Titre original: | Viktor |
Réalisateur: | Olivier Sarbil |
Sortie: | Vod |
Durée: | 89 minutes |
Date: | Non communiquée |
Note: |
Dans un paysage déjà saturé de documentaires relatant les ravages de la guerre en cours en Ukraine, Viktor d'Olivier Sarbil se distingue par son portrait étonnamment intime et profondément humain. À la fois élégiaque et provocateur, le film présente son personnage principal non pas comme une victime des circonstances, mais comme un homme déterminé à trouver sa place dans un monde qui tente sans cesse de le marginaliser. Le fait que Viktor Korotovskyi soit sourd depuis l'âge de cinq ans ne l'empêche pas d'aspirer à servir son pays. Ce qui rend ce documentaire captivant, ce n'est pas seulement le récit de son combat, mais la façon dont il nous plonge dans son univers intérieur – visuellement, sonore et émotionnellement – nous invitant à vivre la guerre à travers son regard unique.
Les premières scènes, qui se déroulent à Kharkiv alors que les forces russes envahissent l'Ukraine en février 2022, donnent immédiatement le ton. Nous voyons Viktor s'entraîner avec un katana dans son jardin, sous le regard résigné de sa mère. Son amour pour la philosophie des samouraïs japonais, en particulier pour L'Art du combat du samouraï de Miyamoto Musashi, semble presque chimérique, mais il s'agit bien plus que d'une simple affectation : c'est son code de vie. Il s'accroche à la notion d'« esprit militaire » que lui a inculquée son défunt père, et transforme cet héritage en rituels de discipline. Cette fusion entre la tradition martiale d'antan et la dure réalité de la guerre moderne confère au film une texture à la fois poétique et troublante. L'allusion au film Ghost Dog de Jim Jarmusch n'est pas déplacée : Viktor est présenté comme un guerrier moderne sans armée, pris entre la performance et la pratique, incarnant un rôle que la société refuse de lui accorder sérieusement.
Ce qui élève véritablement Viktor, c'est le regard d'Olivier Sarbil en tant que réalisateur et directeur de la photographie. Sa palette monochrome reflète l'affinité de Viktor pour la photographie en noir et blanc, créant une unité entre le sujet et le cinéaste qui semble naturelle plutôt qu'imposée. La rigueur esthétique est encore renforcée par la participation de producteurs tels que Darren Aronofsky, qui explore depuis longtemps la tension entre réalisme et surréalisme. Pourtant, Olivier Sarbil ne laisse jamais le style prendre le pas sur le fond ; au contraire, les images austères approfondissent notre compréhension de la place de Viktor dans ce monde fracturé. Lorsque Viktor est finalement accepté par une unité locale, non pas en tant que soldat, mais en tant que photographe de guerre, son appareil photo devient à la fois une arme et un bouclier, un outil de documentation et de survie. Ses images ne se vendent peut-être pas aux médias internationaux qui croulent sous les reportages sur la guerre, mais dans le cadre du film, elles prennent un poids indélébile : des tranches de silence figées dans le temps.
Le design sonore est tout aussi crucial pour l'impact du documentaire. Réalisé par Nicolas Becker, Heikki Kossi et Peter Albrechtsen, la même équipe que celle derrière Sound of Metal de Darius Marder, le paysage sonore nous plonge dans l'audition fracturée de Viktor. Les sons sont atténués, déformés et réarrangés à l'aide de méthodes non conventionnelles, notamment l'utilisation d'appareils auditifs et de microphones stéthoscopiques, afin de reproduire la perception du monde de Viktor. Ici, le silence n'est pas un vide, mais une présence. C'est son compagnon constant, qui façonne son identité autant que son isolement. Cette interaction entre le silence et la cacophonie de la guerre produit une ironie glaçante : les soldats ne peuvent souvent pas non plus entendre les ordres sur le champ de bataille, mais la surdité de Viktor est utilisée comme raison pour l'exclure. Dans une séquence poignante, Viktor réconforte un soldat qui vient de perdre l'ouïe, lui offrant des mots de résilience qui se fondent parfaitement avec les notes d'une chanson folklorique ukrainienne. C'est dans des moments comme celui-ci que le film transcende le reportage et s'approche de quelque chose d'universel, une méditation sur l'adaptation, la survie et la dignité humaine.
Au-delà des éléments viscéraux, Viktor explore les couches sociales et culturelles complexes de l'Ukraine elle-même. Ayant grandi à Kharkiv, la langue maternelle de Viktor est le russe, et bien qu'il s'en sorte grâce à la lecture labiale et à un ukrainien limité, les malentendus aggravent souvent son sentiment de déracinement. Dans un moment révélateur sur le front, il a du mal à suivre le discours rapide de ses camarades en ukrainien, soulignant les fractures civiles qui sous-tendent la guerre. Ces détails ne sont pas de simples éléments de contexte : ils révèlent subtilement les siècles de tensions linguistiques et politiques dans la région, tissées dans la trame même du parcours personnel de Viktor. Cette dualité, à la fois insider et outsider, reflète sa position dans l'effort de guerre lui-même : indispensable mais toujours en marge.
Le film n'est pas dépourvu de moments réjouissants, même s'ils sont durement gagnés. Au bout d'une trentaine de minutes, Viktor sourit enfin, un geste chargé de sens après de longues périodes de frustration et de désespoir. La joie qu'il trouve dans le simple fait de contribuer, de communiquer avec les soldats et de capturer des images de résilience, est profondément émouvante. Pourtant, Olivier Sarbil résiste au sentimentalisme. Il nous montre le chagrin de Viktor lorsque sa demande de rejoindre officiellement le combat est rejetée, malgré ses talents de tireur d'élite qui surprennent même les entraîneurs chevronnés. Son argument – que le chaos du champ de bataille rend de toute façon la plupart des soldats partiellement sourds – tombe dans l'oreille d'un sourd, une cruelle ironie qui ne lui échappe pas, ni au public. Au lieu de cela, il doit tracer sa propre voie, trouver des moyens de servir sa communauté par des collectes de nourriture, des missions d'aide et la documentation de la vie de gens ordinaires endurant des épreuves extraordinaires.
Ce qui reste le plus après Viktor, ce n'est pas son documentaire sur la guerre, mais son insistance à réimaginer ce que peuvent signifier la participation, la résistance et la force. Viktor ne portera peut-être jamais l'uniforme dont il rêve, mais son rôle de chroniqueur et de présence compatissante n'en est pas moins essentiel. Ses routines au katana, ses photographies, ses interactions tendres avec des inconnus deviennent autant de prolongements de son esprit guerrier, repensé pour un monde qui lui refuse le champ de bataille. Au final, le silence de Viktor devient sa force, un moyen de percevoir des vérités que d'autres pourraient manquer dans le chaos de la guerre.
Viktor est donc à la fois un documentaire sur un homme et une réflexion philosophique sur la résilience face à l'exclusion systémique. Olivier Sarbil crée non seulement une histoire de lutte personnelle, mais aussi une allégorie de la lutte plus large de l'Ukraine elle-même, minée, sous-estimée, mais persévérante. Grâce à la fusion d'images saisissantes, de paysages sonores inventifs et d'un protagoniste dont la simple existence remet en question les définitions conventionnelles de la force, le film s'impose comme l'une des œuvres les plus importantes du cinéma documentaire de ces dernières années. Il ne s'agit pas seulement d'un homme nommé Viktor, mais de l'universalité de la recherche d'un but dans un monde déterminé à vous réduire au silence.
Viktor
Réalisé par Olivier Sarbil
Produit par Darren Aronofsky, Dylan Golden, Brendan Naylor, Sigrid Jonsson Dyekjær, Philippe Levasseur, Olivier Sarbil
Musique de Disasterpeace
Photographie : Olivier Sarbil
Montage : Atanas Georgiev
Sociétés de production : Protozoa Pictures, Real Lava, Newen Studios, Time Studios, Impact Partners
Durée : 89 minutes
Note de Mulder: