Titre original: | Bugonia |
Réalisateur: | Yórgos Lánthimos |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 118 minutes |
Date: | 26 novembre 2025 |
Note: |
Le film Bugonia réalisé par Yorgos Lanthimos, est à la fois une provocation et une énigme. Ce remake du film culte Save the Green Planet !, de Jang Joon-hwan, regorge de la cruauté, de l'absurdité et de la satire qui caractérisent le réalisateur. Le film, scénarisé par Will Tracy (connu pour Succession et The Menu), nous plonge dans l'ère des théories du complot, des fausses nouvelles et de la misanthropie des entreprises, puis filtre le tout à travers le prisme noir et comique de la science-fiction. C'est à la fois une pièce de théâtre intimiste et un carnaval grotesque, porté presque entièrement par les performances de Jesse Plemons, Emma Stone et Aidan Delbis, qui s'affrontent dans une bataille de paranoïa, de pouvoir et de contrôle qui semble troublante et d'actualité.
L'intrigue est d'une simplicité trompeuse, mais exécutée avec le sens de la folie ritualisée propre à Yorgos Lanthimos. Teddy (joué par Jesse Plemons dans ce qui est peut-être sa performance la plus troublante et la plus nuancée à ce jour) est un apiculteur solitaire qui noie son chagrin dans les méandres d'Internet, entre effondrement écologique, corruption pharmaceutique et conspirations extraterrestres. Convaincu que Michelle Fuller (Emma Stone), PDG d'Auxolith, est non seulement responsable du coma de sa mère (un rôle bref mais poignant joué par Alicia Silverstone), mais aussi une émissaire d'Andromède déterminée à détruire l'humanité, Teddy élabore un plan. Avec l'aide réticente de son cousin Don (Aidan Delbis), il kidnappe Michelle, lui rase la tête pour empêcher les « transmissions extraterrestres » et l'enchaîne dans son sous-sol, exigeant qu'elle appelle son vaisseau mère pour négocier la survie de la Terre. C'est le genre de scénario qui pourrait sombrer dans la farce, mais entre les mains de Yorgos Lanthimos, il devient une allégorie douloureuse sur l'illusion, la complicité et la malléabilité effrayante de la vérité.
Ce qui fait de Bugonia plus qu'une simple satire grotesque, c'est la façon dont Jesse Plemons incarne Teddy. Jesse Plemons se transforme physiquement en une présence plus maigre et plus nerveuse, dégageant à la fois une menace et une sincérité étrangement désarmante. Il y a des moments où il semble presque tendre, parlant des abeilles avec un émerveillement enfantin ou donnant des instructions à Don avec une attention paternelle. Puis, sans crier gare, il se transforme en une violence terrifiante, administrant des décharges électriques à Michelle tout en diffusant à plein volume Basket Case de Green Day pour masquer ses cris. C'est une performance qui oscille entre une fragilité pathétique et une conviction psychotique, obligeant le public à se demander dans quelle mesure sa folie est enracinée dans des griefs légitimes contre l'exploitation des entreprises et l'effondrement de l'environnement. Jesse Plemons ne se contente pas de jouer Teddy comme un fou ; il en fait le reflet d'une société où la paranoïa et la vérité sont devenues indissociables.
De l'autre côté de cette guerre claustrophobe se trouve Emma Stone, dans sa cinquième collaboration avec Yorgos Lanthimos, et il n'est pas exagéré de dire qu'elle s'aventure en territoire inconnu et dérangeant. Son personnage, Michelle Fuller, affiche en public une image fragile et raffinée, débitant des mantras creux sur la diversité et la flexibilité tout en incarnant une exploitation impitoyable, mais une fois capturée, elle se transforme en une survivante caméléon. La tête rasée et le corps enduit de crème antihistaminique, Emma Stone livre une performance sauvage et tendue, tour à tour se moquant de Teddy, tentant de le raisonner ou utilisant son intelligence comme une arme pour démanteler sa logique fragile. Certaines des séquences les plus captivantes du film proviennent de leurs duels verbaux, mis en scène presque comme des débats pervers en salle de réunion, à l'exception des chaînes, des seringues et de la menace constante de violence. Si Teddy représente la rage des masses désabusées, Michelle incarne l'indifférence froide de l'élite. Ensemble, ils symbolisent un monde pris dans une spirale mortelle de méfiance et de vengeance.
S'il existe une troisième force dans le film, c'est Don, le personnage joué par Aidan Delbis, un cousin naïf entraîné dans les délires de Teddy. Au début, il n'est guère plus qu'un assistant docile, mais au fil du temps, Aidan Delbis lui donne une touche d'innocence tragique et de doute. Sa présence met en évidence le thème le plus dérangeant du film : la facilité avec laquelle les personnes vulnérables peuvent être radicalisées, convaincues d'absurdités simplement parce qu'elles ont besoin d'appartenir à quelque chose de plus grand. C'est en Don que Yorgos Lanthimos trouve une lueur de pathos, même si le récit sombre dans une absurdité grotesque.
Techniquement, Bugonia est indéniablement lanthimosien. La photographie de Robbie Ryan capture le contraste entre l'empire commercial étincelant de Michelle et la masure aux volets en papier d'aluminium de Teddy, baignant les deux dans des palettes de couleurs criardes qui oscillent entre théâtralité surréaliste et réalisme cru. La conception artistique de James Price transforme la maison familiale délabrée de Teddy en une scène étouffante de paranoïa, tandis que le siège social stérile de Michelle brille comme un temple de la banalité capitaliste. La musique de Jerskin Fendrix, pleine de crescendos orchestraux grandiloquents et de dissonances stridentes, alterne entre la parodie de l'héroïsme et la mise en évidence de l'horreur, maintenant constamment le public dans l'inquiétude. Même le titre, qui fait référence à l'ancienne croyance selon laquelle les abeilles pouvaient naître des carcasses de bœufs morts, sert de métaphore sinistre aux illusions de l'humanité : les mensonges que nous nous racontons pour donner un sens à un monde en décomposition.
Malgré sa sauvagerie et son humour noir, Bugonia parle moins des extraterrestres que de nous-mêmes. Il reflète une société où les frontières entre la désinformation et la réalité se sont effacées, où les défavorisés s'en prennent violemment aux symboles du pouvoir, et où les détenteurs du pouvoir maintiennent leur domination avec la même indifférence qui engendre le ressentiment. L'enlèvement lui-même est moins une confrontation littérale avec un extraterrestre qu'une parodie grotesque de la lutte des classes, les deux camps étant tellement consumés par leurs illusions et leur arrogance qu'aucune résolution n'est possible. Le public, piégé dans le sous-sol aux côtés de Michelle et Teddy, oscille entre deux sentiments : devons-nous nous ranger du côté de l'apiculteur dérangé, dont les griefs ne sont pas entièrement infondés, ou du cadre glacial, qui incarne tout ce qu'il méprise ?
Le film culmine dans un final à la fois absurde et étrangement triste, dont l'imagerie apocalyptique est soulignée par l'interprétation envoûtante de Marlene Dietrich de Where Have All the Flowers Gone ? À ce stade, Lanthimos nous a fait passer par des cycles de dégoût, de rire, de malaise et d'effroi, pour finalement nous laisser un arrière-goût amer : ni les théoriciens du complot ni les grands patrons ne nous sauveront, et il est peut-être déjà trop tard. À l'instar des abeilles dont la disparition hante le film, l'humanité semble vouée à s'effondrer, non pas à cause d'une invasion extraterrestre, mais à cause de sa propre cécité et de son arrogance.
Bugonia n'atteint peut-être pas les sommets de Poor Things ou The Favourite en termes d'élégance narrative, et certains spectateurs trouveront sa cruauté gratuite ou sa critique sociale trop directe. Pourtant, sa force réside dans son refus de réconforter. C'est une satire désordonnée et déchiquetée qui reflète notre époque désordonnée et déchiquetée, interprétée avec une intensité extraordinaire par Jesse Plemons et Emma Stone, et aiguisée par le regard imperturbable de Yorgos Lanthimos. Malgré toutes ses grotesqueries, il ose nous demander si nous aussi sommes pris dans le rêve fiévreux de Teddy, piégés dans un monde où l'illusion semble plus plausible que la vérité, et où même nos tentatives de salut ne sont qu'un pas de plus vers la destruction.
Bugonia
Réalisé par Yorgos Lanthimos
Écrit par Will Tracy
Basé sur Save the Green Planet ! de Jang Joon-hwan
Produit par Ed Guiney, Andrew Lowe, Yorgos Lanthimos, Emma Stone, Ari Aster, Lars Knudsen, Miky Lee, Jerry Kyoungboum Ko
Avec Emma Stone, Jesse Plemons, Aidan Delbis, Stavros Halkias, Alicia Silverstone
Directeur de la photographie : Robbie Ryan
Montage : Yorgos Mavropsaridis
Musique : Jerskin Fendrix
Sociétés de production : Square Peg, CJ ENM Films & Television, Fruit Tree, Element Pictures
Distribution : Focus Features (États-Unis), Universal Pictures International France (France)
Dates de sortie : 28 août 2025 (Venise), 24 octobre 2025 (États-Unis), 26 novembre 2025 (France)
Durée : 118 minutes
Vu le 6 septembre 2025 au cinéma du Casino (Deauville)
Note de Mulder: