
| Titre original: | Chien 51 |
| Réalisateur: | Cédric Jimenez |
| Sortie: | Cinéma |
| Durée: | 106 minutes |
| Date: | 15 octobre 2025 |
| Note: |
Dog 51, le nouveau film de Cédric Jimenez, se présente comme une réflexion visuellement saisissante mais moralement dérangeante sur notre monde de plus en plus automatisé. Dans cette vision dystopique d'un Paris proche, Cédric Jimenez troque son réalisme procédural habituel contre un cauchemar baigné de néons, régi par une IA omniprésente nommée ALMA. Cette souveraine artificielle utilise la reconnaissance faciale, des drones de surveillance et l'analyse prédictive pour réprimer le crime avant qu'il ne se produise — une métaphore effrayante de l'obsession de notre époque pour le contrôle algorithmique. Paris n'est plus la ville lumière, mais un labyrinthe de divisions : la zone 1 pour les riches, la zone 2 pour les complaisants et la zone 3 pour ceux qui sont laissés dans l'ombre permanente. À travers cette structure rigide, Cédric Jimenez crée un monde à la fois futuriste et étrangement familier, où la hiérarchie des classes et l'autoritarisme technologique s'entremêlent pour effacer l'individualité.
Au cœur de cette société fracturée se trouvent deux officiers : Adèle Exarchopoulos dans le rôle de Salia, une jeune policière ambitieuse de la Zone 2 dont la foi dans le système commence à s'effriter, et Gilles Lellouche dans le rôle de Zem, un vétéran blasé qui patrouille dans les rues désespérées de la Zone 3. Leur partenariat difficile commence lorsqu'ils sont chargés d'enquêter sur la mort mystérieuse du créateur d'ALMA, une affaire qui les entraîne rapidement dans l'orbite de la résistance clandestine connue sous le nom de Breakwalls, dirigée par l'énigmatique Louis Garrel. Ce qui se déroule alors est à la fois une procédure judiciaire et une pièce morale, où le véritable coupable n'est pas un seul tueur, mais un système qui criminalise la dissidence. L'alchimie entre Adèle Exarchopoulos et Gilles Lellouche confère au film une humanité fragile ; elle est tout en instinct et en retenue, tandis qu'il incarne le pragmatisme las d'un homme qui en a trop vu. Leur relation oscille entre mentorat et désir interdit, brouillant les frontières entre le personnel et le politique alors qu'ils évoluent dans une ville qui semble de plus en plus irréelle.
Visuellement, Dog 51 s'inspire largement de plusieurs films culte du cinéma américain. On y retrouve des échos de Blade Runner de Ridley Scott, Les Fils de l'homme d'Alfonso Cuarón et même Minority Report de Steven Spielberg. Mais là où ces films suscitaient l'espoir au milieu de la décadence, Cédric Jimenez préfère l'ambiguïté. Son Paris est perpétuellement trempé par la pluie, ses néons se reflétant dans des flaques d'eau qui semblent ne mener nulle part. La conception de la production est impeccable, mais il y a quelque chose de mécanique dans sa perfection, comme si le film lui-même avait été généré par l'IA contre laquelle il nous met en garde. L'ironie n'est pas perdue : pour un film qui condamne la froide précision des machines, Dog 51 donne souvent l'impression d'avoir été assemblé par l'une d'entre elles. Pourtant, cette contradiction recèle une certaine poésie. Lorsque Adèle Exarchopoulos arpente les ruelles sombres de la Zone 3 avec sa coupe au carré angulaire, elle devient un symbole de résistance, une figure humaine qui transperce la géométrie stérile de l'algorithme.
Ce qui sauve Dog 51 d'être un simple pastiche, c'est son sous-texte. Cédric Jimenez est depuis longtemps fasciné par les institutions de contrôle – de l'ambiguïté morale de La Forteresse à l'intensité procédurale de Novembre – et ici, il tourne son objectif vers l'intérieur. Les policiers ne sont plus des héros ou des méchants, mais de simples outils de l'algorithme, dépouillés de leur libre arbitre et de leur conscience. La prise de conscience progressive de Salia reflète le malaise du public : dans quelle mesure avons-nous déjà abandonné notre raisonnement moral à des systèmes que nous comprenons à peine ? Le scénario d'Olivier Demangel, adapté du roman de Laurent Gaudé, joue avec ces angoisses, superposant à l'intrigue procédurale des réflexions sur la surveillance, la culpabilité et la complicité. Le monde est peut-être fictif, mais sa logique est effroyablement plausible. On imagine presque la voix froide d'ALMA résonner dans nos smartphones, promettant la sécurité en échange de notre soumission.
Le parallèle entre la culture de résistance réelle en France et le soulèvement fictif de Dog 51 donne une dimension supplémentaire au film. Lorsque l'émeute inévitable éclate dans le dernier acte, elle ne ressemble pas au point culminant d'une fiction, mais à l'écho de l'histoire. Malgré son caractère artificiel, le film de Cédric Jimenez capture quelque chose de brut et de profondément français : le refus d'accepter l'ordre sans justice.
Tout ne fonctionne pas pour autant. Le rythme du film est hésitant dans son premier acte, l'exposition bureaucratique s'éternisant avant que les enjeux émotionnels et politiques ne se cristallisent. Les dialogues ont souvent tendance à trop expliquer, énonçant des idées que les images transmettent déjà. Pourtant, lorsque Cédric Jimenez laisse parler sa caméra – dans des moments comme l'infiltration sous-marine de Zem dans la Seine ou la séquence surréaliste du karaoké où deux policiers chantent What's Up avec une sincérité attachante – le film atteint une liberté rare. C'est dans ces flashs absurdes que l'humanité brise l'algorithme, nous rappelant que c'est le chaos, et non le contrôle, qui définit ce que signifie être vivant.
Il y a également quelque chose d'admirable dans la façon dont Chien 51 refuse l'héroïsme facile. Salia n'est pas une sauveuse ; Zem n'est pas un martyr. Tous deux sont compromis, pris entre l'obéissance et la rébellion. Adèle Exarchopoulos porte magnifiquement le poids de cette contradiction, son jeu oscillant entre vulnérabilité et défiance tranquille. Gilles Lellouche, souvent cantonné à des rôles de gros bras, livre ici l'une de ses performances les plus introspectives, incarnant un homme qui sait qu'il est obsolète dans un monde régi par des codes. Leur dynamique culmine dans un final qui troque le spectaculaire contre l'intimité : un visage humain face à un dieu numérique. C'est un rappel obsédant que la technologie peut reproduire nos pensées, mais jamais nos âmes.
Chien 51 est à la fois un avertissement et un miroir. Cédric Jimenez ne réinvente pas le genre dystopique, mais il le revitalise avec une urgence ancrée dans le présent. Derrière les tropes familiers se cache un cinéaste aux prises avec sa propre complicité, un artisan qui s'interroge sur l'éthique de la représentation à une époque où l'art et l'algorithme s'estompent de plus en plus. Que l'on y voie une satire consciente d'elle-même ou une sombre prophétie, le film reste en suspens comme un bug dans le système, impossible à ignorer. Ses imperfections deviennent sa vérité : après tout, l'humanité n'a jamais été censée être efficace.
Alors que le générique défile et que la voix mécanique d'ALMA s'estompe dans le bruit statique, le film nous laisse avec une pensée troublante : peut-être que l'IA n'avait pas besoin d'inventer ce monde. Nous l'avons déjà construit nous-mêmes. Chien 51 se contente de nous tendre le miroir et nous met au défi de regarder.
Chien 51
Réalisé par Cédric Jimenez
Écrit par Cédric Jimenez, Olivier Demangel
Produit par Hugo Sélignac
Avec Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel, Romain Duris
Photographie : Laurent Tangy
Montage : Laure Gardette, Stan Collet
Musique : Guillaume Roussel
Sociétés de production : Studiocanal, Chi-Fou-Mi (Mediawan)
Distribution : Studiocanal (France)
Dates de sortie : 6 septembre 2025 (Venise), 15 octobre 2025 (France)
Durée : 106 minutes
Vu le 15 octobre 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 1 place L19
Note de Mulder: