Les Lumières de New York

Les Lumières de New York
Titre original:Lucky Lu
Réalisateur:Lloyd Lee Choi
Sortie:Vod
Durée:103 minutes
Date:Non communiquée
Note:
Lu, arrivé à New York en provenance de Chine avec le rêve d'ouvrir son propre restaurant, voit rapidement ses espoirs s'envoler, le laissant criblé de dettes et contraint d'accepter des petits boulots invisibles. Un matin, sa femme et sa fille, qu'il n'a pas vues depuis des années, le rejoignent dans l'espoir de reconstruire une vie avec lui. Pendant quelques jours, Lu tente alors de leur offrir un moment de bonheur et de raviver la flamme d'un avenir possible.

Critique de Mulder

Lucky Lu, le premier long métrage du cinéaste coréen-canadien Lloyd Lee Choi, est un drame discrètement bouleversant mais profondément humain qui a été présenté en avant-première à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Tout comme le classique néoréaliste italien Le Voleur de bicyclette, auquel il rend ouvertement hommage, le film part d'un postulat simple – un livreur immigrant à New York perd son vélo électrique – et le développe en un portrait sans concession du travail, de la dignité et de la survie dans une ville qui semble engloutir les gens tout entiers. Mais ce qui distingue ce film de ses sources d'inspiration et de ses contemporains, c'est la manière dont Lloyd Lee Choi refuse de céder au mélodrame. Il ancre son histoire dans la retenue, le minimalisme et une sincérité brute, respectant toujours l'humanité de ses personnages et, par extension, les innombrables personnes réelles qui partagent leurs difficultés.

Au centre de l'histoire se trouve Chang Chen, qui livre l'une de ses performances les plus discrètes mais les plus émouvantes à ce jour. Connu du public international pour ses collaborations avec Wong Kar-wai et Ang Lee, Chang Chen incarne Lu, un immigrant chinois qui a passé cinq ans à travailler dur à New York comme livreur de repas. Ses journées sont marquées par une routine implacable : slalomer dans la circulation sur son vélo électrique, gérer des clients grossiers et voler de petits moments de solitude avec une cigarette. Ce qui le motive, c'est la promesse de retrouvailles : sa femme Fala Chen et sa jeune fille Carabelle Manna Wei vont enfin le rejoindre après des années de séparation. Il visite un appartement, enregistre une vidéo pleine d'espoir pour elles et ose imaginer une vie stable. Mais dans la ville qui ne dort jamais, même ce fragile fil d'optimisme est brutalement rompu. Lorsque le vélo de Lu est volé, ce vol devient plus qu'un simple contretemps logistique : c'est une fracture dans les fondements mêmes de son rêve américain.

À partir de ce moment, le récit s'enfonce dans une odyssée désespérée de deux jours. Lu supplie ses amis de lui prêter de l'argent, rend visite à des courtiers louches de Chinatown, met en gage le peu qu'il possède et envisage même de voler un autre vélo. Lloyd Lee Choi montre clairement qu'il ne s'agit pas seulement de l'histoire de Lu, mais du reflet de milliers de travailleurs immigrés dont le travail soutient le confort de la vie urbaine moderne. Une phrase prononcée par l'un des amis de Lu est particulièrement poignante : « Ce n'est pas notre maison. Ici, nous ne pouvons que travailler pour les autres. » Elle n'est pas criée, simplement prononcée, mais le poids de la résignation qu'elle véhicule résonne tout au long du film. Contrairement à d'autres représentations des difficultés des immigrants qui versent dans la pornographie de la pauvreté, Lloyd Lee Choi fait preuve de retenue : il ne glorifie ni n'exploite la souffrance de Lu, mais la présente avec une clarté à la fois cinématographique et brutalement authentique.

La direction photogaphie de Norm Li est un élément clé de cette authenticité. Tourné dans les rues réelles de Manhattan, le film dépouille New York de son éclat de carte postale et le remplace par de l'acier, de la brique et des ombres. Norm Li cadre Lu à travers des fenêtres, des ruelles et des couloirs exigus, soulignant son isolement dans une ville grouillante de vie mais dépourvue de chaleur. Dans une séquence poignante, après l'arrivée de la fille de Lu, Yaya, celle-ci se promène dans une maison ouverte au public, une brownstone valant plusieurs millions de dollars, s'émerveillant devant l'opulence raffinée avant de glisser discrètement une montre dans sa poche. C'est un moment étonnamment subtil, qui suggère que l'enfant est consciente du désespoir de son père et qu'elle est prête à prendre des risques qu'il ne peut pas prendre. Le contraste entre cet espace doré et les rues jonchées de détritus que Yaya remarque à son arrivée met en évidence les cruelles disparités auxquelles sont confrontés les immigrants lorsqu'ils arrivent en Amérique avec le rêve de se réinventer.

En tant qu'étude de personnages, le film réussit en grande partie grâce aux performances des acteurs. Chang Chen en dit long avec son silence : son corps émacié, ses yeux épuisés, sa posture voûtée, chaque geste révélant un homme à bout de forces mais refusant de laisser sa famille voir son désarroi. Face à lui, Carabelle Manna Wei livre une performance intuitive qui dément sa jeunesse. Son personnage, Yaya, est espiègle mais perspicace, percevant plus que son père ne veut l'admettre, et la tendresse de leur lien offre les moments les plus poignants du film. Fala Chen, bien que sous-utilisée, apporte grâce et force tranquille à Si Yu, la femme de Lu, laissant entrevoir les sacrifices qu'elle a elle aussi endurés hors champ. Ensemble, les trois personnages forment une fragile constellation d'amour et de survie qui ancrent le cœur émotionnel du film.

Ce qui donne à Lucky Lu sa force, c'est son exploration de la chance elle-même. Pendant une grande partie du film, le titre semble cruellement ironique, car chaque tentative de Lu pour reprendre le contrôle lui échappe davantage. Pourtant, dans les derniers passages, Lloyd Lee Choi redéfinit la chance non pas comme un salut financier ou un revirement miraculeux, mais comme quelque chose de plus discret et de plus durable. Dans le cas de Lu, la chance devient l'étreinte de sa fille, la présence de sa famille à ses côtés et la lueur de résilience qui lui permet de continuer malgré l'indifférence systémique. De cette manière, le film résonne au-delà de son récit : il devient une méditation sur ce que signifie la survie dans un monde qui assimile trop souvent la valeur à la richesse.

En coulisses, il est révélateur que pas moins de vingt-deux producteurs et producteurs exécutifs, dont Forest Whitaker, aient participé à la réalisation de ce film à petite échelle. Dans le paysage cinématographique actuel, où les films indépendants peinent à trouver des financements et à être distribués, l'effort collaboratif qui a permis la réalisation de Lucky Lu reflète la résilience collective des personnages qu'il dépeint. Il est tout à fait approprié que le film ait vu le jour à Cannes, au sein d'un festival qui s'épanouit grâce aux échos thématiques entre ses différentes sections. Lucky Lu dialogue non seulement avec des classiques comme Le Voleur de bicyclette, mais aussi avec des histoires contemporaines d'immigrants telles que Take Out de Shih Ching-Tsou et Sean Barker. Mais il le fait avec une défiance tranquille, refusant de laisser le désespoir éclipser la dignité.

Lucky Lu n'est ni un film triomphaliste, ni une tragédie absolue. Il s'attarde dans l'espace intermédiaire où se déroulent la plupart des vies : dans le compromis, dans les petits actes de persévérance, dans la reconnaissance douce-amère que la survie elle-même peut être une forme de victoire. Le premier film de Lloyd Lee Choi suggère que si le rêve américain reste inaccessible, l'amour de la famille et la capacité à aller de l'avant, à vélo ou sans vélo, sont peut-être la seule chance à laquelle il vaut la peine de s'accrocher. Ce film ne se contente pas de mettre en lumière des vies invisibles, il insiste pour que nous les voyions vraiment, et ce faisant, il se taille une place parmi les drames sur l'immigration les plus marquants de ces dernières années.

Lucky Lu (Les Lumières de New York)
Écrit et réalisé par Lloyd Lee Choi
Basé sur Same Old de Lloyd Lee Choi
Produit par Destin Daniel Cretton, Nina Yang Bongiovi, Asher Goldstein, Tony Yang, Ron Najor, Jeyun Munford
Avec Chang Chen, Fala Chen, Carabelle Manna Wei
Directeur de la photographie : Norm Li
Montage : Brendan Mills
Musique : Charles Humnery
Sociétés de production : Significant Productions, Cedar Road, Hisako Films, Gold House, Big Buddha Pictures Date de sortie : 19 mai 2025 (Cannes)
Durée : 103 minutes

Vu le 12 septembre 2025 au Centre international de Deauville

Note de Mulder: