
| Titre original: | Silver Star |
| Réalisateur: | Ruben Amar, Lola Bessis |
| Sortie: | Cinéma |
| Durée: | 102 minutes |
| Date: | 26 novembre 2025 |
| Note: |
Silver Star est l'un de ces rares road movies qui semblent modestes au premier abord, mais qui révèlent progressivement une force émotionnelle bien plus grande que ne le laisse supposer leur prémisse minimaliste. Réalisé par Ruben Amar et Lola Bessis, le film suit deux jeunes femmes marginalisées par la société et réunies par hasard, mais liées par un sentiment commun d'abandon qu'aucune d'elles ne reconnaît au départ. Ce qui commence comme une fuite effrénée après un braquage de banque raté devient rapidement une exploration de ce que signifie grandir dans une Amérique où les systèmes conçus pour protéger les gens les laissent au contraire livrés à eux-mêmes. Le ton du film alterne entre énergie anarchique et tendre vulnérabilité, capturant un pays en fragments à travers deux personnages à qui l'on a appris, de manière complètement différente, qu'ils ne méritaient pas de seconde chance. Cette collision entre urgence et douceur façonne un road trip qui consiste moins à semer la police qu'à semer le poids de leur propre histoire.
Au centre du film se trouvent les performances remarquables de Grace Van Dien dans le rôle de Franny et de Troy Leigh-Anne Johnson dans celui de Billie, deux personnages qui semblent initialement destinés à se heurter. Franny est jeune, enceinte, sans emploi et vit dans un état constant d'improvisation alimenté par l'adrénaline. Son comportement exubérant, bruyant, sans filtre et erratique la rend immédiatement mémorable, et Grace Van Dien se livre pleinement à cet excès tout en révélant l'insécurité douloureuse qui se cache derrière. Billie, en revanche, est prudente, endurcie par les erreurs du passé et marquée physiquement par la perte d'un œil après une violente confrontation qui a fait dérailler son avenir. Troy Leigh-Anne Johnson l'incarne avec une réserve qui ne semble jamais passive ; chaque regard, chaque pause, chaque réponse laconique révèle une personne qui a appris très tôt que le silence est synonyme de sécurité. Voir ces deux énergies s'affronter, l'une explosive, l'autre comprimée, transforme même les plus petits échanges en moments captivants de friction entre les personnages.
Leur dynamique devient le centre de gravité du film, et il est fascinant d'observer comment leurs personnalités s'imprègnent lentement l'une de l'autre. Les plaisanteries qui commencent par être antagonistes évoluent vers une solidarité tacite construite à travers une pénurie partagée, une colère partagée et une perte partagée. La présence exagérée de Franny semble initialement destinée à irriter, mais en forçant Billie à sortir de sa coquille, elle devient sans le vouloir la seule personne qui la défie sans la juger. Billie, à son tour, ancrage Franny, lui donnant une structure à laquelle elle n'a jamais eu accès. Le voyage qu'elles entreprennent, tant au sens propre qu'au sens figuré, n'est pas défini par des révélations fracassantes, mais par des changements progressifs, du genre de ceux qui se produisent dans les stations-service, les parkings de motels et dans l'espace confiné et désordonné d'une voiture qui devient un sanctuaire accidentel. Leur amitié se développe de manière inattendue, non pas parce que le scénario les pousse vers le sentimentalisme, mais parce que les acteurs sculptent des moments de sincérité au milieu du chaos.
Visuellement, les choix esthétiques du film rendent le monde à la fois intime et agité. La caméra reste proche des personnages, souvent de manière inconfortable, transformant la voiture en un confessionnal mobile qui piège Billie et Franny ensemble même lorsqu'elles préféreraient s'enfuir l'une de l'autre. La cinématographie à la main donne au film un rythme qui reflète l'état intérieur des protagonistes : instable, improvisé et en constante évolution. Les environnements qu'ils traversent ne sont pas photographiés comme des paysages américains majestueux, mais comme des coins usés d'un pays marqué par la fatigue économique, les enseignes défraîchies, les néons des stations-service et la présence persistante de l'histoire dans des endroits improbables. Cette approche terre-à-terre dépouille la formule du road movie de son romantisme et la remplace par du pragmatisme, renforçant l'idée que ce voyage n'est pas une quête de liberté, mais de survie.
Sur le plan narratif, Silver Star tire profit de son refus d'expliquer de manière excessive ses personnages. Plutôt que de s'appuyer sur des monologues ou des discours explicites, le film laisse de petits gestes et des anecdotes fragmentées révéler lentement qui sont Billie et Franny et comment elles ont été façonnées. Le film aborde des thèmes sociaux – la pauvreté, les préjugés raciaux, l'identité personnelle, la désillusion militaire – mais ne laisse jamais ses personnages devenir des symboles. Malgré toutes leurs différences, les deux femmes partagent le sentiment indéniable de vivre dans un monde où les filets de sécurité se sont depuis longtemps effilochés. Leurs crimes et leurs erreurs ne sont jamais glorifiés, mais le film résiste à la tentation d'en faire des exemples édifiants. Il suggère plutôt que la véritable tragédie ne réside pas dans leurs choix, mais dans les circonstances qui ont limité leurs choix dès le départ. Cette position confère au film une résonance politique discrète sans sacrifier l'intimité des personnages.
Ce qui élève véritablement Silver Star, c'est sa capacité à mélanger des tons qui coexistent rarement de manière harmonieuse. Le film oscille entre l'absurdité humoristique et le drame poignant, parfois au sein d'une même scène. Ces changements de ton sont intentionnels et efficaces, car Billie et Franny elles-mêmes sont imprévisibles : tantôt elles se déchirent, tantôt elles comptent l'une sur l'autre pour survivre. La structure du road movie laisse place à des rencontres imprévisibles, et même si tous les moments n'ont pas le même poids émotionnel, même les aspérités contribuent à l'authenticité du film. L'histoire ne cherche jamais la perfection, mais embrasse plutôt le désordre inhérent à des personnages qui improvisent leur vie au jour le jour sans aucune garantie de rédemption.
Lorsque Silver Star arrive à son dernier acte, il devient clair que le film ne tend pas vers une grande révélation, mais vers une acceptation, une fragile reconnaissance entre deux personnes imparfaites qu'elles ne sont plus entièrement seules. Cette nuance distingue le film des autres films plus conventionnels du genre. Ruben Amar et Lola Bessis créent un récit qui privilégie la texture émotionnelle plutôt que la mécanique de l'intrigue, permettant au public de s'attacher aux personnages sans avoir besoin que tous les fils lâches soient soigneusement noués à la fin. Le film s'attarde surtout sur ses petites victoires, ses moments de connexion volés et son refus obstiné de détourner le regard des réalités qui façonnent ses protagonistes. Au final, Silver Star réussit non pas en suivant les traditions du cinéma routier, mais en les remodelant en quelque chose de plus fragile, de plus immédiat et de plus intimement humain.
Silver Star
Écrit et réalisé par Ruben Amar, Lola Bessis
Produit par Ruben Amar, Lola Bessis, Philippe Imhaus, Simon Lefort, David Solal
Avec Grace Van Dien, Troy Leigh-Anne Johnson, Tamara Fruits, Johnathan Davis, Getchie Argetsinger, Ekaterina Baker, Joey Giambattista, Josh Silberman, Amy Tribbey, Noa Fisher, Odley Jean
Directeur de la photographie : Cole Graham
Montage : Rafael Torres
Musique : Polérik Rouvière
Sociétés de production : Les Films de la Fusée, Middlemen, Carte Blanche
Distribution : Wayna Pitch (France)
Date de sortie : 26 novembre 2025 (France)
Durée : 102 minutes
Vu le 17 novembre 2025 au Max Linder Panorama
Note de Mulder: