Appofeniacs

Appofeniacs
Titre original:Appofeniacs
Réalisateur:Marrs Piliero
Sortie:Vod
Durée:90 minutes
Date:Non communiquée
Note:
L'utilisation de la technologie IA atteint son apogée la plus violente et sanglante après la diffusion d'une série de vidéos deepfake dans le monde entier.

Critique de Mulder

Appofeniacs réalisa par Chris Marrs Piliero, est à la fois une expérience sauvage dans le genre et un miroir sans concession tendu à notre réalité numérique chaotique. Le titre lui-même, tiré du terme apophénie (la tendance humaine à percevoir des schémas et des liens là où il n'y en a pas), annonce déjà le terrain de la paranoïa, de la désinformation et de la vengeance déplacée dans lequel évolue le film. Chris Marrs Piliero, surtout connu pour ses clips musicaux, fait ses débuts au cinéma avec une œuvre qui ressemble à une collision entre Pulp Fiction de Quentin Tarantino et un épisode particulièrement vicieux de Black Mirror. Le résultat est désordonné, délibérément provocateur et indéniablement divertissant, même s'il risque de s'effondrer sous le poids de sa propre structure fracturée.

Le film ne perd pas de temps pour établir sa thèse. Un homme nommé James (joué par Chad Addison) découvre ce qu'il croit être une vidéo pornographique de sa petite amie Ali (interprétée par Scarlett DeMeo) et de son ami Chase (Amogh Kapoor). Submergé par la rage, James assassine Ali, mais nous apprenons ensuite que la vidéo est un deepfake créé par Duke (Aaron Holliday), un incel mesquin et vengeur qui s'est donné pour passe-temps de fabriquer des mensonges numériques pour tourmenter son entourage. La démonstration suffisante de cette application par Duke à Cedrick (Jermaine Fowler) est à la fois comique et effrayante : Elle est déjà entre de mauvaises mains, car elle est entre nos mains, ironise-t-il, incarnant le genre d'arrogance destructrice qui semble tout droit sortie d'un forum de trolls en ligne. Cette ouverture met à nu l'angoisse sous-jacente du film : la réalité est de plus en plus fragile, et avec les bonnes touches, des vies peuvent être détruites en quelques minutes.

À partir de là, Chris Marrs Piliero nous disperse à travers plusieurs intrigues qui se chevauchent, chacune étant mise en mouvement par les manipulations imprudentes de Duke. Nous rencontrons Texas Tim (Will Brandt), un chauffeur Uber bien intentionné dont la course avec Poppy (Simran Jehani) le plonge dans un rassemblement bizarre dans le désert, qui dégénère en violence après la diffusion d'une vidéo truquée. Il y a Clinto Binto (Sean Gunn), un artisan cosplay dont les répliques d'armes sont plus menaçantes que prévu, et Lazzy (Paige Searcy), une jeune employée de magasin dont la vie s'effondre après qu'une vidéo virale l'ait présentée comme la méchante dans une dispute quotidienne. Les histoires se mélangent comme de l'encre dans l'eau, chaque petite rencontre ayant des conséquences catastrophiques. Chris Marrs Piliero emprunte le style narratif entrecroisé de Quentin Tarantino, allant même jusqu'à parsemer les dialogues de références au DVD Django Unchained, mais contrairement à un simple hommage, le réalisateur exploite cette structure pour amplifier la paranoïa d'un monde où rien – image, mot ou souvenir – ne peut être considéré comme fiable.

Ce qui fait que Appofeniacs résonne au-delà de son aspect gore, c'est son sens du timing presque prophétique. En regardant Duke déformer joyeusement la réalité à son avantage, il est difficile de ne pas se rappeler les récents gros titres sur des célébrités telles que Taylor Swift, victimes de pornographie deepfake, ou la vague montante de fausses informations synthétiques qui circulent plus vite que les corrections ne peuvent jamais le faire. Le génie de l'approche de Chris Marrs Piliero ne réside pas dans la présentation d'un avenir dystopique, mais dans le fait de suggérer que nous y sommes déjà. Une anecdote qui m'a marqué depuis que j'ai vu le film concerne une scène avec de la superglue, un objet du quotidien transformé en un instrument de torture grotesque, qui a fait grimacer une grande partie du public. L'effet était viscéral, car il nous rappelait à quel point des outils banals, entre de mauvaises mains, peuvent devenir monstrueux. On pourrait en dire autant des smartphones que nous avons tous sur nous.

Sur le plan de la performance, l'ensemble s'épanouit sous la vision gonzo de Piliero. Aaron Holliday incarne à la perfection le mélange d'arrogance et de fragilité pathétique de Duke, un personnage qui pourrait être considéré comme un simple faire-valoir comique s'il ne laissait pas une traînée de cadavres dans son sillage. Jermaine Fowler joue Cedrick avec un côté sournois, un opportuniste à moitié horrifié mais toujours tenté par les astuces technologiques de Duke. Simran Jehani apporte une imprévisibilité flamboyante à Poppy, tandis que Sean Gunn savoure son rôle de créateur de cosplay, donnant au film ses moments les plus bizarrement humoristiques. Mais c'est peut-être Paige Searcy qui se démarque le plus, son personnage passant de l'irritation à la sympathie puis à la tragédie, résumant ainsi le commentaire du film sur la rapidité avec laquelle l'opinion publique bascule à l'ère des vidéos virales.

Sur le plan stylistique, Appofeniacs porte la marque de fabrique des clips musicaux de Chris Marrs Piliero  : des teintes néon, des montages frénétiques et un rythme qui donne souvent l'impression d'être plongé au milieu d'une chanson. Parfois, cette énergie fonctionne à merveille, en particulier pendant les séquences de meurtres, qui sont mises en scène avec un talent certain pour le choc grotesque et la comédie noire. Une scène finale impliquant les répliques de Clinto Binto est aussi absurde qu'horrifiante, repoussant les limites des effets spéciaux de manière à faire éclater de rire et haleter le public du Fantastic Fest. Pourtant, ce même style cinétique nuit parfois au film. Le premier acte, peuplé de personnages qui semblent tout droit sortis de Clerks ou Mallrats, traîne en longueur avant que le véritable carnage ne commence, et les incessants rebondissements narratifs peuvent donner l'impression que le film est davantage une anthologie qu'un tout cohérent.

Il n'en reste pas moins que la volonté de Chris Marrs Piliero de pousser Appofeniacs dans un territoire aussi chaotique a quelque chose d'admirable. Le film comprend que la véritable horreur des deepfakes n'est pas la technologie elle-même, mais les personnes qui l'utilisent sans se soucier des conséquences. Les personnages d'Appofeniacs sont égoïstes, imparfaits et souvent ridicules, mais ils ne méritent pas le cauchemar qui leur est infligé, une ironie qui amplifie la terreur. Au moment où le dernier acte sombre dans une folie sanglante, avec des épées de cosplay tranchant la chair et de la colle adhésive se transformant en arme de guerre, le public est prêt à voir ce cauchemar numérique non pas comme un fantasme, mais comme une extension troublante et plausible de notre vie quotidienne.

Appofeniacs n'est pas un film parfait. Son scénario est surchargé, ses influences parfois trop évidentes et sa structure inégale. Pourtant, pour un premier film, il est audacieux, provocateur et résolument ancré dans son époque. Chris Marrs Piliero ne dit peut-être rien de révolutionnaire sur l'intelligence artificielle, mais l'audace même de son récit rend son avertissement impossible à ignorer. Dans un monde où des images manipulées peuvent déclencher des effusions de sang dans la réalité, Appofeniacs nous oblige à affronter une vérité dérangeante : la réalité est déjà floue, et nous sommes peut-être ceux qui tiennent l'allumette qui mettra le feu aux poudres.

Appofeniacs
Écrit et réalisé par Chris Marrs Piliero
Produit par Jared Iacino, Andrew Panay, Chris Marrs Piliero
Avec Aaron Holliday, Alfonso Caballero, Amogh Kapoor, Brendan Clifford, Chad Addison, Chris Marrs Piliero, David Pressman, E.R. Ruiz, Harley Bronwyn, Jermaine Fowler, Kevin Bohleber, Lisa Costanza, Massi Pregoni, Michael Abbott Jr., Paige Searcy, Scarlett DeMeo, Sean Gunn, Simran Jehani, Will Brandt, Zelda Gay
Directeur de la photographie : Adam Leene
Durée : 90 minutes

Vu le 21 septembre 2025 (press screener Fantastic Fest 2025)

Note de Mulder: