Aurore (L')

Aurore (L')
Titre original:Aurore (L')
Réalisateur:Friedrich Wilhelm Murnau
Sortie:Cinéma
Durée:94 minutes
Date:00 1927
Note:
Dans un village sur la côte, une femme de la ville est restée, après la saison des vacances, pour séduire un jeune fermier. Celui-ci, éperdument amoureux, lui sacrifie tout son argent. Mais la maîtresse veut qu'il la suive en ville. Le seul obstacle à leur bonheur citadin est alors la femme du fermier, que les deux amoureux complotent à tuer pendant un accident de bateau.

Critique de Tootpadu

Dans l'histoire du cinéma, il existe très peu de films parfaits, et même si notre parcours à travers ses méandres est loin d'être achevé, voire ne trouvera une fin que lorsque nous ne serons plus capable de regarder des films, il ne nous a été accordé d'en rencontrer que très rarement. En effet, parmi la dizaine de milliers de films que compte à peu près et à présent notre vie, nous n'accorderions cette distinction suprême qu'à une bonne dizaine, ou au mieux, à une petite vingtaine de chefs-d'oeuvre absolus. Dans cette sélection très exclusive, il serait impardonnable de ne pas inclure L'Aurore de Murnau, qui nous comble toujours autant lors de cette troisième ou quatrième revision. Pour notre admiration sans limites, qui dépasse allégrement le cadre étroit des mots, il y a au moins deux raisons majeures, ou plutôt deux qualités qui nous ont carrément crevé les yeux cette fois-ci.
D'abord, L'Aurore est un des très rares films complets. Il glisse insensiblement de l'histoire d'amour fatal, vers le drame, vers la comédie et vers l'action, pour finir sur un sursaut de fin heureuse qui englobe en quelque sorte tout ce qui a précédé. Dans les mains d'un réalisateur tout juste très bon, ce mélange aurait pu générer quelque chose d'indigeste et de surchargé. Pas de soucis de ce côté-là pour Murnau, qui sait faire durer chacun des chapitres jusqu'à son apogée d'une beauté incomparable. Ainsi, le tête-à-tête nocturne entre les deux amants contient certes ses plans d'anthologie, mais il séduit avant tout par l'épuisement parfait des motivations de la femme de la ville et du fermier. De même, l'accident prémédité dans le bateau grimpe progressivement tous les échelons entre la joie, le doute, la peur et la terreur, pour mieux asseoir la difficulté du pardon par la suite. Sans vouloir révéler trop d'éléments de l'intrigue, nous ne pouvons que rester admiratifs devant l'aisance avec laquelle Murnau nous déchire le coeur à un moment (la séquence dans l'église), pour nous faire rire quelques instants plus tard (la statue antique à la tête improbable). En effet, chaque fil de l'histoire est déroulé exactement jusqu'à l'endroit parfait, avant de passer à un ton légèrement décalé, sans le moindre faux pas ou plan superflu.
Ensuite, il est complètement hallucinant de constater à quel point chaque élément est chargé d'un sens, voire de plusieurs significations à la fois. A partir d'une histoire somme toute triviale, Murnau nous crée en effet un réseau très complexe et riche de renvois, de références et d'interactions. Jamais écrasant, ce luxe du contexte embellit l'oeuvre, de concert avec des inventions picturales grandioses, mais en nombre suffisamment réduit pour éviter un déchaînement avant-gardiste gratuit. Il suffit d'ailleurs de trois ou quatre plans composés (la plage, le train, la ville) pour évoquer à la fois un style en plein essor vers la fin des années 1920 - la période de maturité du cinéma muet - et l'agitation d'un cadre social venu perturber la quiétude des paysans. Et même dans le traitement parfois moqueur des provinciaux (l'incident chez le photographe, la danse), il transparaît toujours une deuxième couche de sympathie, voire de passion, pour l'inconsistance de la vie humaine. Le jeu très subtil de Janet Gaynor dans le rôle de la femme trompée est, à ce sujet, pour beaucoup dans l'aspect sentimental jusqu'au bout des larmes du film.
Quant à la restauration, elle est honorable, notamment parce qu'elle nous propose une version plus longue d'un quart d'heure que celle, tronquée, que nous avions vue, dans les temps, à la cinémathèque universitaire. Par contre, il y a un bémol de taille à déplorer et c'est le non-respect du format d'origine. Pourquoi faut-il désormais compter sur le seul MK2, en tant que distributeur, pour admirer des films muets aux normes de l'époque (en 1.37, pour commencer) ?!? Car voir certaines têtes et débuts d'intertitres coupés s'apparente à un crime de lèse-majesté cinématographique, surtout lorsqu'il s'agit d'une composition aussi parfaite que celle de L'Aurore !

Revu le 4 décembre 2004, au MK2 Bibliothèque, Salle 10

Note de Tootpadu: