Titre original: | Relay |
Réalisateur: | David Mackenzie |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 112 minutes |
Date: | 26 novembre 2025 |
Note: |
L’intermédiaire (Relay), le dernier film du réalisateur écossais David Mackenzie, est un thriller paranoïaque qui revisite habilement les racines du genre des années 1970 en y ajoutant les angoisses de notre présent hyperconnecté. Dès le début, le film rappelle le malaise obscur d'Alan J. Pakula et Francis Ford Coppola, avec des échos de The Parallax View et The Conversation, mais il ancre son histoire dans un détail étonnamment moderne : un service de relais de télécommunications. Ce service, utilisé par les sourds et les malentendants, devient l'ingénieux outil de confidentialité d'un mystérieux intermédiaire nommé Ash, interprété avec une maîtrise magistrale par Riz Ahmed. Le résultat est un film tendu, atmosphérique et profondément préoccupé par la fragilité de la vérité et le prix de l'anonymat, même si ses rebondissements finaux menacent de saper sa construction minutieuse.
Au cœur de L’intermédiaire (Relay) se trouve Ash, un personnage énigmatique qui vit dans un isolement volontaire à New York. Il travaille dans l'ombre, aidant les lanceurs d'alerte qui ont des doutes et veulent simplement revenir sur leur décision de dénoncer les entreprises qui ont ruiné leur vie. Son anonymat est protégé par l'utilisation du service de relais : il tape ses instructions, et la voix neutre d'un opérateur transmet ses paroles à des clients terrifiés ou à de puissants dirigeants. Nous n'entendons jamais la voix d'Ash dans les premières scènes du film, un choix qui renforce son aura d'invisibilité. En le regardant se faufiler dans la ville sous des déguisements indéfinissables – agent de sécurité, livreur, coursier à vélo – nous ressentons son omniprésence fantomatique. Cela rappelle la figure solitaire de Harry Caul, incarné par Gene Hackman, l'expert en surveillance dans The Conversation, bien qu'ici, la paranoïa soit réfractée à travers l'espionnage industriel de l'ère numérique.
La dernière cliente d'Ash est Sarah Grant, interprétée par Lily James, une scientifique qui découvre des preuves accablantes que les cultures génétiquement modifiées de son employeur dans le domaine des biotechnologies pourraient empoisonner les consommateurs. Une fois déterminée à dénoncer ces faits, elle se retrouve harcelée, discréditée et épuisée, jusqu'à ce qu'elle souhaite simplement abandonner. C'est là qu'Ash entre en scène, la guidant à travers un labyrinthe de téléphones jetables, de colis codés et de vols détournés destinés à semer ses poursuivants. Ses ennemis sont incarnés par une équipe d'intervention dirigée par Sam Worthington, qui joue Dawson avec une menace glaciale, et Willa Fitzgerald, sa lieutenant déterminée. Leur poursuite implacable confère à L’intermédiaire (Relay) son dynamisme de chat et souris, avec des scènes dans les aéroports, les bureaux de poste et les ruelles de New York qui sont chargées de tension. Une séquence à l'aéroport international de Pittsburgh, à mi-chemin entre diversion et duel psychologique, est l'une des plus mémorables du film, rappelant que le suspense peut prospérer dans les mécanismes banals de la logistique.
Une grande partie du plaisir du film réside dans cette précision procédurale, le sentiment qu'Ash a pensé à toutes les variables. Le réalisateur David Mackenzie, connu pour Hell or High Water, montre à nouveau sa fascination pour le processus, capturant les détails du commerce clandestin d'Ash avec clarté et urgence. Le directeur de la photographie Giles Nuttgens rend la ville dans des tons métalliques élégants, tandis que le monteur Matt Mayer maintient un rythme soutenu sans perdre de vue les moments d'observation plus calmes. Les seconds rôles sont également très convaincants, notamment Victor Garber dans le rôle d'un PDG suffisant lors d'un échange dans un restaurant au début du film, et Matthew Maher dans celui d'un ancien client épuisé dont la « liberté » semble vide de sens. Ces premières scènes établissent le monde cynique dans lequel évolue Ash, un univers où les compromis moraux sont inévitables et où tous les acteurs savent que le jeu est truqué.
Pourtant, L’intermédiaire (Relay) ne se contente pas d'être un simple exercice de paranoïa. Sous les règles méticuleuses d'Ash et son invisibilité cultivée se cache un homme marqué par la solitude et le regret. Nous en avons un aperçu lors de ses réunions des Alcooliques anonymes, où il se présente sous le nom de John, laissant entrevoir un passé troublé qui l'a conduit à exercer cette profession obscure. Ces moments divisent cependant les critiques : si certains les considèrent comme enrichissants pour son personnage, d'autres estiment qu'ils diminuent son mystère. Ce qui est indéniable, c'est la performance de Riz Ahmed, qui s'épanouit dans le silence et la subtilité. Son regard attentif et ses mouvements contenus traduisent un homme qui a construit toute son identité autour de l'invisibilité, mais dont les défenses commencent à se fissurer sous la pression de la proximité avec Sarah. L'attirance entre les deux personnages, qui s'exprime presque entièrement à travers des mots tapés et L’intermédiaire (Relay)és par des inconnus, devient une intimité étrange et hésitante, moins une romance qu'une reconnaissance de leur vulnérabilité commune.
Sur le plan thématique, L’intermédiaire (Relay) pose des questions dérangeantes sur la dénonciation à une époque où révéler la vérité ne garantit plus la justice. Le sort de Sarah trouve un écho parce qu'il reflète des cas réels : des individus découvrent des malversations dans des entreprises, mais se rendent compte que les rendre publiques pourrait les détruire, tandis que les entreprises s'en sortiraient indemnes. Ash, pour sa part, est à la fois sauveur et complice : il sauve les lanceurs d'alerte de la ruine, mais veille également à ce que les preuves incriminantes retournent aux entités mêmes qu'elles condamnent. C'est un anti-héros au sens propre du terme, qui choisit la survie des individus plutôt que le bien commun. Cette ambiguïté morale est l'un des éléments les plus captivants du film, même si elle risque d'aliéner les spectateurs qui préfèrent que leurs héros soient irréprochables.
C'est dans son dernier acte que L’intermédiaire (Relay) faiblit. Après une heure et demie de suspense finement calibré, le film se précipite vers un rebondissement qui semble en décalage avec son réalisme soigné. Les critiques ont noté que le climax vire à l'artifice, Ash se comportant soudainement d'une manière incompatible avec son personnage hyper prudent. Ce qui aurait dû être une conclusion moralement poignante risque de devenir une fusillade stéréotypée, aplatissant la complexité émotionnelle qui avait été si minutieusement construite. Pourtant, même cette erreur ne peut effacer entièrement l'effet cumulatif du film : le malaise de voir deux personnes seules naviguer dans un monde où la confiance est impossible et où la survie est une négociation.
L’intermédiaire (Relay) n'atteint peut-être pas les sommets paranoïaques de ses inspirations, mais il se taille une place en tant que thriller résolument moderne, qui utilise de manière ingénieuse une technologie méconnue pour raconter une histoire sur la surveillance, le secret et les compromis que nous faisons dans notre quête de sécurité. Riz Ahmed l'ancre avec l'une de ses performances les plus discrètement magnétiques, Lily James apporte fragilité et détermination à Sarah, et David Mackenzie prouve une fois de plus qu'il sait allier les frissons du genre à la critique sociale. Pendant la majeure partie de sa durée, L’intermédiaire (Relay) est un exercice captivant de paranoïa contrôlée, un thriller qui nous rappelle que dans le monde d'aujourd'hui, la vérité est négociable, la sécurité est provisoire, et même les appareils destinés à nous connecter peuvent devenir des outils d'isolement.
L’intermédiaire (Relay)
Réalisé par David Mackenzie
Écrit par Justin Piasecki
Produit par Gillian Berrie, Basil Iwanyk, David Mackenzie, Teddy Schwarzman
Avec Riz Ahmed, Lily James, Sam Worthington
Photographie : Giles Nuttgens
Montage : Matt Mayer
Musique : Tony Doogan
Sociétés de production : Black Bear Pictures, Thunder Road Films, Sigma Films
Distribution : Bleecker Street (États-Unis), Sony Pictures Releasing France (France)
Dates de sortie : 8 septembre 2024 (TIFF), 22 août 2025 (États-Unis), 26 novembre 2025 (France)
Durée : 112 minutes
Vu le 12 septembre 2025 au Centre international de Deauville
Note de Mulder: