
| Titre original: | Shelby Oaks |
| Réalisateur: | Chris Stuckmann |
| Sortie: | Cinéma |
| Durée: | 91 minutes |
| Date: | 19 novembre 2025 |
| Note: |
Chris Stuckmann, surtout connu pour avoir été pendant dix ans l'un des critiques de cinéma les plus éloquents de YouTube, a passé des années à disséquer le cinéma d'horreur avant de décider de réaliser son propre film. Son premier long métrage, Shelby Oaks, suscite de grandes attentes, non seulement parce qu'il a été financé par le public sur Kickstarter avec un succès record, mais aussi parce qu'il représente le cas rare d'un critique qui franchit le pas vers l'espace créatif qu'il a si souvent jugé. Le résultat est un film à la fois profondément personnel et très inégal, une histoire de fantômes imprégnée de nostalgie pour l'ère VHS de l'horreur, mais hantée par sa propre lutte pour trouver une identité. C'est un premier film ambitieux qui prouve que Chris Stuckmann connaît intimement les rythmes du genre, mais aussi que l'admiration seule ne peut remplacer la paternité d'une œuvre. Shelby Oaks s’impose comme une expérience fascinante mais imparfaite où la passion l'emporte sur la précision.
L'histoire du film tourne autour de Camille Sullivan dans le rôle de Mia Brennan, une journaliste encore sous le choc de la disparition de sa jeune sœur, Riley, jouée par Sarah Durn, qui dirigeait autrefois un groupe de chasseurs de fantômes sur YouTube connu sous le nom de Paranormal Paranoids. Leurs enquêtes en ligne sur des lieux hantés aux États-Unis ont fait sensation sur Internet, jusqu'à ce que l'équipe disparaisse lors d'un voyage dans la ville éponyme de Shelby Oaks. Des années plus tard, Mia reçoit une mystérieuse cassette vidéo qui semble montrer Riley vivante, ravivant son obsession et l'entraînant dans une enquête spirale à travers des maisons en ruine, des prisons abandonnées et des légendes urbaines. Le scénario est captivant, et le premier acte capture quelque chose que peu de films d'horreur parviennent à faire : la texture inquiétante du folklore numérique. À travers de faux documentaires, des images trouvées et des images saccadées, Chris Stuckmann recrée l'impression de regarder des clips YouTube maudits à 2 heures du matin, où la vérité et la fiction se confondent en quelque chose qui semble anormal, sans que l'on puisse vraiment mettre le doigt dessus. C'est une ouverture impressionnante, pleine de promesses.
Malheureusement, une fois que l'histoire passe d'un cadre pseudo-documentaire à un récit conventionnel, le film commence à perdre de sa substance. Chris Stuckmann vénère clairement des classiques tels que The Blair Witch Project, Lake Mungo et Hereditary, et il s'en inspire librement, parfois même trop librement. Ce qui commence comme un méta-commentaire sur la façon dont les médias modernes mythifient la tragédie se transforme progressivement en un mystère surnaturel classique, avec des symboles cultuels, des entités obscures et des avertissements chuchotés au sujet d'un démon invisible nommé Tarion. La tradition est dispersée et trop expliquée, et bien que le film fasse allusion à l'horreur cosmique, il ne parvient jamais à atteindre la puissance psychologique nécessaire à ce type de terreur. Plus il explique, moins il fait froid dans le dos. Au moment où Mia découvre des sigles cryptiques et des cassettes anciennes dans les bois, la tension s'est évaporée dans un brouillard d'images familières et de symbolisme creux.
Shelby Oaks n'est pourtant pas dépourvu de moments d'une puissance authentique. La mise en scène de Chris Stuckmann, bien que parfois lourde, révèle un œil naturel pour la composition et l'atmosphère. Le directeur de la photographie Andrew Scott Baird baigne le film dans des gris désaturés et des jaunes ternes, évoquant à la fois la décadence du Midwest et la chaleur mourante des souvenirs familiaux. L'utilisation de lieux réels de l'Ohio - le parc abandonné de Chippewa Lake, les couloirs rouillés de la prison d'État de l'Ohio - ancre le mystère surnaturel du film dans un désespoir palpable. Une séquence en particulier, où le personnage de Charlie Talbert filme sa propre dépression avant de mettre brusquement fin à ses jours devant la caméra, est troublante non pas à cause du sang, mais à cause de sa résignation. Le silence qui précède l'acte dure plus longtemps que n'importe quel cri. Ces étincelles fugaces laissent entrevoir l'horreur plus aiguë et plus psychologique que Chris Stuckmann pourrait un jour offrir s'il apprenait à faire confiance au silence plutôt qu'au spectacle.
Le cœur émotionnel du film repose sur Camille Sullivan, dont la performance donne à l'histoire toute son âme. Elle incarne Mia comme une personne qui s'effiloche de toutes parts, hantée non pas par des monstres, mais par ses souvenirs. Sullivan, qui a apporté une férocité tranquille à Hunter Hunter, canalise ici la même énergie, son chagrin se manifestant sous forme d'obsession. Même lorsque le scénario ne parvient pas à approfondir son personnage, elle trouve du sens dans des micro-expressions : un tremblement dans sa voix lorsqu'elle repasse la cassette, la lassitude de quelqu'un qui sait qu'il poursuit peut-être des fantômes, au sens propre ou figuré. Ses scènes avec Robin Bartlett, qui incarne une femme mystérieuse qui pourrait détenir la clé du destin de Riley, injectent une dose de menace que le reste du film ne parvient que trop rarement à maintenir. Les dialogues chantants étranges et les sourires imperturbables de Bartlett évoquent l'horreur folklorique à l'ancienne, et pendant un bref instant, Shelby Oaks semble à nouveau animée par la terreur.
Mais les défauts du scénario finissent par noyer ces moments. La mythologie autour du démon Tarion est mince et expliquée de manière incohérente, et le montage peine souvent à maintenir le ton, passant brusquement d'une atmosphère de terreur à une exposition surexposée. Même la confrontation culminante, qui se déroule dans un bâtiment en ruine couvert de graffitis occultes, tombe à plat. Au lieu de s'intensifier pour atteindre la transcendance ou la tragédie, la fin se réfugie dans une ambiguïté qui ressemble plus à de l'épuisement qu'à du mystère. On sent que Chris Stuckmann voulait évoquer la même dévastation émotionnelle que The Sixth Sense ou The Innocents, mais qu'il lui manquait la discipline structurelle pour y parvenir. Le résultat est une finale visuellement forte mais émotionnellement vide, une histoire de fantômes qui ne trouve jamais vraiment son fantôme.
Pourtant, il y a quelque chose d'étrangement attachant dans Shelby Oaks. Malgré son rythme inégal et son écriture dérivée, on sent qu'il s'agit d'une œuvre artisanale, née d'une affection sincère pour le langage de l'horreur plutôt que d'un calcul commercial. Chris Stuckmann ne cache pas ses influences, car il est encore en train de les assimiler ; il s'agit des débuts de quelqu'un qui apprend, devant la caméra, quel type de conteur il veut devenir. En ce sens, Shelby Oaks reflète le parcours de Mia : tous deux sont obsédés par la recherche d'un sens dans l'ombre, à la poursuite de quelque chose de perdu, sans savoir si cette quête elle-même est le but. Il y a une étrange honnêteté dans ce désordre créatif.
Shelby Oaks est un film qui oscille entre génie et banalité, sincérité et imitation. Il a une atmosphère, une conviction et quelques moments envoûtants, mais aussi trop d'explications, trop d'astuces empruntées et un mythe qui semble inachevé. Chris Stuckmann prouve qu'il est un cinéaste prometteur, mais qui manque encore de précision. Son premier film laisse entrevoir un véritable talent enfoui dans une histoire qui ne fait pas entièrement confiance à son propre silence. Shelby Oaks est un début imparfait mais intrigant d'un créateur qui aime manifestement suffisamment l'horreur pour s'y perdre, même s'il n'a pas encore appris à en faire sortir les autres en toute sécurité.
Shelby Oaks
Écrit et réalisé par Chris Stuckmann
Scénario de Samantha Elizabeth et Chris Stuckmann
Basé sur Paranormal Paranoids de Chris Stuckmann
Produit par Aaron B. Koontz, Cameron Burns, Ashleigh Snead et Chris Stuckmann
Avec Camille Sullivan, Brendan Sexton III, Keith David, Sarah Durn, Derek Mears, Emily Bennett, Charlie Talbert, Robin Bartlett et Michael Beach
Directeur de la photographie : Andrew Scott Baird
Montage : Patrick Lawrence, Brett W. Bachman
Musique : James Burkholder, The Newton Brothers
Sociétés de production : Paper Street Pictures, Intrepid Pictures
Distribution : Neon (États-Unis)
Dates de sortie : 20 juillet 2024 (Fantasia), 24 octobre 2025 (États-Unis), 19 novembre 2025 (France)
Durée : 91 minutes
Vu le 14 novembre 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 3 place A19
Trop occupé à choyer la presse papier et quelques pseudo-influenceurs, le distributeur français Metropolitan FilmExport n’a pas jugé utile d’organiser une projection presse pour des médias comme le nôtre, pourtant forts de plus de vingt-deux ans d’existence. Après avoir vu le film, on peut comprendre une certaine frilosité… mais à force de négliger les médias spécialisés qui parlent vraiment de cinéma, leurs sorties passent sous le radar. Résultat : des salles clairsemées, un bouche-à-oreille quasi inexistant et une visibilité en chute libre. Un très mauvais calcul stratégique.
Note de Mulder: