous, en cohérence et en intérêt. Dans ce contexte, l'éclairage de la photo ajoute une souche supplémentaire à l'existence mi-ténébreuse, mi-lumineuse d'Alexandre. A de nombreuses reprises, ce dernier apparaît en effet entouré d'une sorte d'auréole intégrale, s'il ne naît pas carrément de la lumière. C'est cet apport quant à la construction de l'image (y compris le positionnement révélateur des personnages) qui confirme notre première impression d'une mise en scène magistrale.
Enfin, Alexandre est sans aucun doute un film typiquement stonien, puisqu'il persévère dans la conception personnelle du réalisateur en vue des rapports de force et des enjeux politiques. Injustement considéré par certains comme un penchant vers la paranoïa, cette foi en un mode précis de fonctionnement des relations humaines à travers les âges nous semble plutôt la patte d'un visionnaire, qui se fourvoie sans doute parfois, mais qui n'en reste pas moins intrigant et attachant !

Revu le 14 janvier 2005, au Max Linder, en VO

Au programme de la troisième vision de cette épopée qui s'affirme de plus en plus comme notre film préféré depuis la rentrée : le constat et la vérification d'une structure basée sur la figure du double et de la répétition. En effet, les trois heures de métrage sont organisées par une reprise de quasiment chaque séquence, sous une autre lumière ou en dégradation constante. Il s'y trouve alors deux batailles, deux apparitions du père, deux discours devant les guerriers, deux moments de tendresse avec Héphaïstion, deux séquences de danse, deux orgies, deux lettres de la mère, ... Cette dualité morcelée, qui mélange les renvois, qui fait passer un thème sous une autre forme dans une entité différente, est encore plus perturbée par les rares occurences de triples répétitions. Au nombre de trois, si l'on exclut l'apparition du récit cadre du vieux Ptolémée, celles-ci forment en quelque sorte le noyau du film, la mise en perspective de quelques thèmes charniers de l'oeuvre (la mère, le père, l'amant). Mais cette compréhension de la construction du film va invariablement buter contre l'infime partie de séquences qui n'ont pas de double (celle après la bataille de Gaugamèles, celle du répit à Hindi Kush). Il n'en reste pas moins qu'Alexandre est une oeuvre bien plus intelligente et aboutie dans son caractère heurté et perturbé que le laisse supposer la raillerie dont il est tombé victime outre-atlantique (où il a "récolté" six nominations aux Razzies qui "distinguent" les plus mauvais films de l'année) !

Revu le 24 janvier 2005, au Max Linder, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

Lorsque Oliver Stone, cinéaste ne bénéficiant pas de la liberté financière d’un Spielberg ou d’un Ridley Scott depuis Gladiator, annonça qu’il allait réaliser un film sur Alexandre le Grand, on avait du mal à y croire. Poutant sous la forme d’une coproduction européenne (initiée en Allemagne, financée par la France et l’Angleterre), ce film est aujourd’hui une réalité. Ce film indépendant car non hollywoodien est une œuvre à la fois classique et atypique. Délaissant le spectacle des batailles au profit de la tragédie grecque, ce film atteint une dimension profondément humaine.

Cette épopée nous narre la vie du Grand Alexandre, de son plus jeune âge à sa mort, à travers le point de vue unique de son metteur en scène. Donc Après JFK, voici le nouveau pamphlet stonien. Alexandre est donc un film foisonnant, bruyant, boursouflé, hargneux, démesuré, confus mais aussi malgré tout un même champ lexical : l’excès. Oliver Stone est l’ambassadeur d’un cinéma violent, agressif, voire prétentieux et démonstratif.

Cette biopic nous plonge dans un univers malsain, rempli de haine, d'amour de traîtrise. Le jeu des acteurs dans ce film est particulièrement réussi, tous sont au sommet de leur art et la prestation de Farrell impressionne au plus haut point. Beaucoup vont rapprocher ce film à Troie pourtant, il ne s'agit pas d'un péplum comme les autres. Dans ce film, la mythologie est très présente, l'aspect historique parfaitement reconstitué mais Oliver Stone est avant tout un réalisateur, un historien à sa façon, qui veut déranger et faire réfléchir. Alexandre n'est donc qu'un prétexte pour lancer une réflexion politique sur les conquêtes et par extension aux valeurs démocratiques. On assiste donc à des parallèles fréquents avec notre époque, ce qui écarte le film d'un simple blockbuster. On est plus dans l'analyse psychologique d'un personnage à l'esprit complexe. Alexandre n'est donc pas un film facile mais est incontestablement un film magnifique tant par les décors que par l'histoire. Le film est à l'opposé des blockbusters américaines en ce sens qu'il choisi la rigueur historique plutôt que le politiquement correct spectaculaire. Il choisi aussi la sobriété des prestations d'acteurs (Farrell, Leto) au glamour (Brad Pitt, Léo DiCaprio) qu'envisageaient Scorsese et Luhrmann, en lice aussi pour la réalisation d'Alexandre.

Pourtant, Alexandre n'arrivera pas à marquer l'esprit du spectateur comme l'a fait dans le passé Gladiator de Ridley Scott, il n'en restera pas moins un bon divertissement. Ce n'est donc pas le meilleur film d'Oliver Stone, ni le meilleur peplum vu sur un grand écran (ma préférence actuelle reste Gladiator et surtout pas Troie). Mais on retrouvera néanmoins la patte du réalisateur: réflexions sur le pouvoir, et un subtil jeu de lumière lors de la bataille en Asie qui n'est pas sans rappeler le montage de 'Tueurs nés'. Le problème avec Alexandre , c'est que ça sent à plein nez le film pour lequel le réalisateur a tourné de nombreuses autres séquences qu'il aurait voulu intégrer , mais qu'il a du zapper pour éviter de faire un film de 9h. C’est logique et dommage à la fois, car de nombreux aspects de sa vie sont passés sous silence ou expédiés sous la forme de résumé ptoléméen. Stone aborde des sujets sensibles et inhabituels dans ce genre de film (notamment ses relations avec les hommes). Stone prend certes des risques et ne nous livre pas un film bourrin dénué d’émotions, bien au contraire. Alors, si Alexandre est certes un film un peu bancal et surtout trop long et qui n'a pas tenu toutes les promesses de ses ambitions, il n'est pas mauvais pour autant.

Vu le lundi 03 janvier à la séance de 19h30 salle 01 en vo au Gaumont de Disney Village

Note de Mulder: