Holding Liat

Holding Liat
Titre original:Holding Liat
Réalisateur:Brandon Kramer
Sortie:Vod
Durée:97 minutes
Date:Non communiquée
Note:
Après l'enlèvement de Liat Beinin Atzili le 7 octobre, sa famille israélo-américaine doit faire face à ses propres divergences pour lutter pour sa libération et l'avenir des lieux qu'ils considèrent comme leur foyer.

Critique de Mulder

Holding Liat, réalisé par Brandon Kramer, n'est pas simplement un documentaire de plus sur les attentats du 7 octobre 2023 ; c'est le portrait profondément intime, politiquement chargé et émotionnellement bouleversant d'une famille qui lutte pour faire face à l'enlèvement de leur fille tout en confrontant les vérités dérangeantes sur Israël, la Palestine et la réaction du monde. Contrairement à d'autres œuvres qui tendent vers une propagande sans filtre ou des récits simplistes, le film de Brandon Kramer occupe un espace beaucoup plus nuancé, obligeant le spectateur à accepter les contradictions, les hypocrisies et les émotions brutes qui définissent une tragédie de cette ampleur. C'est cette complexité qui rend le film si captivant et, parfois, insupportablement humain.
Au centre de l'histoire se trouve Liat Beinin Atzili, professeure d'éducation civique et double citoyenne américaine et israélienne, qui, avec son mari, Aviv Atzili, a été kidnappée au kibboutz Nir Oz pendant l'incursion du Hamas. 
Leur enlèvement est le point de départ d'un extraordinaire parcours fait de chagrin, de rage, de prise de conscience politique et de diplomatie réticente entrepris par ses parents, Yehuda et Chaya Beinin. Brandon Kramer, un parent de la famille, a eu accès aux moments les plus intimes et les plus spontanés, capturant à la fois le désespoir de ne pas savoir si Liat serait libérée et la fracture de l'unité familiale face au choc des convictions politiques. Yehuda Beinin apparaît comme l'un des sujets documentaires les plus fascinants de ces dernières années : un homme façonné par les idéaux socialistes du mouvement kibboutz des années 1970, qui continue de croire en la paix et la coexistence même si sa fille est retenue en otage. Son refus de s'aligner aveuglément sur la ferveur nationaliste qui balaye Israël après le 7 octobre le met en désaccord non seulement avec l'establishment politique, mais aussi, parfois, avec sa propre famille.

Ces contradictions se traduisent par des scènes profondément émouvantes et parfois amèrement comiques. À Washington, on voit Yehuda Beinin faire pression sur des membres du Sénat américain, dont Mitch McConnell et Joe Manchin, dans l'espoir que la citoyenneté américaine de Liat puisse inciter l'administration Biden à négocier sa libération. Pourtant, il déteste chaque seconde de cette démarche. Sa fille, Tal Beinin, lui rappelle sans détour qu'il ne peut pas se permettre de transformer ces réunions en débats idéologiques : « Tu crois que j'avais envie de rencontrer Mitch McConnell ? », lui lance-t-elle, exprimant le calcul pragmatique nécessaire pour obtenir des résultats. Mais Yehuda, vêtu de son t-shirt « Good Morning Vietnam » et arborant un autocollant Bernie Sanders sur sa voiture, ne peut s'empêcher de critiquer Benjamin Netanyahu et les extrémistes religieux qui, selon lui, ont pris le contrôle du gouvernement israélien. Ces moments, capturés par l'objectif discret de Brandon Kramer, révèlent la tension déchirante entre le désespoir personnel et les convictions politiques : un père peut-il mettre de côté ses convictions de toujours si cela peut sauver la vie de sa fille ?

Les divisions générationnelles au sein de la famille accentuent encore cette dynamique. Netta Atzili, le fils de Liat, canalise la fureur ressentie par une grande partie de la jeune génération israélienne. Sa colère est viscérale, son désir de vengeance presque instinctif, mais au fur et à mesure que le film avance, nous voyons son feu s'éteindre sous le poids de la futilité et de l'épuisement. C'est un renversement de rôles frappant : le grand-père prônant la retenue et la responsabilité morale, le petit-fils consumé par la rage. Il y a ensuite Joel Beinin, le frère de Yehuda et professeur d'histoire du Moyen-Orient à Stanford, qui adopte une position encore plus radicale, rejetant ouvertement le sionisme et prenant la parole lors de conférences pro-palestiniennes. Le film montre ces divisions idéologiques non pas comme des débats abstraits, mais comme des blessures vivantes au sein d'une famille désespérément unie par l'amour, mais divisée par des convictions divergentes sur la justice et la responsabilité.

Ce qui rend Holding Liat si puissant, c'est le refus d'édulcorer ces contradictions. Brandon Kramer laisse le silence, la frustration et même l'hypocrisie s'infiltrer dans le cadre. Lorsque Yehuda quitte précipitamment un rassemblement « Sauvez les otages » qui se transforme en spectacle sioniste pro-guerre, son dégoût semble sincère, tout comme le malaise du spectateur qui craint qu'il ne s'aliène des alliés qui pourraient aider à ramener Liat à la maison. De même, lorsque la famille est invitée à mettre en scène son chagrin comme un théâtre politique pour les législateurs américains, nous voyons le coût émotionnel de devenir des symboles plutôt que des personnes. Le documentaire devient une étude sur l'utilisation de la souffrance comme arme : comment la douleur inimaginable des familles des otages peut être utilisée pour justifier une agression militaire ou des manœuvres politiques, souvent sans leur consentement.

Le dénouement, lorsqu'il arrive enfin, est dévastateur par sa complexité. Liat Beinin Atzili est finalement libérée après plusieurs semaines de captivité, tandis que son mari Aviv est confirmé assassiné, son corps toujours retenu. Ses retrouvailles avec sa famille sont profondément émouvantes, mais ce qui suit est encore plus frappant. Plutôt que de se radicaliser, Liat parle franchement de l'humanité des familles de ses ravisseurs, de son refus de considérer les Palestiniens comme des ennemis sans visage et de son dégoût à l'idée d'affamer les civils à Gaza comme stratégie militaire. « Personne ne devrait mourir de faim, peu importe qui il est », insiste-t-elle, une affirmation de compassion qui va à l'encontre des positions des partisans de la ligne dure israéliens et des apologistes du Hamas. À ce moment-là, le film transcende la politique pour délivrer une vérité humaine : la douleur peut endurcir les cœurs, mais elle peut aussi élargir l'empathie.

Brandon Kramer termine par une séquence à Yad Vashem, le centre israélien de commémoration de l'Holocauste, où Liat continue de guider les visiteurs. Alors qu'elle établit un parallèle entre le ghetto de Varsovie et Gaza, entre des personnes qui regardent la fumée s'élever de l'autre côté d'un mur et choisissent de ne pas agir, le poids de l'histoire pèse sur le présent. C'est un choix audacieux et peut-être controversé, mais qui cristallise le thème central du film : l'empathie ne peut être sélective. La tragédie des Beinin devient un miroir reflétant les défaillances morales plus larges des deux camps, et peut-être de nous tous en tant qu'observateurs.

Lauréat du prix du documentaire de la Berlinale et projeté par la suite à Tribeca, Holding Liat n'est pas un film facile à digérer. Il risque de mettre en colère ceux qui le trouvent trop sympathique aux Palestiniens, tout comme il frustrera ceux qui pensent qu'il s'en tient trop au cadre sioniste. Mais c'est précisément là que réside sa force. En refusant d'offrir des réponses simples ou des victoires morales faciles, il oblige les spectateurs à se confronter aux contradictions de l'amour, de la loyauté, de la politique et de la justice. Ce faisant, il rend hommage non seulement à la résilience de la famille Beinin, mais aussi à la complexité d'un conflit qui défie toute clarté depuis des générations. Pour un documentaire né de l'urgence, du chagrin et de la proximité, il réalise quelque chose de rare : il devient à la fois un document sur la souffrance d'une famille et un appel à réexaminer la manière dont l'empathie et la politique s'affrontent en temps de guerre.

Holding Liat
Réalisé par Brandon Kramer
Produit par Darren Aronofsky, Lance Brandon Kramer, Yoni Brook, Ari Handel, Justin A. Gonçalves
Musique de Jordan Dykstra
Photographie : Yoni Brook
Montage : Jeff Gilbert
Sociétés de production : Meridian Hill Pictures, Protozoa Pictures
Durée : 97 minutes

Note de Mulder: