
| Titre original: | Yoroi |
| Réalisateur: | David Tomaszewski |
| Sortie: | Cinéma |
| Durée: | 116 minutes |
| Date: | 29 octobre 2025 |
| Note: |
Yoroï, réalisé par David Tomaszewski et écrit, produit, interprété et mis en musique par Orelsan, est une œuvre aussi inattendue que déconcertante dans le paysage du cinéma français. Ce film, à mi-chemin entre la comédie fantastique et l’autoportrait introspectif, plonge le spectateur dans un univers aussi absurde qu’inventif, où le réel et l’imaginaire fusionnent sans complexe. Dès les premières minutes, on retrouve Orelsan dans un rôle qui lui colle à la peau : celui d’un artiste au bord de la saturation, cherchant à fuir la notoriété et à retrouver un semblant de paix intérieure. C’est au Japon, terre natale de sa femme enceinte incarnée par Clara Choï, qu’il espère ce renouveau. Mais la tranquillité promise se transforme rapidement en chaos surnaturel lorsqu’il découvre une mystérieuse armure au fond d’un puits, relique maudite qui le condamne à combattre chaque nuit des créatures issues du folklore nippon.
Ce point de départ improbable — une star française piégée dans une armure ancestrale et confrontée à des yokaïs — donne le ton d’une comédie fantastique audacieuse et décomplexée. David Tomaszewski, habitué des clips d’Orelsan, transpose ici son sens du rythme visuel et son goût pour la mise en scène spectaculaire, offrant un film qui s’amuse autant de ses excès qu’il les revendique. Le Japon y est filmé avec un mélange d’émerveillement et d’ironie, entre la beauté tranquille des campagnes et le surréalisme des affrontements nocturnes. Les monstres, à la croisée de la tradition et du grotesque, rappellent autant les démons des films hongkongais des années 1980 que les créatures artisanales des productions Ghostbusters ou Gremlins. On y retrouve une joie de bricolage cinématographique rare aujourd’hui, une forme de cinéma pop sincère, nourrie d’influences manga et vidéoludiques assumées.
Mais Yoroï ne se limite pas à une simple farce fantastique. Très vite, Orelsan transforme son délire japonisant en réflexion sur lui-même. Derrière le costume de samouraï rappeur désabusé se cache un homme en proie au doute, hanté par la peur de devenir père et de perdre le contrôle de sa propre vie. Ce basculement vers l’intime donne au film un ton plus grave, voire thérapeutique, où l’humour se teinte d’une mélancolie lucide. Le protagoniste affronte littéralement ses démons, jusqu’à devoir combattre son double maléfique, Orelsama, miroir grotesque de sa vie publique, rappelant les doubles identitaires de Michel Blanc dans Grosse Fatigue. Ce duel final, à la fois symbolique et burlesque, traduit bien la tension entre l’artiste et sa créature médiatique, entre l’humain et le personnage.
Le film joue alors sur deux registres : celui du divertissement surréaliste et celui du drame existentiel. Et si cette ambivalence donne au récit une richesse thématique indéniable, elle en révèle aussi les failles. Le dernier acte, plus explicatif, souffre parfois d’une lourdeur symbolique où Orelsan semble vouloir tout dire, tout justifier, au risque de rompre la magie initiale. Là où le burlesque et la fantaisie ouvraient l’imaginaire, la confession frontale referme le récit sur un ton plus démonstratif. Ce passage de la fable au manifeste rend le film moins fluide, même si la sincérité du propos empêche toute ironie de surface. Yoroï devient alors une sorte de psychanalyse filmée, où l’artiste se met à nu sous couvert de mythe japonais.
La performance de Clara Choï mérite une mention particulière. En contrepoint du délire introspectif d’Orelsan, elle incarne une présence ancrée, calme, à la fois protectrice et implacable. Son personnage, mi-réaliste mi-mythologique, traverse le récit avec une grâce discrète, apportant au film la chaleur émotionnelle que son héros, englué dans sa cuirasse, peine à exprimer. Dans certaines scènes domestiques, David Tomaszewski capture avec justesse la tendresse et la lassitude du couple, évoquant presque les films de Quentin Dupieux par leur absurdité douce et leur sens du décalage.
Le rapprochement avec l’univers de Quentin Dupieux n’est d’ailleurs pas fortuit. On retrouve dans Yoroï la même fascination pour le quotidien détraqué, les objets absurdes et les héros dépassés par leur propre logique. On sent que Orelsan, déjà acteur chez Dupieux dans Au Poste !, a retenu de cette collaboration le goût du non-sens poétique et du détournement. Mais là où Dupieux cultive une forme de détachement, Orelsan injecte son propre vécu, sa fragilité et son humour désabusé. Le film devient une sorte de Journal d’un artiste fatigué, déguisé en série B d’aventure nippone.
Techniquement, Yoroï impressionne par la richesse de sa direction artistique. Les effets spéciaux, souvent artisanaux, accentuent le charme rétro du film, tandis que la musique — évidemment composée par Orelsan lui-même — mélange sonorités électroniques, percussions traditionnelles japonaises et envolées épiques. On sent une véritable envie de cinéma, presque juvénile, dans cette manière de tout expérimenter : des plans de combat chorégraphiés comme des clips aux séquences oniriques dignes d’un conte shinto revisité. Ce n’est pas toujours équilibré, mais cette liberté de ton fait aussi la force du projet.
Yoroï s’impose comme une œuvre hybride, entre le film de genre décomplexé et la confession d’artiste. C’est un geste rare, risqué, parfois maladroit, mais toujours sincère. En osant mélanger introspection et exorcisme surnaturel, Orelsan et David Tomaszewski signent un film à leur image : lucide, farfelu, imparfait mais profondément humain. Derrière les armures, les monstres et les métaphores, Yoroï raconte surtout une bataille intime — celle de rester soi-même quand tout, y compris le succès, menace de vous transformer en légende figée.
Yoroï
Réalisé par David Tomaszewski
Écrit par Orelsan, David Tomaszewski
Produit par Julien Deris, David Gauquié
Avec Orelsan, Clara Choï, Skread, Ablaye, Gringe, Kazuya Tanabe, Alice Yanagida, Yôko Narahashi, Hiromi Komorita
Directeur de la photographie : Antoine Sanier
Montage : Florent Vassault
Musique : Eddie Purple, Orelsan, Phazz, Skread, David Soltany
Sociétés de production : Attita et Cinéfrance Studio], Compagnie cinématographique, France 2 Cinéma, Panache Productions et Proximus / Proximus Media House PMH
Distribution : Sony Pictures Entertainment France (France)
Date de sortie : 29 octobre 2025 (France)
Durée : 116 minutes
Vu le 26 octobre 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 3 place B19
Note de Mulder: