Arco

Arco
Titre original:Arco
Réalisateur:Ugo Bienvenu
Sortie:Cinéma
Durée:82 minutes
Date:22 octobre 2025
Note:
En 2075, une fillette de 10 ans nommée Iris voit un mystérieux garçon vêtu d'un costume arc-en-ciel tomber du ciel. Il s'appelle Arco. Il vient d'un futur lointain et idyllique où le voyage dans le temps est possible. Iris l'accueille chez elle et fait tout son possible pour l'aider à rentrer chez lui.

Critique de Mulder

Dès son premier trait prismatique dans le ciel, Arco réalisé par Ugo Bienvenu s'annonce comme une œuvre rare, dessinée à la main : une fable sur le voyage dans le temps qui porte en elle le doux bruissement du papier et du graphite. Co-écrit avec Félix de Givry, le film reprend le thème éculé de l'enfant hors du temps et le réfracte à travers un prisme résolument optimiste, moins apocalyptique et plus pragmatique. Arco imagine un avenir lointain qui a choisi de laisser la Terre se reposer après la Grande Jachère, mais il nous ramène également en 2075, où des dômes de feu sauvage clignotent au-dessus des impasses et où une nounou robot nommée Mikki persuade des parents holographiques de respecter une routine du coucher. Cette double exposition – un avenir pastoral niché dans un futur proche chargé – donne son rythme au film. On le ressent dès le début : un garçon regarde depuis une ferme techno-agrarienne sur pilotis alors que sa famille revient à travers des arcs-en-ciel, traînant des bribes de préhistoire comme du pollen de contrebande. Le fantasme est désarmant de tactilité, et l'imagination morale est claire : la technologie n'est pas un ennemi à détruire, mais un outil qui doit apprendre à partager l'espace avec les arbres, les livres et les enfants.

En terme d’animation, le film est une merveille de liberté contrôlée. Les personnages sont nets et lisibles, les décors regorgent de détails, les capes arc-en-ciel ondulent comme des vitraux vivants. On y retrouve des influences évidentes : le lyrisme écologique de Hayao Miyazaki, le romantisme météorologique de Makoto Shinkai, une touche du psychédélisme de René Laloux, et même la clarté documentaire des bandes dessinées que Jean Giraud a autrefois poussées aux limites du rêve. Mais Arco ne se contente jamais d'être un pastiche. Les mouvements sont énergiques, les contours conservent une touche humaine, et le film fait confiance à un rythme artisanal à une époque où l'animation est trop souvent polie jusqu'à l'anonymat. Le mérite en revient au directeur de l'animation Adam Sillard, dont la mise en scène élastique rend l'action du film lisible sans en gommer les particularités, et au compositeur Arnaud Toulon, dont la musique monte et descend comme le temps, ne se contentant jamais de souligner les émotions, mais donnant aux scènes une atmosphère météorologique. 

L'intrigue est d'une simplicité magnifique : Arco, doublé avec une impatience débordante par Christian Convery (dans les versions françaises, par Oscar Tresanini), vole le dispositif arc-en-ciel qu'il est trop jeune pour utiliser et s'écrase en 2075, où Iris, interprétée avec une chaleur terre-à-terre par Romy Fay (en français : Margot Ringard Oldra), le trouve effondré dans une forêt encerclée par la fumée. Leur première rencontre est presque muette, une jolie mise en scène dans laquelle elle le protège du regard tandis qu'un trio de chasseurs d'extraterrestres autoproclamés fouille les buissons. Cette chorégraphie initiale – peur, curiosité, attention vive – donne le ton d'une amitié que le film refuse de sentimentaliser. Iris est solitaire mais pas fragile, pragmatique comme le deviennent les enfants lorsque les adultes externalisent leur affection vers des applications de productivité. Arco, malgré ses fanfaronnades, est un enfant qui a vu trop grand ; il doit apprendre l'humilité avant de pouvoir réapprendre à voler. Leur alliance est fondée sur un échange : Iris lui apprend à passer inaperçu en 2075 ; Arco lui apprend à « lire » le chant des oiseaux, une petite idée lumineuse à laquelle le film revient exactement quand il a besoin d'air.

 S'il y a ici un pari formel, c'est sur le ton. Ugo Bienvenu mêle passage à l'âge adulte, slapstick et éco-futurisme, et le tissage ne tient pas toujours. Les frères maladroits – Frankie, Dougie et Stewie, doublés respectivement par William Lebghil, Vincent Macaigne et Louis Garrel en français et par Andy Samberg, Will Ferrell et Flea en anglais – ont des éclairs de charme et une révélation tardive qui justifie presque leur obsession. Pourtant, ils sapent la tension chaque fois que l'histoire en a le plus besoin, transformant une séquence de poursuite en sketch comique. Ailleurs, le film explique où il pourrait faire confiance aux sentiments du public : quelques passages didactiques sur les dômes, les données et le triage climatique ressemblent à des notes de bas de page glissées dans les dialogues. Il en résulte une partie centrale qui vagabonde – jamais sans but, mais parfois trop explicative – avant que le film ne resserre son emprise pour un final percutant. Rien de tout cela ne brise le charme, mais on sent qu'un réalisateur débutant tente de concilier trop d'idées brillantes à la fois.

Ce qui fonctionne vraiment, c'est Mikki. Doublé en français par Alma Jodorowsky et Swann Arlaud, l'androïde jaune et noir emprunte son ADN au roman graphique System Preference d'Ugo Bienvenu et apparaît à l'écran comme l'une des représentations récentes les plus discrètement radicales de l'IA domestique. Mikki parle avec des timbres parentaux assemblés, non pas comme un gag, mais comme une thèse : la technologie peut être un instrument de soins lorsqu'elle se souvient qu'elle est un substitut, et non un remplacement. Observez le blocage dans les scènes de dîner où les holoparents apparaissent et disparaissent ; Mikki ne vole jamais la vedette, ne supplie jamais pour avoir une âme, ne devient jamais sinistre. Elle se contente de nourrir les enfants, de maintenir les rituels du coucher intacts et de garder vivante la mémoire du foyer. Dans un genre accro à la panique liée à l'IA, ce choix est presque subversif. Il aligne le film sur le meilleur du futurisme humain de Mamoru Hosoda, sans copier ses rythmes.

Les décors sont mis en scène avec un élan net, mais deux d'entre eux s'attardent. Dans la salle de classe holographique, alors que la leçon d'Iris passe de l'abstraction à la découverte incarnée, on sent la philosophie éducative du film se mettre en place : apprendre en jouant, jouer comme une éthique de l'attention. Puis, le point culminant, monté pendant une tempête de feu qui peint la banlieue de cuivre et de cendres, voit Arco et Iris créer les conditions météorologiques précises pour un arc-en-ciel : pluie et soleil, danger et grâce. C'est un spectacle qui a un but, un rappel que le temps dans ce film n'est jamais une simple toile de fond ; c'est un personnage, une conséquence et une horloge. La séquence culmine dans un choix à la fois inévitable et déchirant, et le film a le bon sens de se terminer sur une note douce-amère plutôt que sur une déclaration de thèse. Je me suis surpris à penser à The Congress d'Ari Folman et à Flow de Gints Zilbalodis : des films où l'image continue de parler après que l'intrigue a pris fin.

Malgré toute son élégance, Arco n'est pas infaillible. Les mécanismes de science-fiction – comment le temps s'étire entre les époques, ce qu'implique réellement le Grand Membre – restent délibérément flous. Certains trouveront cela libérateur, d'autres souhaiteront qu'Ugo Bienvenu et Félix de Givry aient resserré un peu les règles. Et bien que la version anglaise du film (avec Natalie Portman comme productrice et doubleuse aux côtés de Mark Ruffalo) élargisse son audience, le scénario explique parfois ce que l'animation communique déjà. Néanmoins, lorsque les coups de pinceau sont aussi vivants, cette articulation excessive devient un tic pardonnable, comme un conteur trop désireux de s'assurer que les derniers rangs entendent bien ses murmures.

Ce qui élève finalement Arco, c'est son refus de mépriser son jeune public ou de flatter son public plus âgé. Il traite les enfants comme des agents moraux et les adultes comme des êtres faillibles, et il insiste – avec douceur – sur le fait que la gestion responsable est un verbe. Dans un moment anodin, Iris remarque que plus personne ne va à la bibliothèque ; quelques scènes plus tard, un oiseau se pose sur la cape arc-en-ciel, comme pour approuver cette contre-argumentation. C'est là tout le film en miniature : la conviction que l'attention – portée au langage, aux êtres vivants, au passé dont nous héritons et à l'avenir que nous devons – peut encore changer le cours des choses. Imparfait, lumineux et résolument dessiné à la main, Arco ne réinvente pas la roue du voyage dans le temps ; il nous rappelle pourquoi nous les construisons en premier lieu : pour que deux enfants de siècles différents puissent se trouver et, pendant quelques minutes haletantes, faire tourner le monde ensemble.

Arco
Réalisé par Ugo Bienvenu
Écrit par Ugo Bienvenu, Félix de Givry
Produit par Ugo Bienvenu, Félix de Givry Sophie Mas, Natalie Portman
Avec Swann Arlaud, Alma Jodorowsky, Margot Ringard Oldra, Oscar Tresanini, Vincent Macaigne, Louis Garrel, William Lebghil, Oxmo Puccino
Montage : Nathan Jacquard
Musique : Arnaud Toulon
Sociétés de production : Remembers, Mountain A
Distribution : Diaphana Distribution (France), NEON (États-Unis)
Dates de sortie : 22 octobre 2025 (France), 14 novembre 2025 (États-Unis)
Durée : 82 minutes

Vu le 9 octobre au Max Linder Panorama 2025 au Max Linder Panorama

Note de Mulder: