Junk world

Junk world
Titre original:Junk world
Réalisateur:Takahide Hori
Sortie:Cinéma
Durée:104 minutes
Date:Non communiquée
Note:
Un voyage dans le temps et à travers les dimensions, se déroulant plus de 1000 ans avant le film en stop-motion Junk Head.

Critique de Mulder

Si Junk Head réalisé et écrit par Takahide Hori donnait l'impression de découvrir une cassette VHS maudite provenant d'une autre dimension alors Junk World est le moment où l'on réalise que la personne qui a réalisé cette cassette a également construit à la main, avec six personnes et sans aucune crainte d'aller trop loin, toute la ville souterraine dans laquelle elle a été filmée. En le regardant dans le cadre du festival du PIFFF on éprouve cette sensation rare d'être à la fois ravi et légèrement agressé : l'écran regorge de petits personnages grotesques qui se précipitent aux bords du cadre, de monstres biomécaniques qui semblent sortir tout droit d'un cauchemar fiévreux de H. R. Giger, et de gags fièrement puérils que seul un cinéaste totalement confiant dans sa propre étrangeté peut se permettre. Et puis le générique arrive avec des images des coulisses qui ne se contentent pas de montrer le savoir-faire, mais qui recadrent toute l'expérience comme un petit miracle du travail. On peut pratiquement sentir les empreintes digitales sur l'univers. Même lorsque le film est désordonné, on continue à le regarder comme on regarde un modèle réduit de train élaboré qui est aussi, sans raison, profondément pervers.

Le décor est faussement classique pour un film de science-fiction, jusqu'à ce qu'il ne le soit plus. Des siècles après une trêve entre les humains et les clones Mulligan (une main-d'œuvre conçue pour obéir, puis contrainte à vivre dans la clandestinité, puis à se rebeller violemment), une expédition conjointe est organisée pour enquêter sur une mystérieuse anomalie qui se présente comme une blessure à la lisière de la réalité. Le côté humain est représenté par Lady Torys, incarnée par Atsuko Miyake, une chef militaire dont l'autorité se manifeste à la fois dans ses paroles et dans sa tenue (armure, posture et chapeau qui cache autant qu'il révèle ses émotions), tandis que son robot gardien Robin (doublé par Kusako Matsuoka) devient le cœur battant et étonnamment tendre du film. Les Mulligan envoient Dante, incarné par Takahide Hori, un soldat clone dont le manque conçu (l'absence d'yeux, un choix génétique destiné à renforcer sa soumission) finit par le rendre paradoxalement plus humain que certains des humains présents dans la pièce, surtout lorsque sa visière devient une sorte d'identité plutôt qu'une limitation. La présence « diplomatique » de l'ambassadeur Morse, également doublé par Takahide Hori, est particulièrement pathétique : l'incompétence bureaucratique comme punchline récurrente, le genre de fonctionnaire qui traite la survie comme si elle était indigne de son poste. Et puis, presque immédiatement, la mission est détournée par une faction radicale de Mulligan, le culte Gyura, dont l'iconographie codée S&M n'est pas seulement une provocation ; c'est une idéologie transposée dans la garde-robe, une tribu qui affiche son pouvoir à travers une chair modifiée, des rituels fétichisés et la promesse de la violence comme sacrement.

Ce que Junk World fait le mieux, presque injustement bien, c'est de vous plonger dans une densité d'invention qui serait déjà impressionnante en live action, puis de vous rappeler qu'il s'agit d'un film en stop-motion. L'action n'est pas seulement du mouvement, c'est de la chorégraphie : des bagarres au corps à corps, des ravages mécaniques, des armes qui ressemblent à des jouets conçus par un enfant très doué et très perturbé, et des décors mis en scène avec la clarté de quelqu'un qui a prévisualisé chaque mouvement, car les reprises en stop-motion sont fondamentalement pénibles. La conception des créatures est une attaque constante de créativité, des parasites qui sont écrasés sans ménagement aux monstres qui ressemblent à des écosystèmes dotés de dents. Même l'humour est ancré dans le monde physique : blagues scatologiques, intermèdes musicaux, gags visuels censurés qui « ratent » délibérément, et, bien sûr, les fameux « champignons » phalliques qui propulsent le film dans cette zone spécifique réservée aux festivals, où le public rit en partie parce que c'est drôle et en partie parce qu'il n'arrive pas à croire que le film ait osé faire ça. C'est également là que l'esthétique artisanale prend tout son sens : même avec des surfaces plus brillantes que dans Junk Head (le passé est littéralement plus poli), le film insiste sur sa réalité tactile, comme s'il voulait que vous admiriez l'artisanat, puis l'utilisiez immédiatement comme une arme contre votre confort.

Sur le plan narratif, Takahide Hori poursuit un objectif ambitieux : le voyage dans le temps et la rupture dimensionnelle comme structure circulaire qui se révèle par morceaux, chaque acte (ou chapitre) recadrant ce que vous pensiez avoir compris. Lorsque le film fonctionne, il est étonnamment lisible pour quelque chose d'aussi déjanté moins déroutant qu implacable, comme si vous étiez entraîné à toute vitesse dans un labyrinthe tandis que quelqu'un ne cesse de vous remettre de nouvelles cartes qui contredisent les anciennes. L'anomalie n'est pas seulement un élément de l'intrigue ; c'est une machine à paradoxes, à ramifications temporelles, à points de vue alternatifs sur un même événement. L'astuce réside dans le fait que le film suggère souvent des boucles plutôt que de vous y noyer ; il vous laisse déduire, puis conserve les fils émotionnels (la rigidité de Torys, l'empathie réticente de Dante, l'évolution de Robin) comme une corde à laquelle vous vous accrochez. Il y a même un clin d'œil métatextuel à la complexité : les personnages sont sur le point d'expliquer la science, mais le film n'y prête pas attention, car l'important n'est pas les mathématiques, mais l'élan et le sentiment d'être piégé dans une histoire qui se replie sur elle-même.

Et pourtant, c'est là que Junk World devient un film oui, mais plutôt qu'un triomphe sans réserve : le même appétit pour la construction d'un univers qui le rend enivrant menace également de l'étouffer. Le film regorge de traditions, de factions, de hiérarchies, d'histoire politique, d'allégories religieuses et d'anthropologie grotesque ; il ne cesse de s'étoffer, parfois comme s'il craignait que s'il s'arrêtait, le charme serait rompu. Cela peut laisser les personnages coincés dans leur rôle plutôt que dans leur personnalité, et les moments qui devraient susciter une émotion arriver à moitié cuits, car le film se précipite déjà vers la prochaine révélation ou le prochain visuel démentiel. C'est le problème classique d'un cinéaste qui a trop d'idées géniales et un univers assez vaste pour les contenir : le public est constamment impressionné, parfois ému, et parfois laissé de côté. On ne suit pas vraiment l'intrigue, on la survit, et la meilleure astuce narrative du film, la recontextualisation, ne parvient pas toujours à compenser le sentiment que l'on regarde une bande-annonce brillante pour un film épique plus clair et plus ciblé.

Pourtant, on ne peut s'empêcher de souligner à quel point cette expérience est unique, en particulier dans une salle de cinéma où la réaction collective fait partie intégrante du rythme du film : les grognements, les rires, les murmures mais qu'est-ce que c'est que ça ? , le silence soudain lorsque le savoir-faire atteint un nouveau niveau. Junk World fait partie de ces films dont même les défauts semblent liés à leur identité ; la mythologie surchargée et le rythme parfois lent sont, bizarrement, le prix à payer pour quelque chose qui refuse d'être normal. C'est un film réalisé par un auteur au sens le plus littéral du terme : aucun comité n'est venu lisser les angles, aucun studio n'est venu gommer le fétichisme, la crasse, la mélancolie ou la fantaisie inexplicable. Et lorsque le générique de fin pointe vers le cauchemar que les fans de Junk Head savent déjà inévitable, l'histoire se termine sur une note douce-amère : ce monde a encore de l'air, de l'espace et une sorte de possibilité fragile, mais l'histoire penche déjà vers la décadence. Cette inévitabilité donne à la folie une légère ombre tragique et fait de l'« origine » de Robin le coup de poing le plus discret dans un film plein de coups de poing bruyants. Junk world est une odyssée en stop motion stupéfiante, souvent hilarante, parfois dégoûtante, dont l'imagination et le savoir-faire frôlent le miraculeux, même si son ambition narrative s'effondre parfois sous le poids de son univers irrésistible et indiscipliné.

Junk world
Écrit et réalisé par Takahide Hori
Avec Atsuko Miyake
Directeur de la photographie : Takahide Hori
Montage : Takahide Hori
Sociétés de production : Yamiken
Durée : 104 minutes

Vu le 13 décembre 2025 au Max Linder Panorama

Note de Mulder: