
| Titre original: | La petite dernière |
| Réalisateur: | Hafsia Herzi |
| Sortie: | Cinéma |
| Durée: | 106 minutes |
| Date: | 22 octobre 2025 |
| Note: |
Adapté du roman semi-autobiographique de Fatima Daas, La Petite Sœur retrace une année et quelques changements dans la vie de Fatima, la plus jeune fille d'une famille franco-algérienne, alors qu'elle passe du lycée à l'université et d'un renoncement instinctif à une acceptation timide et discrète de son homosexualité. Le postulat est familier, mais pas son traitement. Plutôt que de provoquer une collision entre la foi, la famille et la sexualité, Hafsia Herzi observe les micro-ajustements – de saison en saison, de pièce en pièce, de regard en regard – par lesquels une adolescente tente de réconcilier des aspects d'elle-même que le monde extérieur insiste à considérer comme incompatibles. Le film s'ouvre sur des ablutions à l'aube et ne hausse guère le ton par la suite ; son argument est que la persévérance peut être aussi radicale que la rupture.
Cette retenue serait purement décorative sans un centre de gravité, et Nadia Melliti offre l'une de ces premières apparitions qui semblent avoir été importées de la vie réelle dans la compétition. Elle incarne Fatima avec une sorte de perméabilité prudente : un visage impassible qui laisse transparaître des éclats de curiosité, un tempérament de bulldog qui ne se manifeste que lorsqu'un camarade de classe utilise le mot lesbienne comme une arme. Une anecdote au début du film, fugace, presque négligée, révèle la méthode du film. Une altercation dans la cour de récréation dégénère en bagarre, et la fureur de Fatima est tellement décalée par rapport au moment qu'elle semble soudain révélatrice. Plus tard, dans un joli geste domestique, sa mère encadre son diplôme à côté de ceux de ses sœurs et pleure ; Le visage de Fatima, qui accepte l'étreinte, ne reflète pas l'émotion, mais on sent quelque chose se débloquer. Hafsia Herzi continue de faire confiance à ces petites révélations : la marche des fiertés plus tard, filmée non pas comme un climax politique, mais comme une promenade avec quelqu'un que l'on aime ; un rendez-vous où l'on mange des nouilles, qui ressemble à une blague privée entre deux personnes qui apprennent encore à être elles-mêmes l'une devant l'autre.
L'entrée de Fatima dans le Paris queer est esquissée avec la curiosité d'un reporter et la prudence d'un débutant. Sur les applications de rencontre, elle essaie différents pseudonymes comme elle ajuste sa casquette, testant la distance dont elle a besoin entre la vie qu'elle mène et celle dont elle rêve. Une discussion improvisée à la fenêtre d'une voiture avec une femme plus âgée, interprétée avec une pédagogie séductrice par Sophie Garagnon, est à la fois désarmante et instructive, rappelant avec impertinence que la connaissance précède souvent la confiance. La rencontre mignonne avec Ji-Na, une infirmière qu'elle reconnaît d'une clinique pour l'asthme, est du pur cinéma : des mains qui s'effleurent dans un couloir stérile, une expiration partagée après une crise de panique qui devient, contre toute attente, un pacte. Park Ji-min incarne Ji-Na comme un rayon de soleil derrière un nuage : ouverte, généreuse, puis, sans crier gare, renfermée. Lorsque sa dépression s'installe, la rupture n'est pas mise en scène comme une trahison, mais comme la première leçon d'adulte sur le fait que les tempêtes des autres ne sont pas à vous. Le SMS qui fait capoter une soirée, le lendemain matin qui ne rétablit pas l'équilibre : ce sont là des notes que le film joue sans mélodrame et qui restent en suspens précisément parce qu'elles ne sont pas soulignées.
On peut repérer dans ce film les clins d'œil : un baiser qui bascule dans l'euphorie d'une manifestation de rue, une apparition dans un bar lesbien qui fait également office de clin d'œil complice aux spectateurs locaux. Mais si La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche est l'éléphant dans la pièce, Hafsia Herzi ne le combat pas tant qu'elle ne réorganise le mobilier autour de lui. Le regard ici est correctif sans être réprobateur, érotique sans être extractif, à l'écoute des limites des interprètes et des banalités qui font que le sexe semble faire partie de la vie plutôt que d'être un élément artificiel. Cette correction s'étend à la foi. Une scène avec un imam, interprété avec une douceur insaisissable par Abdelali Mamoun, est dérangeante à juste titre : une hiérarchie désinvolte des péchés, une théologie des exceptions qui semble presque compatissante jusqu'à ce que l'on en comprenne la structure. Fatima part sans révélation, et c'est là tout l'intérêt. Le courage du film est de laisser subsister l'indécision.
Sur le plan formel, l'œuvre est méticuleusement modeste. La caméra de Jérémie Attard privilégie les gros plans qui capturent les micro-climats – la piqûre derrière une blague, le souffle avant une confession – sans étouffer le cadre. La palette change avec les saisons, non pas comme un concept mais comme un climat ; le printemps est agité, l'été devient plus aéré et plus public, l'automne se réduit aux chambres d'étudiants et aux fenêtres de bus, l'hiver ressemble à une note tenue. La musique d'Amine Bouhafa est sobre et contrapuntique, une ligne de violoncelle qui résiste à la tentation de s'amplifier, faisant avancer les scènes tout en laissant leur charge émotionnelle aux visages et aux silences. Le montage de Géraldine Mangenot glisse entre les intérieurs et les extérieurs, entre le spectacle public des espaces queer et les rituels privés de la prière et de la famille, avec un rythme qui honore la façon dont les transitions se produisent hors champ avant d'être admises à l'écran. Même les scènes de sexe obéissent à l'éthique du film : directes, parfois drôles, et attentives à la chorégraphie maladroite des premières fois.
S'il y a une limite, elle est intentionnelle : la petite sœur du titre reste, par conception, partiellement cachée. On aperçoit les taquineries des sœurs et l'inertie du père, scotché à la télévision, mais Hafsia Herzi refuse de mettre en scène la confrontation lyrique à laquelle tant de films sur le coming out ont recours. Lorsque Fatima et sa mère – interprétée avec une chaleur océanique par Amina Ben Mohamed – finissent par aborder ce qui ne peut être dit, la conversation s'arrête avant la déclaration et ressemble encore à un pacte. Le film croit en la politique progressive des cuisines : un diplôme accroché, un avertissement murmuré, une permission tacite accordée d'un regard. Ailleurs, à l'université, Fatima adopte une nouvelle tribu, dont fait partie Cassandra, incarnée par Mouna Soualem, une joyeuse semeuse de chaos. Le film capture la joie contradictoire de cette période où l'identité semble à la fois choisie et provisoire. Un soir, elle est la novice guidée vers un trio avec le rire comme filet de sécurité ; le lendemain matin, elle est de retour à la mosquée, se lavant les mains de la même manière que dans le plan d'ouverture. La répétition n'annule pas le changement, elle le cadre.
Ce n'est pas un hasard si Nadia Melliti a quitté le festival avec le prix de la meilleure actrice et le film avec la Queer Palm. Ces prix confirment ce que le film démontre déjà : un instinct pour l'ordinaire qui, en deux heures, devient tranquillement extatique. Cela témoigne également de la trajectoire d'Hafsia Herzi, de la Semaine de la critique à Un Certain Regard en passant par la Compétition, moins comme une victoire que comme un raffinement. Les choix ici sont souvent conservateurs dans le meilleur sens du terme : la caméra écoute ; les scènes se terminent un peu plus tôt que prévu ; la catharsis que l'on s'attend à voir arriver ne se produit jamais au moment voulu. On pourrait dire que le film joue parfois la carte de la sécurité, qu'un montage plus abrasif aurait pu mettre davantage en évidence la dynamique familiale. Mais cela reviendrait à passer à côté du pari qui a été fait : que la vérité fondamentale d'une vie construite à partir de petites permissions – auto-accordées ou non – survivra à n'importe quel discours ou scène clé.
Techniquement, le travail n'est jamais ostentatoire, mais il est précis. Regardez comment Jérémie Attard s'attarde sur Nadia Melliti pendant le cours de philosophie sur Étienne de La Boétie et la servitude volontaire ; la caméra laisse l'idée rebondir sur son visage sans vous dire où elle atterrit. Ou considérez comment Géraldine Mangenot intercale une marche des fiertés avec un trajet en métro plus tardif et plus solitaire, de sorte que le même corps occupe des températures opposées de la même ville. Même la musique d'Amine Bouhafa participe au refus du film de tout mettre en ordre : des cordes qui refusent de se résoudre, des morceaux qui s'arrêtent au milieu d'une phrase comme pour dire « pas encore ». L'effet cumulatif est moins une thèse qu'un journal intime que l'on vous permet de lire sur une année entière, en devinant les passages qui étaient trop difficiles à écrire.
Et puis il y a la note finale gracieuse – pas de spoilers, juste un geste qui renvoie à une habileté athlétique semée au passage et qui s'épanouit en une déclaration sans mots de maîtrise de soi. C'est là que le travail de Hafsia Herzi se révèle : une étude de personnage qui risque de paraître légère scène après scène, mais qui prend de l'importance grâce à sa fidélité à la texture vécue. On quitte la salle en pensant non pas à la victoire ou à la défaite, mais aux systèmes météorologiques : comment une personne apprend à prévoir le temps, à s'habiller pour la pluie, à sortir quand même. Le film La petite dernière ne cherche pas à faire les gros titres ; il s'intéresse à la vie après la mort, à la façon dont un film reste en vous une fois le générique terminé, à la façon dont les premières expériences d'une jeune femme, avec leurs bleus et tout le reste, commencent à ressembler à un passé utile. C'est là, dans sa discrétion, que réside sa défiance.
La Petite Dernière
Écrit et réalisé par Hafsia Herzi
D'après The Last One de Fatima Daas
Produit par Julie Billy, Naomi Denamur
Avec Nadia Melliti, Park Ji-min, Amina Ben Mohamed, Rita Benmannana, Melissa Guers
Directeur de la photographie : Jérémie Attard
Montage : Géraldine Mangenot
Musique : Amine Bouhafa
Sociétés de production : June Films, Katuh Studio, Arte France Cinéma, ZDF/ARTE, MK Productions, MK2 Films
Distribution : Ad Vitam (France)
Dates de sortie : 16 mai 2025 (Cannes), 22 octobre 2025 (France)
Durée : 106 minutes
Vu le 20 octobre 2025 à la cinémathéque
Note de Mulder: