Peau à Peau

Peau à Peau
Titre original:Peau à Peau
Réalisateur:Chloé Cinq-Mars
Sortie:Vod
Durée:103 minutes
Date:Non communiquée
Note:
Hantée par la mort horrible de sa sœur, une jeune mère souffrant d'insomnie sombre dans une dépression post-partum.

Critique de Mulder

Nesting (Peau à Peau), le premier long-métrage de Chloé Cinq-Mars, s’impose comme un thriller psychologique d’une rare intensité, à la fois intime et universel. Inspirée de sa propre expérience d’une dépression post-partum inattendue, la réalisatrice construit un récit qui échappe aux clichés pour s’aventurer dans la zone grise, là où la maternité se transforme en terrain de solitude et de terreur intime. Dès les premières images, le film met en place une atmosphère à la fois familière et inquiétante : celle d’une jeune mère, Pénélope, interprétée avec une intensité troublante par Rose-Marie Perreault, qui découvre à quel point aimer un enfant peut être indissociable d’un vertige profond, d’une perte de soi et d’une peur constante de mal faire.

L’une des grandes forces du film est sa capacité à mêler réalisme cru et dérives hallucinatoires. Chloé Cinq-Mars ne détourne pas le regard des détails les plus concrets de la maternité : les nuits blanches, les crevasses douloureuses, l’épuisement physique et mental. Mais elle les entremêle à des visions troublantes qui traduisent l’état psychologique fragile de Pénélope. Une promenade nocturne, censée calmer son nourrisson, bascule dans l’horreur lorsqu’elle se retrouve témoin d’un braquage dans une épicerie de quartier. Le choc est d’autant plus insoutenable qu’elle reconnaît l’agresseur : sa propre sœur, Marie Bélanger. Cet événement déclenche une cascade d’hallucinations et de souvenirs traumatiques qui parasitent sa perception du présent, brouillant la frontière entre réalité et cauchemar.

Le personnage de Pénélope prend ainsi forme sous nos yeux comme une figure complexe, à la fois victime et responsable. Ses gestes parfois imprudents – laisser son bébé seul trop longtemps, le poser sur le sol ou l’oublier dans une voiture – ne font pas d’elle une mauvaise mère, mais une femme en train de s’effondrer. Rose-Marie Perreault incarne ce paradoxe avec une physicalité saisissante : ses cris, ses moments d’absence, mais aussi ses rares instants de joie, comme cette séquence bouleversante où elle danse lors d’une soirée avant d’être brutalement ramenée à ses obligations par les pleurs de son fils. Sa performance illustre à quel point la maternité peut être vécue comme une succession d’élans vitaux interrompus, une lutte pour exister au-delà de l’enfant tout en étant entièrement définie par lui.

Le rôle du compagnon, Gaspard, interprété par Simon Landry-Désy, accentue ce sentiment d’isolement. Musicien absorbé par ses soirées et son refus de voir la gravité de la situation, il incarne cette présence masculine à la fois proche et distante, symbole d’une société prompte à juger mais lente à soutenir. La mère de Gaspard, elle aussi, ne se montre d’aucune aide, préférant reprocher à Pénélope son incapacité à nourrir correctement son bébé plutôt que de l’épauler concrètement. Ces figures secondaires construisent un environnement saturé de jugements et de conseils inutiles, qui pousse la jeune femme à s’enfoncer dans une psychose grandissante.

La réussite de Nesting (Peau à Peau) repose également sur la mise en scène sensorielle de Chloé Cinq-Mars. Loin de céder aux facilités d’un film purement réaliste ou d’un récit surnaturel, la cinéaste opte pour une hybridation des genres. Les reflets, les saturations de lumière, la présence insistante de rats que Pénélope croit entendre, ou encore les séquences chorégraphiées où elle semble se dédoubler, créent une immersion oppressante. Le spectateur partage littéralement son vertige, ressentant dans son corps cette plongée vers la psychose. Cette approche visuelle et sonore, qui brouille constamment les repères, rend tangible l’idée que l’isolement maternel peut mener à une perception altérée du réel.

Ce choix esthétique ne doit rien au hasard : Chloé Cinq-Mars a elle-même connu cette détresse, et son film traduit l’impossibilité pour une mère de demander de l’aide sans craindre d’être jugée ou même de perdre son enfant. L’une des répliques les plus marquantes du film est d’ailleurs cette question posée par Pénélope à son médecin :  Allez-vous le reprendre ?. L’angoisse de ne pas être jugée apte à s’occuper de son bébé agit comme une chape de plomb sur son esprit, l’empêchant de verbaliser sa souffrance. En ce sens, le film a une portée politique : il rappelle que protéger l’enfant ne peut se faire sans prendre soin de la mère, une vérité trop souvent oubliée dans le discours public.

On comprend alors pourquoi Chloé Cinq-Mars a tenu à s’entourer de collaboratrices également sensibles à ces enjeux, comme la directrice de la photographie Léna Mill-Reuillard ou la directrice artistique Laura Nhem, qui ont contribué à créer un univers visuel et sensoriel profondément empathique. Ce n’est pas un hasard si la réalisatrice avait déjà exploré des territoires fragiles dans La coupure ou dans son travail de scénariste sur Dérive. Mais ici, la démarche prend une dimension plus intime, presque thérapeutique, car il s’agit aussi pour elle d’un récit de pardon envers elle-même et de réconciliation avec une expérience vécue comme un traumatisme.

Au-delà de son intensité dramatique, Nesting (Peau à Peau) s’inscrit dans une lignée de films psychologiques contemporains qui interrogent le rapport entre réalité et perception, de Knocking à Censor. Mais ce qui le distingue, c’est sa sincérité brute, nourrie par une expérience vécue et transposée dans une fiction qui parle autant de maternité que de sororité, autant de survie que de mémoire. Si son dénouement peut sembler attendu, l’essentiel réside ailleurs : dans la traversée, dans cette façon qu’a Chloé Cinq-Mars de donner corps à une douleur invisible et de l’offrir au regard collectif. Le résultat est un film qui hante longtemps après la projection, non pas par ses effets horrifiques, mais par sa vérité émotionnelle.

Peau à Peau
Écrit et réalisé par Chloé Cinq-Mars
Produit par Nicolas Comeau, Jean-Marc Fröhle
Avec Marie Bélanger, Saladin Dellers, Simon Landry-Desy, Alex Lauzon, Rose-Marie Perreault
Directeur de la photographie :
Montage : Elric Robichon
Musique : Nicolas Rabaeus
Sociétés de production : 1976 Productions, Point Prod
Distribution : NC
Dates de sortie : NC
Durée : 103 minutes

Vu le 22 septembre  2025 (press screener Fantastic Fest 2025)

Note de Mulder: