Une Bataille Après l'autre

Une Bataille Après l'autre
Titre original:One Battle After Another
Réalisateur:Paul Thomas Anderson
Sortie:Cinéma
Durée:161 minutes
Date:24 septembre 2025
Note:
Ancien révolutionnaire désabusé et paranoïaque, Bob vit en marge de la société, avec sa fille Willa , indépendante et pleine de ressources. Quand son ennemi juré refait surface après 16 ans et que Willa disparaît, Bob remue ciel et terre pour la retrouver, affrontant pour la première fois les conséquences de son passé…

Critique de Sabine

Une bataille après l'autre est un chef d'oeuvre : un film déjanté, spectaculaire, engagé, comique et émouvant. Paul Thomas Anderson signe un film d'action à grand spectacle qui donne à ressentir et réfléchir. Comme l'intrigue est menée à toute allure, la durée du film, 2h40 sans générique de fin, n'est pas problématique. Critique garantie sans spoiler. 

Paul Thomas Anderson, dit PTA, est un réalisateur talentueux, au style unique, révélé par Boggie nights, et consacré par There Will Be Blood, puis Phantom Thread, et Licorize Pizza. Son seul nom suffit à convaincre les stars d'Hollywood. Une bataille après l'autre est une comédie d'action, mais également un film politique sur une Amérique fracturée. Il interroge les héritages contestés des luttes radicales des années 60-70, le racisme, l’immigration, la montée des conservatismes, le suprémacisme blanc. 

Le film est librement inspiré d'un livre de Thomas Pynchon, Vineland. PTA souhaitait l'adapter depuis vingt ans. En situant l'histoire dans notre époque contemporaine, il se libère de la contrainte historique. Il réussit une fusion des genres : action, drame familial, comédie absurde, satire politique. Tout en se renouvelant pour le thème principal de la révolution, (le groupe s'intitule d'ailleurs French 75), PTA conserve les thématiques qui traversent ses films : les relations familiales, les failles humaines, la mémoire, le poids du passé. 

Grâce à son budget de 140 millions de dollars, la mise en scène est grandiose dans les reconstitutions des attaques, les courses-poursuites, la traque des révolutionnaires. Le style visuel de PTA est là avec ses plans séquences, cette caméra en mouvement constant. Le montage est dynamique, créant une tension permanente autour de la quête du personnage de Di Caprio. Le film est à voir sur grand écran pour bénéficier de ces scènes d'action et de celles se déroulant dans le désert. Michael Bauman, son directeur de photographie a filmé en VistaVision, pour pouvoir projeter le film en Imax et 70mm. PTA a choisit de tourner en décors naturels, en Californie, de Sacramento à Borrego Springs, puis à El Paso au Texas. La musique de Jonny Greenwood (Radiohead) est particulièrement réussie. 

Le film bénéficie d'un casting talentueux. Leonardo Di Caprio, qui rêvait de touner avec PTA, est tout simplement génial. Il porte le film en composant un révolutionnaire désabusé, inspiré de The Big Lebowski. Il est fort drôle mais aussi émouvant dans ce rôle de père. La réussite d'un film tient souvent à celle du méchant. Sean Penn en antagoniste compose un colonel cinglé, suprémaciste, particulièrement inquiétant. Benicio Del Toro (Traffic, 21 Grammes) joue l'ami, un professeur d'arts martiaux au flegme impassible, surnommé Sensei. Le scénario laisse une place importante à un trio d'actrices formidables. Teyana Taylor insuffle toute son énergie dans ce rôle de mère révolutionnaire, féministe, vivant à toute allure. Regina Hall compose cette amie qui veille sur les autres, à la fois forte et douce. Enfin, Chase Infinity, la jeune fille Willa, est la révélation du film. Ces interprètes se sont tous entraînés pour pouvoir effectuer leurs cascades. Une Bataille Après l'Autre est le film de la rentrée, une bombe cinématographique dans la forme et le fond. Pas étonnant que Steven Spielberg l'ai trouvé «incroyable». 

Une Bataille après l'Autre (One Battle After Another)
Écrit et réalisé par Paul Thomas Anderson
Produit par Paul Thomas Anderson, Sara Murphy et Adam Sommer 
Avec Leonardo Di Caprio, Sean Penn, Benicio Del Toro, Regina Hall, Teyana Taylor, Chase Infinity
Directeur de la photographie : Paul Thomas Anderson et Michael Bauman
Montage : Andy Jurgensen
Musique : Jonny Greenwood
Société de production : Ghoulardi Film company avec WB Pictures 
Distribué par Warner Bros Pictures
Dates de sortie : 24 Septembre 2025 (France), 26 Septembre 2025 (Etats-Unis)
Durée : 161 minutes

Vu le 19 Septembre au Pathé Beaugrenelle (Paris)

Note de Sabine:

Critique de Mulder

Il existe des films qui semblent inévitables, des œuvres qui ressemblent moins à des premières qu'à des événements qui attendaient depuis toujours de se produire. Une Bataille après l'Autre (One Battle After Another) de Paul Thomas Anderson, est l'un de ces rares cas, une épopée audacieuse, tentaculaire et politiquement chargée qui marie son art agité au chaos radical de Vineland, de Thomas Pynchon. Le résultat est un film à la fois furieux et hilarant, profondément ancré dans l'Amérique fracturée d'aujourd'hui et étrangement nostalgique d'une époque où les mouvements de résistance clandestins croyaient encore pouvoir changer le cours de l'histoire. Cette tension – entre cynisme et espoir, épuisement et urgence – fait de ce film non seulement une œuvre cinématographique éblouissante, mais aussi un dialogue avec l'époque que nous vivons.

L'histoire commence de manière explosive avec le French 75, un groupe militant hétéroclite dont la première mission consiste à prendre d'assaut un centre de détention pour immigrants à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Au premier plan, Teyana Taylor incarne Perfidia Beverly Hills, avec une performance si féroce et charismatique qu'elle menace de phagocyter tout le film. Elle se déplace avec l'assurance de quelqu'un qui est né dans la révolution, sa mitrailleuse calée contre son ventre de femme enceinte, comme si la rébellion elle-même était héréditaire. Il n'est pas surprenant que « Pat », l'expert en explosifs incarné par Leonardo DiCaprio, et le colonel Steven J. Lockjaw, incarné par Sean Penn, soient instantanément consumés par elle. L'un tombe amoureux, l'autre tombe dans la luxure, et leurs obsessions rivales enflamment le récit. Ce triangle amoureux est chaotique, sexuel, politique et douloureusement humain. De lui naît une enfant, Willa, dont l'avenir déterminera la seconde moitié du film.

Seize ans plus tard, l'histoire prend un autre tournant. Pat a abandonné son pseudonyme révolutionnaire pour devenir Bob Ferguson, un reclus fatigué et drogué qui élève Willa, désormais adolescente, dans l'ombre. Chase Infiniti, dans ses débuts extraordinaires, donne à Willa le centre émotionnel du film : elle n'est pas une demoiselle, mais une fille née dans le chaos, contrainte de composer avec les idéaux et les échecs de la génération de ses parents. Il y a une tendresse remarquable dans la façon dont elle défie la paranoïa de Bob et son refus d'évoluer avec son temps — ses yeux qui roulent devant les technologies dépassées ou les maladresses de son père avec les pronoms semblent tirés d'une véritable tension générationnelle. Et pourtant, comme le montre clairement Paul Thomas Anderson, Willa est plus qu'un symbole de la jeunesse corrigeant l'âge. Elle est l'héritière d'un combat qui n'a jamais été achevé, l'incarnation d'une révolution différée.

Ce qui suit est un film qui aurait pu être un thriller de poursuite, mais qui est en réalité quelque chose de bien plus étrange, une tapisserie tissée à partir d'une comédie noire, d'une action brutale et d'une satire politique. Certaines séquences rivalisent avec les meilleurs films d'action de la dernière décennie : une course-poursuite en voiture sur des autoroutes désertiques, filmée avec une patience languissante qui donne l'impression que chaque creux de la route est une plongée dans l'inconnu ; des émeutes de rue où le chaos des manifestations et la répression policière s'effondrent dans un rythme cinématographique pur ; et une fuite sur les toits où Bob, défoncé et en surpoids, trébuche comme un bouffon de vaudeville, incapable de se souvenir de ses anciens mots de passe révolutionnaires tandis que des drones tournent au-dessus de lui. Paul Thomas Anderson tire à parts égales de la terreur et de la comédie des maladresses de Bob — Leonardo DiCaprio se penche sur un humour physique qui rappelle sa célèbre scène de rampement sous l'emprise du Quaalude dans Le Loup de Wall Street — mais derrière les rires se cache quelque chose de poignant : un père désespérément dépassé, motivé uniquement par le besoin de sauver son enfant.

Les méchants de cette histoire, cependant, ne sont pas si drôles. Le colonel Lockjaw, interprété par Sean Penn, est un personnage grotesque mais effrayant, un homme dont l'idéologie suprémaciste blanche s'envenime sous son fétichisme de la domination. Sa tentative de rejoindre la société secrète connue sous le nom de Christmas Adventurers' Club – une cabale d'élites qui trinquent « Hail, St. Nick ! » avec un visage impassible – apparaît comme une satire absurde jusqu'à ce que l'on se souvienne à quel point ces idées circulent ouvertement dans notre vie politique actuelle. La physicalité nerveuse et réprimée de Sean Penn rend Lockjaw à la fois risible et terrifiant, une caricature de la masculinité autoritaire dont la menace semble étrangement familière. Son obsession pour Willa est aussi personnelle qu'idéologique, transformant la poursuite en une parabole des vérités les plus laides de l'Amérique : le racisme, le patriarcat et le recyclage sans fin de la violence.

Mais One Battle After Another n'est pas simplement un duel entre la pureté révolutionnaire et la pourriture fasciste. Paul Thomas Anderson, comme toujours, complique les choses. Les French 75 ne sont pas des saints. Leur zèle est magnétique mais épuisant, leurs codes et leurs slogans à la fois inspirants et ridicules. Deandra, incarnée par Regina Hall, et Mae West, incarnée par Alana Haim, incarnent les contradictions des révolutionnaires qui croient si fermement que leur humanité se perd parfois dans la cause. Et puis il y a Benicio del Toro dans le rôle de Sensei Sergio St. Carlos, un instructeur d'arts martiaux dont le stoïcisme austère masque son rôle dans le réseau clandestin d'aide aux immigrants. Il est à la fois un faire-valoir comique et un pilier moral, nous rappelant que la résistance ne se résume pas à de grands gestes, mais consiste aussi à œuvrer discrètement pour garder les gens en vie.

Ce qui est extraordinaire, c'est la façon dont Paul Thomas Anderson passe d'un ton à l'autre avec une grande fluidité. Une minute, nous voyons Bob menacer d'enfoncer de la dynamite dans un endroit anatomiquement impossible, la minute d'après, nous sommes plongés dans le chagrin de Willa qui apprend la demi-vérité sur la disparition de sa mère. La musique de Jonny Greenwood, tantôt vibrante, tantôt tendre, fait le lien entre ces changements, tandis que la photographie de Michael Bauman dépeint l'Amérique comme un paysage à la fois mythique et pourri, avec de larges autoroutes traversant des communautés assiégées. L'ensemble semble à la fois épique et intime, comme un rêve fiévreux projeté en VistaVision.

Il est tentant de qualifier One Battle After Another de film le plus politique de Paul Thomas Anderson, mais cela ne rend pas justice à ce qu'il accomplit. Oui, il dénonce le nationalisme blanc, les échecs du libéralisme et les absurdités des guerres culturelles générationnelles. Mais au fond, le film parle de la famille, de la façon dont les enfants héritent non seulement de nos gènes, mais aussi de nos combats, de nos compromis, de nos révolutions inachevées. Dans le personnage de Bob, interprété par Leonardo DiCaprio, nous voyons l'épuisement d'un homme qui croyait autrefois pouvoir changer le monde et qui lutte aujourd'hui simplement pour assurer la sécurité de sa fille. Dans le personnage de Willa, interprété par Chase Infiniti, nous voyons la résilience et la lucidité d'une jeunesse qui doit décider si elle doit poursuivre le combat ou forger quelque chose de nouveau.

Les scènes finales, sans dévoiler de détails, offrent une sorte de berceuse, un moment de paix qui semble à la fois faux et nécessaire. Paul Thomas Anderson sait que les révolutions se terminent rarement dans le confort, mais il sait aussi que le public — et peut-être les enfants — a besoin d'histoires qui leur permettent de dormir la nuit. C'est un équilibre délicat entre le désespoir et le réconfort, et One Battle After Another suit cette ligne avec une grâce meurtrie.

Paul Thomas Anderson a toujours été un cinéaste plein de contradictions : maximaliste mais intime, cynique mais romantique, précis mais chaotique. Avec Une Bataille après l'Autre (One Battle After Another) il livre sa contradiction la plus folle et la plus urgente à ce jour : une comédie d'action anti-establishment financée par un studio à hauteur de 175 millions de dollars, qui semble dangereuse au toucher. C'est un film de notre époque, mais aussi de toutes les époques, car les combats qu'il dépeint ne sont jamais vraiment terminés. Ils sont hérités, remodelés et menés à nouveau. Une bataille après l'autre.

Une Bataille après l'Autre (One Battle After Another)
Écrit et réalisé par Paul Thomas Anderson
Produit par Paul Thomas Anderson, Sara Murphy et Adam Sommer 
Avec Leonardo Di Caprio, Sean Penn, Benicio Del Toro, Regina Hall, Teyana Taylor, Chase Infinity
Directeur de la photographie : Paul Thomas Anderson et Michael Bauman
Montage : Andy Jurgensen
Musique : Jonny Greenwood
Société de production : Ghoulardi Film company avec WB Pictures 
Distribué par Warner Bros Pictures
Dates de sortie : 24 Septembre 2025 (France), 26 Septembre 2025 (Etats-Unis)
Durée : 161 minutes

Vu le 24 septembre 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 8 siège A19

Note de Mulder: