Titre original: | Frankenstein |
Réalisateur: | Guillermo Del Toro |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 150 minutes |
Date: | 07 novembre 2025 |
Note: |
Frankenstein écrit et réalisé par Guillermo del Toro n'est pas seulement un film, c'est un requiem, un miroir tendu à deux siècles de narration et à la communion de toute une vie du cinéaste avec les monstres. Dès le premier plan, qui montre une étendue désolée de l'Arctique, cathédrale gelée de la désolation, Guillermo del Toro annonce ses intentions. Il ne s'agit pas d'horreur au sens conventionnel du terme. C'est un chagrin sculpté dans la glace, un souvenir brodé dans la chair. Ce que Mary Shelley a conçu en 1818 comme une méditation gothique sur la création, la transgression et l'isolement renaît ici sous la forme d'une élégie pour les pères et les fils, pour les créateurs et leurs créations inachevées, pour la douleur qui persiste entre cruauté et tendresse. Chaque image porte la marque de Guillermo del Toro : la mélancolie ornée de Crimson Peak, la compassion de La Forme de l'eau, la grandeur mythique du Labyrinthe de Pan. Mais ici, cette sensibilité a mûri pour devenir quelque chose de plus calme, presque dévotionnel. Les monstres ne sont plus des métaphores. Ce sont des personnes. Ce sont nous.
L'histoire commence, comme l'a écrit Shelley, au milieu du vide aveuglant de l'Arctique. Le capitaine Anderson, interprété par Lars Mikkelsen, mène une expédition à travers le Nord gelé, où ils découvrent un homme émacié et fiévreux, Victor Frankenstein, interprété avec brio par Oscar Isaac, poursuivi à travers la glace par une créature imposante (Jacob Elordi) dont la rage brûle même dans l'air glacial. Ces premières scènes sont empreintes d'un calme hallucinatoire. La glace gémit, le vent parle, et la confession de Victor se répand comme du sang sur la neige. Del Toro divise le récit en deux mouvements : la descente de Victor dans l'obsession et le douloureux réveil de la créature. Chacun est filmé avec un rythme distinct – le premier comme une fièvre, le second comme une complainte – mais tous deux tournent autour de la même blessure. Ils sont le créateur et la création, le père et l'orphelin, des reflets prisonniers du regard de l'autre. Guillermo Del Toro ne se contente pas de raconter leur histoire ; il la laisse se dérouler comme une prière qui attend depuis deux siècles d'être prononcée à haute voix.
Dans ce récit, l'ambition de Victor Frankenstein ne naît pas de l'arrogance, mais de l'héritage. Sa cruauté est apprise, pas choisie. Enfant, il regarde son père (Charles Dance, glacial et sévère) disséquer des cadavres à la lueur d'une bougie, lui enseignant l'anatomie comme si l'amour était une autre expérience. Lorsque sa mère (incarnée avec une fragilité poignante par Mia Goth, qui incarnera plus tard Elizabeth) meurt en couches, le chagrin du jeune Victor se transforme en obsession. Il jure de vaincre la mort, de reprendre le contrôle du chaos qui l'a emportée. Del Toro fait en sorte que ce serment ressemble moins à un blasphème qu'à un acte désespéré, la dévotion déformée d'un enfant qui tente de devenir le dieu que son père exigeait qu'il soit. Lorsque nous retrouvons Victor à l'âge adulte, Oscar Isaac l'incarne comme un homme dévoré par son génie, son esprit en proie à une tempête d'équations et de culpabilité. Son laboratoire n'est pas un lieu de triomphe, mais de pénitence. Il ne crée la vie par émerveillement, mais par repentir.
La naissance de la créature, lorsqu'elle survient, est à l'opposé de ce à quoi s'attend le public. Il n'y a ni tonnerre, ni cri de défi lancé au ciel. Guillermo Del Toro la met en scène dans le silence : des gouttes d'eau, des fils qui tremblent, un souffle qui donne vie. La scène semble presque sacrée, comme un baptême interrompu. Le nouveau-né ouvre les yeux, confus et tremblant, tandis que son créateur recule d'horreur, incapable d'affronter ce qu'il a créé. À ce moment, Guillermo del Toro capture le paradoxe central de la parentalité et de l'art : la terreur de voir ses défauts se refléter dans ce que l'on aime. Abandonné par son créateur, la Créature apprend ce que Victor a appris avant lui : que le rejet est le premier langage des hommes. Ce qui suit n'est pas le déchaînement d'un monstre, mais l'éducation d'une âme dans la solitude. Enchaîné, battu et rejeté dans un monde qui ne peut supporter son visage, il devient le miroir de la cruauté humaine. Quand il trouve plus tard un refuge temporaire chez un ermite aveugle (David Bradley, tendre et tragique), le film atteint son point le plus calme et le plus dévastateur. Pour la première fois, quelqu'un le touche sans crainte. Leurs conversations – sur la musique, la lumière et le pardon – évoquent le genre de beauté qui ne peut exister que dans l'ombre. La performance de
Jacob Elordi ici est une véritable révélation. Sous les prothèses et la peau cousue, il ne trouve pas l'horreur, mais la grâce. Sa créature se déplace comme un homme qui redécouvre son corps, ne sachant pas quelles parties lui appartiennent encore. Chaque geste est prudent, chaque respiration est une question. Au fil du temps, alors qu'il apprend à parler et à penser, la performance de Jacob Elordi devient presque philosophique, une étude sur la naissance de la conscience. Lorsqu'il affronte à nouveau Victor, ce n'est pas la vengeance qui le motive, mais une tristesse perplexe : pourquoi m'avoir donné la vie si tu ne supportes pas de me voir vivre ? Cette question, plus que tout acte de violence, hante le film. C'est la même question que Shelley a posée à Dieu, que les artistes posent à leur travail, que les enfants posent à leurs parents. Del Toro construit tout son film autour de cette question et, en refusant d'y répondre, il la rend d'autant plus forte.
L'univers visuel de Frankenstein est l'un des plus riches de la carrière de Guillermo del Toro. La chef décoratrice Tamara Deverell construit un univers où la décadence et la divinité se côtoient : des cathédrales remplies de tuyaux qui gouttent, des laboratoires qui ressemblent à des cryptes, des cimetières qui fleurissent comme des jardins sous la pluie. La photographie de Dan Laustsen peint chaque image dans des tons de cendre et d'or, tandis que la musique d'Alexandre Desplat s'élève comme un hymne d'orgue, ses motifs mi-berceuse, mi-requiem. Le film dégage une beauté presque tactile, comme si l'on pouvait sentir le froid des murs de pierre ou le pouls sous la peau suturée. Pourtant, la grandeur n'étouffe jamais l'intimité. Même dans ses moments les plus grandioses – la silhouette de la créature se découpant sur une tempête, Victor hurlant dans le vide – l'accent reste mis sur le frémissement des émotions intérieures. Del Toro a toujours été un cinéaste empathique, mais ici, sa compassion semble dépouillée de tout spectaculaire, distillée jusqu'à son essence même.
Oscar Isaac et Jacob Elordi sont entourés d'un ensemble qui renforce les contradictions humaines de l'histoire. Christoph Waltz incarne Heinrich Harlander, un financier qui considère les expériences de Victor non pas comme des miracles, mais comme des marchés potentiels. Sa présence ajoute une note de cynisme, suggérant que la marchandisation de la vie a commencé bien avant l'ère moderne. Mia Goth, dans un double rôle de mère et de fiancée, relie les thèmes de la création et de la perte de l'histoire en un seul fil conducteur. Son personnage, Elizabeth, n'est pas une victime passive, mais une boussole morale, le seul personnage qui entrevoit l'âme de la créature et reconnaît sa ressemblance avec celle de Victor. Lorsque la tragédie finit par la frapper, le film s'effondre dans le silence. Ce n'est pas le choc qui persiste, mais une terrible inévitabilité : chaque acte de création, semble dire del Toro, exige un sacrifice.
Alors que l'histoire revient dans l'Arctique, le contrôle de Guillermo del Toro devient presque pictural. La glace, bleue et infinie, reflète le désert intérieur des deux hommes. Victor, épuisé et délirant, affronte sa création une dernière fois. Il n'y a pas de grande bataille, pas de jugement divin, seulement deux êtres, égaux dans leur ruine, liés par un désir mutuel. La créature ne pleure pas par haine, mais par reconnaissance. Il comprend maintenant que la cruauté de Victor est née de la peur, la même peur qui anime tous les pères incapables d'aimer ce qu'ils ont créé. Lorsque Victor meurt, la Créature transporte son corps à travers la glace, le berçant comme un enfant. Dans ce tableau muet réside la véritable résurrection du film : non pas celle de la chair, mais celle du pardon. Alors que le navire se libère de la mer gelée et dérive vers la lumière, le cycle de la punition et de la honte semble enfin se dégeler.
Frankenstein n'est pas sans défaut : sa solennité peut mettre la patience à rude épreuve, son rythme est délibérément lent, voire immobile, mais ces choix semblent faire partie intégrante de sa conception. Ce n'est pas un film qui recherche les sensations fortes ou la terreur. C'est une méditation sur ce que signifie aimer l'imperfection, trouver la divinité dans la difformité. Guillermo del Toro n'adapte pas tant le roman de Shelley qu'il y répond, ajoutant son propre chapitre au long dialogue entre la création et le créateur. Chaque élément – les performances, les images, la musique – sert cette conversation. Et lorsque la créature s'avance enfin seule vers l'horizon blanc, disparaissant dans le même silence d'où elle est venue, il nous reste l'espoir faible et impossible qu'elle ne sera pas considérée comme un monstre, mais comme la preuve que même ce qui est brisé peut être beau. Le Frankenstein de Guillermo Del Toro est un chef-d'œuvre d'empathie, un film qui respire, saigne et croit, nous rappelant que le véritable acte de création n'est pas de donner la vie, mais d'oser l'aimer une fois qu'elle est créée.
Frankenstein
Écrit et réalisé par Guillermo del Toro
D'après Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley
Produit par Guillermo del Toro, J. Miles Dale, Scott Stuber
Avec Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth, Felix Kammerer, Lars Mikkelsen, David Bradley, Charles Dance, Christoph Waltz, Lauren Collins
Directeur de la photographie : Dan Laustsen
Montage : Evan Schiff
Musique : Alexandre Desplat
Sociétés de production : Double Dare You, Demilo Films, Bluegrass 7
Distribué par Netflix
Dates de sortie : 30 août 2025 (Venise), 17 octobre 2025 (États-Unis), 7 novembre 2025 (France)
Durée : 150 minutes
Vu le 11 octobre 2025 à la cinémathèque de Paris
Note de Mulder: