The chronology of water

The chronology of water
Titre original:The chronology of water
Réalisateur:Kristen Stewart
Sortie:Cinéma
Durée:128 minutes
Date:10 décembre 2025
Note:
Ayant grandi dans un environnement ravagé par la violence et l'alcool, la jeune Lidia peine à trouver sa voie dans la vie. Elle parvient à échapper à sa famille et s'inscrit à l'université, où elle trouve refuge dans la littérature. Peu à peu, les mots lui offrent une liberté inattendue...

Critique de Mulder

Le premier film très attendu de Kristen Stewart, The Chronology of Water, est aussi audacieux qu'intransigeant, un film qui refuse d'obéir à la grammaire habituelle des biopics ou des adaptations et qui plonge plutôt dans le territoire brut, disjoint et douloureusement poétique de la mémoire elle-même. Basé sur les mémoires de Lidia Yuknavitch publiées en 2011, le film n'est ni une simple réécriture ni une adaptation directe du livre à l'écran. Il s'agit plutôt d'une immersion viscérale, comme si Kristen Stewart avait pris les rythmes de la prose de Yuknavitch, ses cadences fragmentées et son honnêteté explosive, pour les transformer en langage cinématographique. Dès les premières images – des images d'eau, de sang et de fragments d'une vie brisée qui s'entrechoquent dans un montage saccadé –, il est clair que Kristen Stewart a l'intention de nous noyer dans les sensations avant de nous laisser remonter à la surface pour respirer.

Tourné en 16 mm granuleux par le directeur de la photographie Corey C. Waters, le film établit une texture à la fois intime et abrasive, évoquant l'impression de films familiaux décolorés, mais superposés à une immédiateté obsédante. Ce choix n'est pas une indulgence esthétique, mais essentiel à la méthode de Kristen Stewart : la mémoire est imparfaite, brûlée par le traumatisme, brouillée par le temps, et pourtant elle est dévorante. À travers des gros plans extrêmes, des plans fixes et des montages chaotiques d'Olivia Neergaard-Holm, Kristen Stewart construit une mosaïque d'expériences qui ne capturent pas ce qui est arrivé à Lidia Yuknavitch, mais ce qu'elle a ressenti. Ce n'est pas un hasard si le film se passe d'explications, de plans d'ensemble ou de chronologie traditionnelle : ce n'est pas une histoire dont on se souvient, mais une histoire que l'on revit.

Au centre de cette tempête cinématographique se trouve Imogen Poots, qui livre la performance la plus saisissante de sa carrière. Incarnant Lidia de l'adolescence à l'âge adulte, Imogen Poots incarne un personnage fracturé par les abus, la dépendance et le chagrin, mais qui continue de battre avec défi et une soif désespérée de se définir. La décision de Kristen Stewart de la faire jouer à toutes les étapes de la vie de Lidia souligne à quel point le traumatisme efface le temps : l'enfant maltraitée ne quitte jamais l'adulte, la jeune nageuse ne cesse jamais de haleter dans la piscine. Imogen Poots porte cette dualité dans son regard, dans ses soubresauts de rage, dans les tremblements épuisés de son corps. Sa Lidia est parfois inaccessible, consumée par l'alcool, la drogue ou des relations sexuelles destructrices, mais même dans ses moments les plus sombres, il y a une lueur qui refuse de s'éteindre. La regarder est non seulement bouleversant, mais aussi étrangement exaltant, comme si elle incarnait le mantra de Yuknavitch selon lequel la survie elle-même peut être une forme d'art.

Les seconds rôles apportent des nuances d'humanité et de tragédie à cette histoire tumultueuse. Thora Birch, dans le rôle de Claudia, la sœur qui fuit la maison pour revenir lorsque Lidia est le plus vulnérable, transmet la culpabilité du survivant avec une poignante discrétion. Michael Epp, dans le rôle du père violent, ne tombe jamais dans la caricature ; son apparence séduisante et posée rend sa cruauté d'autant plus effrayante, rappelant à quel point la violence se cache souvent derrière un masque de normalité. Susannah Flood, dans le rôle de la mère alcoolique, incarne l'absence dans sa forme la plus destructrice : son silence, son refus de voir, sont presque aussi violents que les actes de son mari. Plus tard, Jim Belushi est une révélation dans le rôle de l'auteur Ken Kesey, dont le mentorat irrévérencieux offre à Lidia non pas le salut, mais un aperçu des possibilités, la reconnaissance que ses mots ont de l'importance. Et dans des apparitions brèves mais puissantes, Kim Gordon dans le rôle d'une dominatrice et Esmé Creed-Miles dans celui d'une amie qui guide, nous rappellent les nombreux personnages inattendus qui aident à tracer un chemin hors de l'obscurité.

Ce que Kristen Stewart accomplit en tant que cinéaste n'est pas seulement la représentation d'un traumatisme, mais son incarnation. La façon dont l'eau est utilisée tout au long du film – comme échappatoire, comme danger, comme renaissance – devient la métaphore unificatrice du film. La natation est à la fois le refuge de Lidia contre la violence de son père et l'arène dans laquelle elle est punie, mais l'image de l'eau persiste comme un lieu où elle peut se débarrasser du poids de son corps et devenir quelque chose qui dépasse le genre, qui dépasse la douleur. Les plans récurrents de sang dans l'eau, de corps submergés ou refaisant surface, ne sont jamais des symboles faciles. Ils constituent le vocabulaire visuel de la survie, la preuve que Lidia s'est à la fois perdue et retrouvée à travers ces rencontres élémentaires.

Ce qui est le plus remarquable, c'est que malgré la brutalité du sujet – abus sexuels, autodestruction, mort-né, relations ratées – le film ne donne jamais l'impression d'exploiter la situation. Kristen Stewart traite ce sujet sombre avec une retenue mature, laissant souvent la violence hors champ, mais laissant ses répercussions se faire sentir à travers le jeu de Imogen Poots et la conception sonore dissonante. Dans une scène particulièrement bouleversante, la jeune Lidia est assise dans une voiture tandis que sa sœur disparaît dans les bois avec leur père ; ils reviennent les mains vides, sans le sapin de Noël qu'ils étaient censés couper, et avec des yeux qui en disent long sans qu'un mot ne soit prononcé. C'est dans des moments comme celui-ci que le refus de Kristen Stewart de dramatiser révèle sa plus grande force : elle fait davantage confiance au silence et aux sous-entendus qu'au spectacle.

Par moments, The Chronology of Water risque de submerger son public. L'implacabilité de sa structure, le refus d'offrir une narration claire ou un répit, peuvent sembler épuisants, et certains trouveront peut-être que les voix off poétiques s'apparentent trop à des entrées de journal intime. Pourtant, cette intensité est le but recherché. Kristen Stewart ne réalise pas un film destiné à réconforter, mais à confronter. Elle nous met au défi de rester assis dans la turbulence, de ressentir le chaos de la mémoire qui refuse toute résolution nette. Ce faisant, elle livre un premier film plus proche du cinéma d'avant-garde que de la narration conventionnelle, faisant écho à des figures expérimentales comme Maya Deren ou les débuts de Gus Van Sant, tout en restant ancré dans l'immédiateté des propres mots de Yuknavitch.

Le dernier acte du film n'offre pas de catharsis facile, seulement une fragile suggestion de guérison. Lidia, marquée mais pas vaincue, commence à trouver sa voix d'écrivain, canalisant sa douleur dans un langage qui survivra à son corps. L'invitation finale du film – « Entrez. L'eau vous soutiendra » – s'adresse autant à nous qu'à Lidia elle-même. Kristen Stewart semble également s'exprimer à travers elle, annonçant que le cinéma peut contenir ces histoires, aussi fragmentées et brutes soient-elles, et leur donner une permanence.

Avec The Chronology of Water, Kristen Stewart a non seulement prouvé qu'elle n'avait pas peur de réaliser, mais aussi qu'elle était devenue une artiste dotée d'une vision formidable. Il ne s'agit pas d'un premier pas timide, mais d'un saut dans des eaux inconnues, désordonnées, imparfaites, mais néanmoins extraordinaires. Ancré dans la performance transformatrice d'Imogen Poots et façonné par le refus audacieux de Kristen Stewart de se conformer, le film s'impose comme l'un des débuts les plus audacieux de ces dernières années. Ce n'est pas un film facile à regarder, et il ne doit pas l'être. À l'instar des mémoires de Yuknavitch, il insiste sur le fait que la douleur, lorsqu'elle est exprimée et incarnée, peut devenir plus qu'une simple souffrance : elle peut devenir survie, art et, finalement, vérité.

The Chronolog Of Water 
Réalisé par Kristen Stewart
Écrit par Kristen Stewart, Andy Mingo
Basé sur La chronologie de l'eau de Lidia Yuknavitch
Produit par Ridley Scott, Charles Gillibert, Yulia Zayceva, Max Pavlov, Svetlana Punte, Michael Pruss, Rebecca Feuer, Kristen Stewart, Maggie McLean, Dylan Meyer, Andy Mingo
Avec Imogen Poots, Thora Birch, Earl Cave, Kim Gordon, Jim Belushi
Directeur de la photographie : Corey C. Waters
Montage : Olivia Neergaard-Holm
Sociétés de production : Scott Free Productions, Forma Pro Films, CG Cinéma, Nevermind Pictures, Fremantle, Curious Gremlin, Lorem Ipsum Entertainment, Scala Films
Distribution : Les Films du Losange (France)
Date de sortie : 16 mai 2025 (Cannes), 10 décembre 2025 (France)
Durée : 128 minutes

Vu le 12 septembre 2025 au Centre international de Deauville

Note de Mulder: