Marche ou crève

Marche ou crève
Titre original:The Long Walk
Réalisateur:Francis Lawrence
Sortie:Cinéma
Durée:108 minutes
Date:01 octobre 2025
Note:
Le jeune Garraty va concourir pour La Longue Marche, une compétition qui compte cent participants. Cet événement sera retransmis à la télévision, suivi par des milliers de personnes. Mais ce n’est pas une marche comme les autres, plutôt un jeu sans foi ni loi… Une adaptation du roman culte de Stephen King, Marche ou Crève.

Critique de Sabine

Le film Marche ou Crève (The long walk) est l'adaptation du roman de Stephen King. C'est le premier roman écrit par l'écrivain en 1966-67, alors qu'il est étudiant, en plein guerre du Vietnam. Le roman sera publié en 1979 sous le nom de Richard Bachmann. L'action se déroule dans un futur proche. Chaque année, se tient la Longue Marche : cent jeunes volontaires entament une marche à travers les Etats-Unis, devenus un pays totalitaire. Sous l'autorité d'un «Commandant», encadrés par des militaires, ils doivent marcher jour et nuit, sans interruption, sans descendre sous une vitesse de 3 miles ou 5 kms/heure. Si le marcheur s'arrête, il est exécuté après trois avertissements. Le dernier survivant est déclaré vainqueur. Il gagne une importante somme d'argent ainsi que le «Prix», qui peut être tout ce qu'il souhaite. Le roman commence dans une ambiance légère avant de se transformer progressivement en descente inévitable dans les ténèbres. 

L'adaptation est réalisée par Francis Lawrence, qui s'y connaît en récit de survie et de dystopie, ayant réalisé Hunger Games L'Embrasement et la Révolte. Le challenge consiste à écrire visuellement ce roman dont la narration est racontée du point de vue du Ray Garraty. Francis Lawrence a souhaité écrire cette adaptation avec le cinéaste et ancien acteur JT Mollner (Séduire la Mort). Ici, il n'y a pas de voix off. Le spectateur suit les personnages dans leur évolution. Le choix de ne pas édulcorer le roman, donne au film une brutalité, fidèle au roman. La tension, la violence et l'atrocité de la marche sont conservés. La mise en scène sobre restitue l'épuisement, l'horreur psychologique et l'horreur physique, sans tomber dans la violence gratuite. Le film a d'ailleurs été tourné dans l'ordre chronologique. Comme la mécanique implacable de la Marche revient tout au long du film, le spectateur est plongé dans cette situation où il n'y a pas d'échappatoire possible. L’adaptation interroge la valeur de la vie, le sacrifice, la survie, la camaraderie, le voyeurisme médiatique (l’épreuve est retransmise à la télévision). Le film s'ancre ainsi dans une réflexion plus large, mais il n'explicite rien: à chaque spectateur de se faire son interprétation. 

Le film repose sur les performances des jeunes acteurs. Ils sont tous crédibles, dans ce voyage vers la mort, passant de la peur à la terreur, de la solitude à la solidarité, de l'espoir au désespoir, voire à la folie. Cooper Hoffman (Licorize Pizza) est crédible dans le rôle principal de Ray Garraty. David Jonsson (Alien: Romulus) est époustouflant dans le rôle de PeterMcVries. Dans le rôle du Major, Mark Hamill, irreconnaissable sous des lunettes noires et une casquette, joue à contre-emploi un personnage glaçant. 

Cette critique est garantie sans spoiler. L'adaptation a modifié certains personnages, leurs motivations et la fin du roman. Le film peut sembler moins puissant que le livre. L'adaptation est cependant réussie, éprouvante, à réserver aux fans de dystopies sombres.

Marche ou crève (The Long Walk)
Réalisé par Francis Lawrence
Écrit par JT Mollner
Basé sur The Long Walk de Stephen King
Produit par Roy Lee, Steven Schneider, Francis Lawrence, Cameron MacConomy
Avec Cooper Hoffman, David Jonsson, Garrett Wareing, Tut Nyuot, Charlie Plummer, Ben Wang, Roman, Griffin Davis, Joshua Odjick, Judy Greer, Mark Hamill
Directeur de la photographie : Jo Willems
Montage : Mark Yoshikawa
Musique de Jeremiah Fraites
Sociétés de production : Vertigo Entertainment, Lionsgate, Newline Cinema
Distribution : Lionsgate (États-Unis), Metropolitan FilmExport (France)
Date de sortie : 12 septembre 2025 (États-Unis), 1er octobre 2025 (France)
Durée : 108 minutes

Film interdit au moins de 16 ans

Vu le 23 septembre 2025 chez Metropolitan

Note de Sabine:

Critique de Mulder

A Sylvain et Laurent, la vie est une longue marche d’endurance

Francis Lawrence aborde Marche ou crève (The Long Walk)comme un cinéaste qui élimine délibérément toute distraction jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le postulat de départ, la chaussée et les personnages. Le résultat est un film de studio qui allie l'austérité d'un film indépendant et l'audace d'un film contestataire, une marche qui fait également office d'autopsie : celle des mythes d'un pays, des perspectives d'une génération, de l'appétit du divertissement pour la souffrance. Dès le début, le film se montre intransigeant : avant même que le titre n'apparaisse, un garçon est exécuté à bout portant pour avoir ralenti le rythme, une image qui annonce d'un seul coup les règles et le prix à payer. Cette stratégie pourrait être interprétée comme un simple choc, mais sous l'adaptation disciplinée de JT Mollner, elle devient une thèse, revenant sous différentes formes à mesure que les kilomètres s'accumulent et que les corps et les convictions des garçons s'épuisent. Là où d'autres récits de jeux mortels s'étendent vers l'extérieur pour devenir spectaculaires, Marche ou crève (The Long Walk) se contracte vers l'intérieur ; le public télévisé est largement invisible, le faste du régime est atténué et la route est le monde entier. Ce rétrécissement est le pari risqué du film et sa force : en refusant de montrer la décadence à la Capitol ou la rébellion dans les districts, Francis Lawrence vous oblige à étudier les visages, les allures et les micro-alliances comme vous étudieriez la météo si vous n'aviez plus d'abri.

Au cœur du film se trouve le duo formé par Cooper Hoffman et David Jonsson, dont la complicité donne le rythme du film aussi sûrement que les pas métronomiques des garçons. Ray Garraty, interprété par Cooper Hoffman, porte une mission personnelle que le film dévoile par fragments intelligents et sans fioritures – des flashbacks qui ne sont pas tant des détours que des points de pression – tandis que Peter McVries, interprété par David Jonsson, se déplace dans le cadre avec cette assurance « qui a vu mille batailles » qui inspire confiance et incite aux confessions. La répartition des rôles est élégante : Cooper Hoffman joue vers l'avant, poussant vers le prochain choix, le prochain risque ; David Jonsson joue vers l'extérieur, s'occupant des autres, recueillant leurs histoires et insistant sur la dignité même lorsque les règles exigent l'indifférence. Autour d'eux, l'ensemble refuse de devenir des archétypes, même lorsque la situation aurait pu les engloutir : Hank Olson, interprété par Ben Wang, utilise l'humour comme une arme pour gérer la douleur ; Stebbins, interprété par Garrett Wareing, garde ses conseils pour lui comme un quarterback qui garde son dernier drive ; Barkovitch, interprété par Charlie Plummer, agite le groupe avec une bravade provocante qui ressemble moins à de la méchanceté qu'à une terreur mal dirigée ; Tut Nyuot confère à Arthur Baker une douceur que le film ne protège délibérément pas ;

Collie, interprété par Joshua Odjick, observe trop et dort trop peu. Si Marche ou crève (The Long Walk) fonctionne comme un film soutenu, c'est parce que ces jeunes acteurs transforment la marche en une douzaine de formes distinctes de narration : comment on serre les mâchoires, comment on préfère une chaussure, comment on soutient un ami sans lui voler un pas. Visuellement, Jo Willems filme comme un documentariste un rituel que nous avons toujours connu mais que nous avons cessé de nommer. 

La palette est désaturée sans maniérisme, comme si la couleur elle-même était un luxe que l'État avait rendu inaccessible par ses taxes ; la caméra recule sans cesse le long de la ligne centrale, laissant les garçons avancer comme s'ils nous repoussaient kilomètre après kilomètre. Ce choix risque d'être monotone sur le papier, mais dans la pratique, il devient un outil de diagnostic. On commence à lire les postures comme on lirait les résultats d'une analyse de laboratoire. Une micro-chute de l'épaule signifie déshydratation. Un regard errant signifie que le sommeil guette. Un pied trop à plat annonce le prochain avertissement avant même que le mégaphone du sergent ne le fasse. Le film ponctue ce regard clinique et imperturbable de touches de réalisme grotesque : une brume de sang, une chaussette noircie par un liquide accumulé, un corps qui perd sa dignité parce que les règles ne permettent aucune pause. Le film ne cache pas son classement, mais la violence n'est pas un simple accompagnement ; c'est un processus, imposé par des soldats anonymes et raconté par la mascotte du régime, le Major incarné par Mark Hamill, dont les lunettes aviateur et les slogans sont moins un trait de caractère qu'un système d'exploitation. Mark Hamill ne recherche pas tant la nuance que le ton préféré du pouvoir : la certitude performative. Les discours d'encouragement sonnent comme des railleries, et lorsque les garçons finissent par scander des slogans contre lui, son approbation gâche le moment : cette machine dévore la rébellion et la qualifie de carburant.

La politique du film est lisible par conception. Stephen King a écrit The Long Walk alors que l'Amérique appelait ses fils sous les drapeaux ; Francis Lawrence et JT Mollner gardent le fantôme du Vietnam dans le cadre tout en mettant l'accent sur le travail, la productivité et le mythe du labeur qui dit aux pauvres que leur épuisement est un test de patriotisme. Dans cette chronologie, la Marche augmenterait le PIB ; dans la nôtre, la rhétorique est moins explicite, mais le compromis est similaire. Ce qui est astucieux, c'est la façon dont le film dramatise le consentement comme conditionnement. Tout le monde est volontaire, certes, mais tout le monde a été conditionné depuis sa naissance à rêver d'un souhait qui justifie les chances. Petite note cruelle : le film réduit la vitesse initiale de 4 mph à 3 mph, un ajustement qui semble humain jusqu'à ce que l'on réalise à quel point ce chiffre plus bas rend le postulat plausible. C'est ainsi que les systèmes vendent l'exploitation, en promettant l'accessibilité tout en occultant la courbe d'attrition. La projection publicitaire sur tapis roulant – le public étant obligé de continuer à courir à 3 mph sous peine de perdre sa place – était une opération de relations publiques effrontée, mais elle fait également office de critique accidentelle : même notre marketing reproduit les relations de travail que l'histoire condamne. Le film le voit et s'abstient délibérément de toute catharsis. Lorsque « America the Beautiful » retentit enfin, le signal ne rachète pas ; il accuse, vous mettant au défi de reconnaître un hymne qui a été réaffecté comme cadence de marche.

En tant qu'adaptation, c'est aussi une étude de cas sur la soustraction. JT Mollner réduit les spirales intérieures et les détours hormonaux de Stephen King, remplace les digressions interminables par des conversations élastiques et, surtout, recentre l'arc émotionnel sur la réciprocité plutôt que sur l'auto-mythification. Cela adoucit certains aspects (certains regretteront la subjectivité délirante du livre), mais clarifie l'intention : le film traite moins de ce que les garçons pensent d'eux-mêmes que de ce qu'ils font les uns pour les autres lorsque les règles exigent le contraire. La dynamique des « mousquetaires » ne tourne jamais au cliché, car le film refuse de promettre la sécurité ; la loyauté repousse un destin, elle ne l'efface pas. On le ressent dans la mise en scène : des mains qui se passent une gourde à la vitesse limite, une épaule qui aide à garder l'équilibre pendant dix secondes autorisées, un avertissement lancé non pas pour se sauver soi-même, mais pour sauver son ami... De petites conspirations de bienveillance dans un jeu truqué pour criminaliser la bienveillance. Au moment où il n'en reste plus qu'une poignée, le film a introduit subrepticement son idée la plus subversive : la solidarité est à la fois une tactique et une vie après la mort. Les garçons mourront en tant qu'individus ; ils ont déjà vécu en tant que pluralité.

S'il y a un bémol à signaler, il est inhérent au concept même. Même avec des performances impeccables, la marche ne peut être variée que de quelques façons, et certains choix d'organisation – une dépendance excessive à certains moments au même travelling frontal, la répétition du motif de l' exécution en arrière-plan  – risquent d'aplatir les nouveaux développements en rythmes familiers. Pourtant, le film échappe généralement à ce piège en laissant les mouvements des personnages faire ce que les mouvements de caméra ne peuvent pas faire. Cooper Hoffman module la démarche de Ray, passant d'une volonté brutale à une démarche plus souple, presque à l'écoute, apprise de David Jonsson ; le débit de Ben Wang raccourcit syllabe par syllabe à mesure que le manque d'oxygène s'accumule ; la fierté de Garrett Wareing s'effondre intérieurement jusqu'à apparaître comme un tic de survie plutôt que comme une démonstration de menace. Même Judy Greer, dans deux brèves scènes, incarne le deuil commun du film : celle d'une mère qui soutient un système qu'elle méprise parce que l'amour ne peut se permettre une dernière dispute. Dans un film qui se méfie des grands gestes, ce sont là les grands gestes.

L'intertexte est riche mais jamais parasitaire. On sent Koushun Takami et Suzanne Collins dans les répliques, et They Shoot Horses, Don't They? de Sydney Pollack hante les coins comme un entraîneur fantomatique. La différence est que The Long Walk refuse le confort d'une arène avec des méchants que l'on peut huer dans leurs costumes à paillettes. La cruauté ici est municipale – une ordonnance recouverte de rhétorique sur l'éthique du travail – et c'est pourquoi l'esthétique épurée du film fait mal. Si cela ressemble à une photographie délavée des années 70, ce n'est pas de la nostalgie ; c'est un rappel que les politiques que nous qualifions aujourd'hui d' impensables avaient autrefois des polices et des en-têtes. Le refus de Francis Lawrence de construire un monde au-delà de ce que les garçons peuvent voir est une position morale : l'explication peut devenir une excuse. Mieux vaut nous garder sur l'asphalte, où la doctrine n'est qu'un autre mot pour désigner les règles hurlées au mégaphone pendant qu'un adolescent se salit devant la caméra parce qu'aucune pause n'est autorisée.

Ce qui reste finalement, ce ne sont pas les coups de feu, mais les petites civilités que le film traite comme sacrées : la façon dont McVries, interprété par David Jonsson, collectionne les noms comme des reliques ; le calme dans les yeux de Cooper Hoffman lorsqu'il comprend qu'un leadership sans tendresse n'est qu'une autre forme de Major ; le moment où Charlie Plummer passe des aboiements à la supplication et où personne ne le raille parce que la miséricorde a pris le pas sur la compétition ; le sourire fatigué, presque embarrassé, lorsqu'un garçon se rend compte qu'il est soutenu par trois autres qui ne le laisseront pas tomber sous leur surveillance. La fin du film penche davantage vers Hollywood que vers l'ambiguïté brutale de Stephen King, mais si l'on regarde au-delà de la mise en scène, le pronostic n'est pas plus réjouissant : les systèmes ne s'effondrent pas parce qu'un survivant réalise un souhait. S'il y a de l'espoir ici, il est granuleux et tenace, mesuré non pas en victoires mais en refus : refus de la déshumanisation, refus du mensonge selon lequel le succès nécessite l'exécution d'autrui, refus de l'idée que marcher en rang est synonyme d'avancer. C'est cette rébellion silencieuse que Marche ou crève (The Long Walk)honore. Elle n'est pas triomphante. Elle n'est pas ordonnée. Elle est humaine, et dans un paysage conçu pour pulvériser ce mot, l'humain est une richesse.

Marche ou crève (The Long Walk)
Réalisé par Francis Lawrence
Écrit par JT Mollner
Basé sur The Long Walk de Stephen King
Produit par Roy Lee, Steven Schneider, Francis Lawrence, Cameron MacConomy
Avec Cooper Hoffman, David Jonssonn, Garrett Wareing, Tut Nyuot, Charlie Plummer, Ben Wang, Roman, Griffin Davis, Joshua Odjick, Judy Greer, Mark Hamill
Directeur de la photographie : Jo Willems
Montage : Mark Yoshikawa
Musique de Jeremiah Fraites
Sociétés de production : Vertigo Entertainment, About:Blank
Distribution : Lionsgate (États-Unis), Metropolitan FilmExport (France)
Date de sortie : 12 septembre 2025 (États-Unis), 1er octobre 2025 (France)
Durée : 108 minutes

Vu le 1 octobre 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 10 place B19

Note de Mulder: