
| Titre original: | The Smashing Machine |
| Réalisateur: | Benny Safdie |
| Sortie: | Cinéma |
| Durée: | 123 minutes |
| Date: | 29 octobre 2025 |
| Note: |
Smashing Machine, réalisé par Benny Safdie n'est pas un simple biopic sportif. C'est un portrait meurtri et discrètement dévastateur de l'ambition, de la fragilité et de la longue ombre projetée par la gloire physique. Le film suit le pionnier des arts martiaux mixtes Mark Kerr, interprété avec une retenue et une sincérité surprenantes par Dwayne Johnson, dans ce qui est sans doute la performance la plus audacieuse et la plus humaine de sa carrière. Il retrace l'ascension de Mark Kerr à la fin des années 1990 en tant que combattant indomptable et son lent effondrement sous le poids des analgésiques, de la célébrité et de l'exigence impossible de toujours gagner, tant sur le ring qu'en dehors. L'ironie de voir Dwayne Johnson, un homme qui a bâti son personnage sur l'invincibilité, incarner un combattant qui apprend finalement à perdre, donne au film une dimension métaphorique supplémentaire.
Benny Safdie présente son histoire moins comme une chronique des triomphes sportifs que comme une anatomie de l'effondrement. S'inspirant du documentaire du même nom réalisé par John Hyams pour HBO en 2002, il utilise les images granuleuses filmées à la main par le directeur de la photographie Maceo Bishop pour brouiller la frontière entre fiction et réalité. La caméra tourne autour de Mark Kerr, presque timidement, dans les vestiaires, chez lui ou affalé en silence après une défaite. C'est un film sur le bruit et le silence, sur un homme qui passe ses journées dans des cages mais qui n'a aucun refuge sûr où se retirer. Benny Safdie résiste à l'arc traditionnel de la rédemption ; il offre plutôt le calme troublant qui suit la tempête, le et maintenant ? d'un homme qui a tout conquis pour finalement se rendre compte qu'il est vide.
En Dwayne Johnson, Benny Safdie trouve un acteur prêt à brûler sa propre mythologie. Finis le sourire éclatant et le charisme invulnérable qui ont marqué ses années de succès. Sous les prothèses conçues par Kazu Hiro, Dwayne Johnson est méconnaissable, non pas à cause du maquillage, mais à cause de sa vulnérabilité. Son Mark Kerr est un paradoxe : une figure imposante capable d'une violence indescriptible qui parle d'une voix douce et prudente, comme un enfant en quête d'approbation. Sa dépendance aux opiacés n'est pas présentée comme un échec moral, mais comme une tentative tragique d'étouffer le chaos qui l'habite. Quand il avoue : « Une journée sans douleur, c'est comme une journée sans soleil », ce n'est pas de la bravade, c'est une confession. Le film comprend la dépendance comme étant à la fois physique et existentielle, une extension de la même soif qui anime tous les combattants : le besoin de ressentir quelque chose qui fait juste assez mal pour vous rappeler que vous êtes en vie.
Face à lui, Emily Blunt livre l'une de ses performances les plus spontanées dans le rôle de Dawn Staples, la petite amie instable et partenaire d'entraînement émotionnelle de Mark Kerr. Elle oscille entre tendresse et fureur, sa présence étant à la fois un salut et un poison. Les scènes entre eux, en particulier une confrontation brûlante sur fond de Jungleland de Bruce Springsteen, sont plus violentes que n'importe quel combat en cage. Benny Safdie refuse de réduire Dawn au cliché de la partenaire harcelante ; elle est exigeante, manipulatrice et parfois cruelle, mais son chaos reflète celui de Kerr. Les deux sont enfermés dans une sorte de chorégraphie tragique où l'amour et la destruction sont indissociables. Leur toxicité semble familière, moins une invention du scénariste qu'un portrait de personnes qui ne peuvent s'empêcher de se blesser mutuellement au nom de la dévotion.
Le fil conducteur le plus surprenant du film est toutefois le lien discret entre Kerr et son ami et collègue combattant Mark Coleman, interprété avec une authenticité naturelle par Ryan Bader, lui-même champion de MMA dans la vie réelle. Leur camaraderie apporte un équilibre émotionnel au film. Grâce au naturel sans ostentation de Bader, nous découvrons la tendresse rare qui existe entre des hommes entraînés à briser des os pour gagner leur vie. Lorsque Coleman confronte tranquillement Kerr au sujet de sa consommation de drogue, la performance de Johnson s'effondre en sanglots qui semblent mérités, presque accidentels. Benny Safdie capture ces moments sans jugement ni sentimentalisme — juste deux hommes assis sous une lumière fluorescente, trop épuisés pour se mentir davantage.
Ce qui rend Smashing Machine mémorable, c'est le refus de Benny Safdie de dramatiser la violence. Les combats ne sont pas chorégraphiés pour susciter l'excitation, mais observés avec distance, souvent filmés depuis l'extérieur du ring, fragmentés par les cordes ou coupés avant que l'adrénaline n'atteigne son apogée. Le public devient moins spectateur et plus voyeur, observant en temps réel la dégradation de l'endurance humaine. La décision de Benny Safdie d'associer ces images brutales à une bande sonore qui alterne entre les interludes jazz de Nala Sinephro et l'interprétation mélancolique de My Way par Elvis Presley transforme le film en quelque chose qui s'apparente davantage à un requiem qu'à un spectacle. Ce n'est pas un film sur la victoire, mais sur la lente désintégration de la volonté de gagner.
Il y a également une ironie poétique dans la façon dont Johnson, autrefois synonyme des héros les plus indestructibles d'Hollywood, utilise ce rôle pour exposer la fragilité qui se cache derrière sa propre légende. C'est comme si l'acteur lui-même luttait contre son image publique : The Rock apprend à s'effondrer, la superstar ose montrer ses failles. Sa performance ici rappelle celle de Mickey Rourke dans The Wrestler ou même celle de Robert De Niro dans Raging Bull, tout en restant unique : dépouillée de tout artifice, tremblante d'honnêteté. Dans une scène inoubliable, après une défaite dévastatrice, Kerr est assis seul dans le vestiaire, le souffle court, le visage relâché par l'incrédulité. Pendant près d'une minute, la caméra ne bouge pas. Lui non plus. Le silence est assourdissant, le genre de silence qui met fin à des carrières ou en lance de nouvelles.
La mise en scène de Benny Safdie, bien que plus mesurée que ses précédentes collaborations avec son frère, conserve leur fascination commune pour l'obsession et l'effondrement. Mais ici, le chaos cède la place à la mélancolie. La texture du film — ses maisons d'Arizona blanchies par le soleil, ses arènes japonaises enfumées, le sifflement du ruban adhésif enroulé autour des poignets enflés — évoque une sorte d'élégie pour le gladiateur de la classe ouvrière. Il n'y a ni héros ni méchants, juste des gens qui tentent de survivre à leur propre corps. Même la violence semble étrangement compatissante, comme si le seul véritable langage des combattants était la douleur. Dans ce sens, le titre semble ironique : Kerr n'est pas la machine ; il est ce qui reste après que la machine a cessé de fonctionner.
Au moment où Smashing Machine arrive à sa conclusion sobre, l'idée de triomphe semble hors de propos. Ce qui persiste à la place, c'est l'épuisement — le sentiment d'un homme qui a finalement cessé de lutter contre le monde assez longtemps pour se confronter à lui-même. C'est une fin qui résiste à la catharsis mais qui rayonne d'humanité. Pour Dwayne Johnson, c'est une renaissance, le genre de rôle déterminant pour une carrière qui efface des années de glamour hollywoodien pour révéler quelque chose de brut et d'authentique. Pour Benny Safdie, c'est la preuve que l'intensité peut coexister avec la grâce. Le résultat est l'un des drames sportifs les plus surprenants et les plus profondément discrets de ces dernières années, un film qui traite moins de l'écrasement des adversaires que de la reconstruction de ce qui reste de soi-même lorsque les acclamations cessent.
Smashing Machine
Écrit et réalisé par Benny Safdie
Produit par Benny Safdie, Dwayne Johnson, Eli Bush, Hiram Garcia, Dany Garcia, David Koplan
Avec Dwayne Johnson, Emily Blunt, Ryan Bader, Bas Rutten, Oleksandr Usyk
Directeur de la photographie : Maceo Bishop
Montage : Benny Safdie
Musique de Nala Sinephro
Sociétés de production : A24, Out for the Count, Seven Bucks Productions, Magnetic Fields Entertainment
Distribution : A24 (États-Unis), Zinc (France)
Dates de sortie : 1er septembre 2025 (Venise), 3 octobre 2025 (États-Unis), 29 octobre 2025 (France)
Durée : 123 minutes
Vu le 31 octobre 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 16 place A18
Note de Mulder: