Titre original: | 2000 Meters To Andriivka |
Réalisateur: | Mstyslav Tchernov |
Sortie: | Vod |
Durée: | 106 minutes |
Date: | Non communiquée |
Note: |
Avec 2000 Meters To Andriivka, Mstyslav Chernov démontre une fois de plus pourquoi il est devenu l'un des chroniqueurs les plus incontournables de la guerre en cours en Ukraine. Après son film oscarisé 20 Days in Mariupol, qui se concentrait sur le siège des civils piégés dans une ville en ruine, ce nouveau documentaire change de perspective pour se concentrer sur le front, nous plongeant directement dans la peau des soldats chargés de progresser à travers une dangereuse étendue forestière de 2000 mètres afin de reprendre le village d'Andriivka. Sur le papier, c'est une distance qui pourrait être parcourue en quelques minutes en voiture, voire en quelques secondes par un obus de mortier, mais sur le terrain, sous un feu constant, cela devient un voyage sisypheen où chaque mètre semble être payé au prix du sang.
La force du film réside dans son intimité sans précédent. La plupart des images proviennent de caméras montées sur des casques, des GoPros fixées sur les soldats ukrainiens qui avancent à travers des arbres détruits, des chemins jonchés de mines et des trous de renard qui pourraient cacher des amis ou des ennemis. Le résultat est une perspective immersive à la première personne qui évoque l'esthétique d'un jeu vidéo comme Call of Duty, sauf que, comme Mstyslav Chernov le montre de manière effrayante, ce n'est pas un jeu. La confusion, les rafales soudaines de tirs et les silences abrupts, seulement rompus par des respirations ou des ordres chuchotés, créent une tension suffocante. Lorsque les soldats rient ensemble en fumant une cigarette à un moment donné et disparaissent l'instant d'après, nous nous rappelons à quel point la frontière entre camaraderie et catastrophe est fragile.
Parmi les personnages qui émergent du chaos, deux se distinguent particulièrement. Fedya, le jeune chef d'unité qui travaillait autrefois dans un entrepôt, répète avec une conviction sinistre qu'il est venu « pour se battre, pas pour servir ». Sa détermination, même après avoir été blessé et être retourné au combat, incarne la résolution de nombreux hommes autour de lui. Son bras droit, surnommé Freak, est tout aussi mémorable : un soldat de 22 ans qui plaisante sur les douches et le langage tout en incarnant la jeunesse contradictoire de quelqu'un qui devrait être loin des tranchées. La narration de Mstyslav Chernov livre fréquemment des rebondissements cruels : beaucoup des soldats que nous apprenons à connaître ne survivront pas aux mois à venir. Ce procédé est dévastateur, rappelant la postface d'American Graffiti, mais rendu infiniment plus lourd par le fait que ces destins ne sont pas fictifs, mais réels.
Visuellement, le film est austère et inoubliable. La forêt qui mène à Andriivka ressemble moins à la nature qu'à un cimetière d'arbres, avec ses troncs brûlés qui se dressent comme des squelettes rappelant ce qui était autrefois une terre fertile. Les prises de vue par drone soulignent cette géographie obsédante, montrant parfois des soldats réduits à de minuscules silhouettes fragiles avançant péniblement dans un désert balafré. Un soldat compare cette expérience à « atterrir sur une planète où tout essaie de vous tuer », une description qui reste longtemps en mémoire après la fin du film. La conception sonore, renforcée par la musique minimaliste et lancinante de Sam Slater, amplifie ce sentiment de menace surnaturelle, comme si même le silence avait été transformé en arme.
Pourtant, ce qui fait la résonance de 2000 Meters to Andriivka, ce n'est pas seulement l'horreur, mais l'humanité qui transparaît dans des conversations fugaces. Un soldat parle de son désir de réparer la plomberie de sa maison à son retour. Un autre mentionne l'inquiétude constante de sa femme, réalisant maintenant, sous les tirs, à quel point cette inquiétude est profonde. Ces espoirs ordinaires ponctuent la violence extraordinaire et nous rappellent que derrière chaque uniforme se cache une personne qui avait autrefois des projets bien éloignés du combat. La présence de funérailles, où des communautés entières se rassemblent pour pleurer leurs fils et leurs pères tombés au combat, renforce cette dualité entre perte personnelle et lutte nationale.
Le documentaire confronte également la futilité de la guerre avec une honnêteté brutale. Au moment où la brigade hisse le drapeau ukrainien à Andriivka, le village n'est plus qu'un champ de ruines. Il n'y a plus de maisons à récupérer, plus de civils à accueillir, seulement des ruines et un chat errant emmené par les soldats comme dernier habitant vivant. Il s'agit d'une victoire symbolique plutôt que stratégique, rapidement effacée quelques mois plus tard lorsque les forces russes ont repris le site. Cette dimension pyrrhique imprègne tout le film, rendant le courage des soldats d'autant plus tragique. Le public se demande quel est le sens du sacrifice lorsque le terrain conquis est si rapidement perdu à nouveau.
Ce qui distingue le travail de Mstyslav Chernov, c'est sa capacité à rendre l'universel personnel. Son commentaire reconnaît l'indifférence du monde alors que la guerre se prolonge : comment les gros titres finissent par s'estomper, comment la sympathie s'estompe et comment les conflits deviennent un bruit de fond pour un public lointain. Sa propre position en tant que journaliste et cinéaste est précaire ; il évite de porter des vêtements identifiables comme ceux de la presse, car cela ferait de lui une cible prioritaire. Pourtant, sa présence garantit que ces histoires, ces visages et ces sacrifices ne tombent pas dans l'oubli. Son film devient le drapeau hissé au-dessus d'Andriivka, non pas en signe de célébration, mais en signe de commémoration.
2000 Meters to Andriivka est une œuvre cinématographique brutale et nécessaire. Elle nous plonge dans une ligne de front où la mort peut survenir dans le silence ou dans le fracas, et où les soldats s'accrochent aux blagues, aux cigarettes et aux rêves éphémères pour survivre une heure de plus. Il est à la fois pro-guerre et anti-guerre : pro dans sa reconnaissance de la nécessité de défendre sa patrie, anti dans sa description de l'absurdité et de la futilité écrasante des combats qui réduisent les villages en cendres et les hommes en statistiques. Comme Come and See d'Elem Klimov, il laisse le spectateur bouleversé, épuisé, mais aussi conscient que c'est parfois le rôle du cinéma : témoigner.
Le film ne traite pas de la prise d'un village, mais de la persistance de la mémoire. « La guerre efface tout », a déclaré Mstyslav Chernov, « mais ce qui survit, c'est la mémoire ». 2000 mètres jusqu'à Andriivka est sa façon de garantir que ces souvenirs perdurent, non pas comme des abstractions lointaines, mais comme des vérités viscérales et obsédantes gravées dans l'histoire. C'est un film bouleversant, extraordinaire, et l'un des documents les plus importants sur la guerre de notre époque.
2000 Meters To Andriivka
Réalisé par Mstyslav Tchernov
Produit par Raney Aronson, Michelle Mizner, Mstyslav Chernov, Raney Aronson-Rath
Musique de Sam Slater
Photographie : Mstyslav Chernov
Montage : Michelle Mizner
Sociétés de production :
Distribué par PBS Distribution (États-Unis)
Date de sortie : 25 juillet 2025 (États-Unis)
Durée : 106 minutes
Note de Mulder: