Titre original: | Taylor Swift: The Official Release Party of A Showgirl |
Réalisateur: | |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 89 minutes |
Date: | 04 octobre 2025 |
Note: |
Taylor Swift : The Official Release Party of a Showgirl n'est ni un film-concert au sens traditionnel du terme, ni un documentaire classique. Il occupe un espace liminal entre l'autoportrait et le rituel public, une séance cinématographique où Taylor Swift réfléchit à la célébrité, à la féminité et à la paternité artistique à travers le prisme de son album le plus personnel à ce jour, The Life of a Showgirl. Dès que le compte à rebours commence, faisant écho au spectacle The Eras Tour mais dans un ton plus calme, l'atmosphère change. Finis les rugissements du stade et les effets pyrotechniques ; à leur place, une invitation intime à entrer dans le sanctuaire créatif de Taylor Swift. S'ensuivent 89 minutes de récits confessionnels, de pastiches historiques et de merveilles théâtrales, présentés avec une conscience de soi rare pour une artiste au sommet de sa carrière commerciale. Le film traite moins de la performance que de la transformation — d'une artiste, d'un public et peut-être de l'idée moderne de ce que peut être une sortie pop à l'ère post-streaming.
Au centre de cet événement cinématographique se trouve The Fate of Ophelia, le premier single et thème central de l'album. Le clip vidéo, qui ouvre le film, donne immédiatement le ton : luxuriant, pictural et enivrant. Réalisée par Taylor Swift elle-même, la séquence se déroule comme un rêve fiévreux à travers des siècles d'imagerie féminine : une muse préraphaélite inspirée du tableau de John Everett Millais, une sirène de cabaret drapée de satin, une déesse pop moderne baignée de néons. Chaque transformation est à la fois un hommage et une critique, suggérant que la showgirl n'est pas un personnage joué par Taylor Swift, mais une métaphore qu'elle se réapproprie. L'imagerie de la noyade — revisitant la beauté tragique d'Ophélie tout en faisant allusion à l'étouffement sous la surface de la célébrité — devient un symbole de renaissance. Lorsque Taylor Swift émerge de l'eau dans des paillettes et une lumière champagne, ce n'est pas une résurrection par le spectacle, mais par le contrôle. La richesse de la séquence réside dans son paradoxe : la beauté utilisée comme arme pour commenter, la vulnérabilité transformée en chorégraphie.
Les images des coulisses qui suivent ne démystifient en rien cet attrait, mais au contraire l'amplifient. Regarder Taylor Swift diriger sur le plateau révèle sa double nature, à la fois architecte méticuleuse et collaboratrice spontanée. Elle se déplace entre les plans avec l'aisance de quelqu'un qui sait exactement ce qu'il veut, tout en laissant suffisamment de place à la découverte. Ses interactions avec ses collaborateurs de longue date — la chorégraphe Mandy Moore, le directeur de la photographie Rodrigo Prieto et le chef décorateur Ethan Tobman — révèlent une artiste qui maîtrise parfaitement le langage cinématographique. La chorégraphie de Mandy Moore est précise mais fluide, synchronisée avec les émotions de Taylor Swift plutôt qu'avec le simple rythme. La caméra de Rodrigo Prieto, qui a autrefois capturé l'irréalité aux couleurs acidulées de Barbie, confère désormais à l'univers des showgirls un éclat tactile. Et Ethan Tobman, qui avait précédemment conçu les paysages surréalistes de The Eras Tour, crée un monde théâtral à la fois grandiose et profondément humain. La séquence du bateau pirate à elle seule, qui fait clairement référence au style fantastique artisanal de Karel Zeman, est un triomphe de l'art analogique à l'ère numérique. Ensemble, ils ont créé un film qui semble avoir été construit à la main plutôt qu'à la machine.
Ce qui distingue The Official Release Party of a Showgirl des précédents projets de Taylor Swift, c'est son intimité. Plutôt que de se nourrir de l'énergie collective d'un stade, le film tire sa force du contact visuel, Taylor Swift regardant directement la caméra comme si elle s'adressait à une seule personne à la fois. Avant chaque chanson, elle offre des réflexions sur le sens et le processus, rappelant VH1 Storytellers, mais filtrées à travers sa propre sensibilité narrative. Des chansons comme Eldest Daughte» et Ruin the Friendship» sont comme de doux exorcismes du regret, tandis que Knock on Wood et Honey brillent d'humour et de conscience de soi. Actually Romantic, quant à elle, est la confession la plus spirituelle du film, une réponse voilée à la mesquinerie de l'industrie, qui ferait référence à Sympathy is a Knife de Charli XCX. Sans citer de noms, Taylor Swift démantèle la perception du public avec un sourire : « Dans mon industrie, l'attention est synonyme d'affection, et vous m'en donnez beaucoup. » Cette phrase fait l'effet d'un coup de théâtre, le genre qui transforme une querelle en poésie. Peu d'artistes gèrent les critiques et l'auto-mythification avec autant de sang-froid ; encore moins transforment les deux en un art qui invite plutôt qu'il n'exclut.
Il y a un génie discret dans la façon dont Taylor Swift joue avec la censure et l'humour dans ce cadre théâtral. Sachant que beaucoup de ses jeunes fans seront présents, elle présente les versions propres de ses chansons — et pourtant, au lieu de donner une impression de stérilité, ces modifications font partie intégrante de l'expérience collective. Dans Father Figur», le passage de my dick's bigger à «my check's bigger provoque des rires, non pas parce qu'il édulcore le texte, mais parce qu'il transforme la fanfaronnade en satire. De même, le remplacement de thighs (cuisses) par skies (cieux) dans Wood transforme la prudence linguistique en un clin d'œil partagé. Le théâtre devient un espace de complicité, les adultes gloussant comme des enfants dans une salle de classe, conscients du sous-texte que Taylor Swift préserve astucieusement sous le vernis. Cette dualité — la capacité à séduire l'innocence de ses plus jeunes fans tout en conservant le ton complice que ses fans plus âgés apprécient — est peut-être le triomphe le plus subtil du film. Cela nous rappelle que la maîtrise de Swift ne réside pas seulement dans ses mélodies ou son marketing, mais dans sa capacité à unir des publics très différents grâce à son ton, son ironie et son empathie.
Même lorsque le format risque de paraître répétitif — vidéo lyrique, commentaire, vidéo lyrique —, le charisme de Taylor Swift permet de maintenir la cohésion. Le flux est ponctué d'humour tendre, comme la publicité Target qu'elle a réalisée elle-même et qui précède le film principal, ou ses excuses enjouées pour avoir montré deux fois The Fate of Ophelia. Mais ici, la répétition a un but. Le deuxième visionnage de la vidéo a un impact différent : après avoir entendu les réflexions de Taylor Swift, elle semble plus lourde, plus personnelle, comme si nous voyions désormais le travail et la perte qui se cachent derrière son glamour. C'est un écho cinématographique, l'art réfracté à travers le prisme de la compréhension. Cette superposition de sens transforme l'événement d'un exercice promotionnel en quelque chose qui s'apparente à une méta-performance. Le film ne traite plus de « The Life of a Showgirl », mais de la manière dont Taylor Swift construit, déconstruit et se réapproprie son image en temps réel.
Sur le plan commercial, le film a déjà prouvé qu'il était un autre phénomène swiftien. Distribué de manière indépendante par AMC Theaters, Cinemark et Regal Cinemas aux Etats-Unis, il a complètement contourné l'appareil traditionnel des studios, rapportant plus de 15 millions de dollars en prévente dans 100 pays. Il reflète l'approche de Taylor Swift vis-à-vis de son catalogue musical : le posséder, le distribuer et le définir selon ses propres conditions. Comme on pouvait s'y attendre, les critiques sont partagées. Pourtant, même ces contradictions valident le message du film : la showgirl a toujours été une figure controversée, adorée, rejetée, enviée et commercialisée. Taylor Swift le sait, et plutôt que de lutter contre cela, elle intègre le discours lui-même dans son numéro.
Alors que le générique défile et que The Fate of Ophelia joue une dernière fois, un changement discret s'opère. Ce qui avait commencé comme un spectacle se termine dans le calme, une réflexion sur la survie, non seulement dans l'industrie, mais aussi dans le paysage émotionnel de la célébrité. À la fin, la showgirl du titre ne semble plus être un personnage, mais toutes les versions de Taylor Swift que nous avons rencontrées au fil des ans : l'adolescente avec sa guitare, la femme confrontée à son passé, l'auteure qui bâtit son empire. The Official Release Party of a Showgirl n'est pas conçu pour convertir les sceptiques, ni pour éblouir par sa nouveauté. C'est une étude sur l'appropriation : du récit, de l'art, de l'identité.
C'est peut-être pour cela que ce film, bien que modeste par rapport à The Eras Tour, pourrait s'avérer plus durable dans son esprit. Il dépouille le stade de son éclat pour révéler une créatrice qui trouve sa force non pas dans le fait d'être adorée, mais dans le fait d'être comprise. C'est Taylor Swift qui se réapproprie non seulement ses chansons, mais aussi ses silences — chaque pause, chaque parole reformulée, chaque clin d'œil derrière les paillettes. Elle sait que la célébrité, comme l'eau, reflète autant qu'elle déforme. Et dans ce miroir, elle ne se noie pas. Elle chorégraphie son prochain mouvement.
Vu le 5 octobre 2025 à l’UGC Ciné-cité Les Halles, salle 1
Note de Mulder: