Vie Privée

Vie Privée
Titre original:Vie Privée
Réalisateur:Rebecca Zlotowski
Sortie:Cinéma
Durée:105 minutes
Date:26 novembre 2025
Note:
Lilian Steiner est une psychiatre renommée. Lorsqu'elle apprend la mort d'un de ses patients, elle est convaincue qu'il s'agit d'un meurtre. Troublée, elle décide de mener sa propre enquête.

Critique de Mulder

Vie Privée (Vie privée) de Rebecca Zlotowski est l'une de ces rares œuvres cinématographiques qui ose changer constamment de ton, mêlant comédie, thriller, drame psychologique et même romance dans un ensemble excentrique. Au centre du film, Jodie Foster, qui joue son premier rôle principal entièrement en français, et c'est sa présence magnétique qui permet de maintenir la cohésion d'un film qui, sans cela, risquerait de s'effondrer sous le poids de ses nombreuses idées. Le film la met en scène dans le rôle de Lilian Steiner, une psychanalyste américaine installée à Paris, qui apprend que l'une de ses patientes de longue date, Paula (jouée avec une fragilité lumineuse par Virginie Efira), est décédée dans ce qui semble être un suicide. Cet événement bouleverse le monde soigneusement contrôlé de Lilian, la poussant à mener une enquête obsessionnelle qui tient à la fois du roman policier, du bilan de mi-vie et, finalement, d'un miroir tendu à elle-même.

Dès les premiers instants, Rebecca Zlotowski donne le ton avec « Psycho Killer » des Talking Heads qui retentit pendant le générique, pour ensuite révéler que la musique ne fait pas partie de la bande originale, mais provient de l'appartement du dessus. C'est une petite plaisanterie, mais elle en dit long : ce film ne traite pas d'un suspense facile, mais des absurdités de la vie moderne, de la façon dont le banal peut glisser vers l'étrange. Lilian enregistre ses séances de thérapie sur des MiniDiscs obsolètes, un détail original qui sert à la fois d'artefact nostalgique et de symbole de son incapacité à s'adapter. Lorsque l'un de ces enregistrements, la dernière conversation avec Paula, est volé, l'accessoire devient soudainement un pivot narratif, une métaphore de la mémoire et de la vérité qui lui sont littéralement enlevées. En ce sens, les éléments de thriller semblent souvent être des prétextes pour Rebecca Zlotowski afin d'explorer son véritable sujet : l'instabilité de l'identité, les fictions que nous nous racontons et la manière dont la thérapie peut se confondre avec l'invention.

La mort de la patiente conduit Lilian à une rencontre tendue avec Simon, le mari de Paula, interprété avec une joie malveillante par Mathieu Amalric, qui la dénonce publiquement lors des funérailles et l'accuse de prescrire trop d'antidépresseurs. Ses éclats jettent le doute dans plusieurs directions, surtout lorsqu'ils sont associés à l'étrangeté distante de Valérie (Luàna Bajrami), la fille de Paula. Pourtant, Rebecca Zlotowski refuse de créer un simple polar. Au contraire, elle sape à plusieurs reprises l'élan du récit en faisant des détours par la vie privée de Lilian : sa relation tendue avec son fils distant Julien (Vincent Lacoste), sa complicité retrouvée avec son ex-mari Gabriel (Daniel Auteuil) et sa vulnérabilité inattendue lorsqu'elle est prise de crises de larmes incontrôlables. Ces pleurs, d'abord présentés comme un problème médical, deviennent l'un des gags récurrents les plus singuliers du film. Lilian insiste sur le fait que ses canaux lacrymaux fonctionnent mal, mais la vue de Jodie Foster s'essuyant les yeux tout en essayant de conserver son sang-froid professionnel révèle un effondrement intérieur qu'elle refuse d'admettre. C'est dans ces contradictions, où le tragique bascule dans le comique, que le film prend toute sa dimension.

Le pari le plus audacieux du film intervient lorsque Lilian, cherchant à soulager son mal, rend visite à une hypnotiseuse, incarnée par Sophie Guillemin. Sous hypnose, elle fait l'expérience d'un rêve surréaliste dans lequel elle et Paula sont amantes dans la France occupée par les nazis, Simon dirigeant un orchestre qui se transforme en peloton d'exécution, tandis que Julien apparaît en uniforme d'officier SS. C'est une séquence à la fois grotesque et ludique, comme un hommage déformé au film Spellbound d'Hitchcock, filtré à travers Le Dernier Métro de François Truffaut. Les critiques peuvent débattre de sa nécessité narrative, mais sa résonance réside dans la manière dont elle extériorise la culpabilité refoulée de Lilian, son identité juive et son éloignement de son propre fils. L'absurdité de cette vision souligne le refus du film de se conformer : ce n'est pas un rêve destiné à résoudre le mystère, mais un rêve qui renvoie à Lilian sa propre psyché, ne lui offrant une compréhension que par la distorsion.

Tout cela est ancré dans l'extraordinaire performance de Jodie Foster. Cela fait deux décennies qu'elle a brièvement joué en français dans Un long dimanche de fiançailles, et ici, elle se montre tout à fait à l'aise, passant d'une articulation précise, presque clinique, à des éclats soudains de jurons en anglais qui trahissent son statut d'étrangère. La voir osciller entre une détermination à toute épreuve et une exaspération comique est une révélation. Il y a une délicieuse décontraction dans son jeu ici, loin des rôles tendus qui ont défini une grande partie de sa carrière américaine. Dans une scène, lorsque Gabriel la regarde pleurer et lui dit avec un sourire : « Ça te va bien », l'échange a la légèreté d'une comédie romantique, révélant la complicité naturelle entre Jodie Foster et Daniel Auteuil. Leurs plaisanteries et leurs regards insistants, qu'ils s'introduisent dans la maison d'un suspect ou qu'ils se remémorent les débris de leur mariage, offrent au film ses moments les plus émouvants. En fait, leur alchimie rappelle l'énergie déjantée des comédies sur le remariage, et ce n'est pas un hasard si certains spectateurs repartiront en se souvenant davantage de leurs échanges que du mystère lui-même.

Pourtant, les seconds rôles ajoutent une riche texture. Virginie Efira apparaît principalement dans des flashbacks, mais laisse une présence indélébile, son personnage étant un écho fantomatique qui hante la conscience de Lilian. Mathieu Amalric, comme toujours, apporte une combinaison d'imprévisibilité et d'humour malicieux, son Simon étant à la fois menaçant et légèrement ridicule. Et puis il y a Frederick Wiseman, qui fait une brève apparition dans le rôle de l'ancien mentor de Lilian, lui offrant des conseils énigmatiques que Lilian ignore promptement. Sa présence est à la fois une plaisanterie et un rappel de la frontière poreuse entre la vérité documentaire et la fiction narrative, un thème qui traverse tout le film.

Visuellement, Vie Privée est une production élégante et raffinée. La photographie de George Lechaptois capture Paris avec un éclat qui rappelle les thrillers français des années 1980, à la fois raffiné et teinté de mélancolie. Le montage de Géraldine Mangenot rend le récit agile, tandis que la bande originale enjouée de Robin Coudert (Rob) injecte des bouffées d'énergie fantaisiste, sapant souvent la gravité supposée d'une scène avec des fioritures percussives ou des rythmes staccato ironiques. Le résultat est un film qui semble délibérément instable, passant d'un moment à l'autre du suspense noir à l'absurdité burlesque.

Ce qui reste après le générique, cependant, ce n'est pas la résolution de la mort de Paula – une fin qui semble, si tant est, délibérément anticlimatique – mais le sentiment d'avoir vu une femme contrainte de faire face à ses propres silences. Lilian est une psychanalyste qui a oublié comment écouter, ses patients, son fils et elle-même. Sa quête obsessionnelle de réponses devient moins une question de découverte d'un crime que de découverte de sa propre capacité d'empathie et de vulnérabilité. De cette manière, Rebecca Zlotowski réalise un film qui traite autant de la thérapie elle-même – l'oscillation sans fin entre vérité et projection, perspicacité et illusion – que d'un mystère conventionnel.

Vie Privée peut frustrer les spectateurs à la recherche d'un thriller tendu ou d'un récit bien ficelé. Il est parfois désordonné, surchargé, voire contradictoire. Mais c'est dans ce désordre que réside son charme. Rebecca Zlotowski s'intéresse moins à la conclusion qu'au plaisir de l'incertitude, laissant ses personnages trébucher à travers leurs obsessions et leurs désirs avec humour et chaos. Et avec Jodie Foster qui livre l'une de ses performances les plus surprenantes depuis des années, le film devient une méditation vivante et imprévisible sur l'identité, la culpabilité et les fictions qui nous soutiennent. Ce n'est peut-être pas le joyau le plus raffiné de la carrière de Rebecca Zlotowski, mais c'est l'une de ses expériences les plus fascinantes – un film où, à juste titre, le mystère réside moins dans ce qui s'est passé que dans les vies privées que nous gardons si farouchement à l'abri de nous-mêmes.

Vie Privée
Réalisé par Rebecca Zlotowski
Écrit par Rebecca Zlotowski, Anne Berest, Gaëlle Macé
Produit par Frédéric Jouve
Avec Jodie Foster, Daniel Auteuil, Virginie Efira
Photographie : George Lechaptois
Montage : Géraldine Mangenot
Musique : Robin Rob Coudert
Sociétés de production : Les Films Velvet, France 3 Cinéma
Distribution : Ad Vitam (France)
Dates de sortie : 20 mai 2025 (Cannes), 26 novembre 2025 (France)
Durée : 105 minutes

Vu le 13 septembre 2025 au Centre international de Deauville

Note de Mulder: