En transit

En transit
Titre original:En transit
Réalisateur:Jaclyn Bethany
Sortie:Vod
Durée:85 minutes
Date:Non communiquée
Note:
Dans une petite ville du Maine, une jeune serveuse sans passé accepte de poser pour une peintre en pleine crise existentielle venue se ressourcer dans le cadre d'un programme de résidence artistique. Cette rencontre inattendue va pousser les deux femmes à remettre en question leur vision du bonheur et de la vie.

Critique de Mulder

Au fond, In Transit de Jaclyn Bethany est un film qui réfléchit aux fragiles intersections entre la création, l'identité et les façons dont les êtres humains cherchent un sens à leur vie au milieu de la routine et d'un désespoir silencieux. Présenté en avant-première au Festival international du film d'Édimbourg 2025, le film est à la fois intime et universel, une méditation sur le pouvoir de l'art, qui change la vie mais est souvent imperceptible. Écrit par Alex Sarrigeorgiou, qui joue également le rôle principal, l'histoire se déroule dans une petite ville côtière du Maine où le rythme de la vie est dicté par le changement des saisons. C'est un endroit qui prospère grâce au tourisme estival, mais qui tombe dans le silence pendant les longs hivers stériles. C'est dans ce monde suspendu que se situe In Transit, dont la protagoniste, Lucy, est une barmaid dont l'existence est stable, prévisible et sans histoire, jusqu'à ce que l'arrivée d'un étranger vienne bouleverser son sentiment de permanence et lui poser des questions qu'elle ne peut plus éviter.

Lucy, interprétée avec une poignante sobriété par Alex Sarrigeorgiou, est une jeune femme qui, à première vue, semble satisfaite de sa vie insulaire. Elle travaille dans le bar que son père décédé avait aidé à ouvrir, où l'ancien associé de son père, interprété avec une sincérité terre-à-terre par Theodore Bouloukos, tient toujours salon. Elle partage son domicile avec son petit ami Tom, incarné avec sensibilité et profondeur émotionnelle par François Arnaud, dont le personnage aurait facilement pu être réduit à une simple note de bas de page dans le récit, mais qui résonne au contraire d'une honnêteté presque déchirante. Pourtant, sous la routine de Lucy – les mots croisés avec les clients, les soirées avec Tom – se cache une agitation latente. Elle commence à se demander si elle vit pleinement sa vie ou si elle se contente de la tolérer. Ce malaise discret s'amplifie avec l'arrivée d'Ilse, une peintre interprétée par la toujours magnétique Jennifer Ehle. Ilse est en panne d'inspiration et en quête de renouveau ; elle trouve en Lucy non seulement une muse, mais aussi un miroir inattendu.

La relation qui se noue entre Lucy et Ilse est à la fois stimulante et déstabilisante. La demande d'Ilse à Lucy de poser pour elle commence comme un arrangement professionnel, mais évolue rapidement vers un lien transformateur, rempli d'un désir inexprimé et de tensions subtiles. Au cours de leurs séances communes, Ilse redécouvre l'étincelle qu'elle craignait éteinte, tandis que Lucy éprouve, peut-être pour la première fois, le frisson d'être vraiment vue. Cette dynamique rappelle Portrait de la femme en feu de Céline Sciamma, mais là où le film de Sciamma adoptait une intensité grandiose et opératique, In Transit choisit un registre plus calme, presque minimaliste. La mise en scène sobre de Jaclyn Bethany, associée à des tons terreux discrets et à des compositions soignées, évite le dramatisme au profit d'un calme contemplatif qui reflète la stagnation émotionnelle des personnages. Parfois, cette retenue risque de créer une certaine aliénation ; la caméra observe Lucy avec détachement, créant une distance que certains spectateurs peuvent trouver trop froide. Pourtant, c'est précisément cette distance qui donne au film sa rigueur intellectuelle : il résiste à la sentimentalité facile, préférant s'appuyer sur les contradictions et les coûts de la découverte de soi.

Il est impossible de ne pas mentionner la manière dont In Transit aborde le rôle de l'art lui-même. « Je te regarde et je suis troublée par les attentes que j'ai envers mon travail et moi-même », avoue Ilse à un moment donné, une réplique qui résume le paradoxe de la création. Voir et être vu est à la fois un acte de connexion et de distorsion. Chaque regard est réfracté à travers le désir personnel, chaque portrait concerne autant l'artiste que le sujet. Cette tension est au cœur de l'histoire de Lucy et Ilse : leur collaboration produit de la beauté, mais la signification de cette beauté n'est pas partagée. Pour Lucy, le mannequinat est un éveil, un aperçu fugace d'un moi au-delà du bar, au-delà de Tom, au-delà de l'héritage de son père décédé. Pour Ilse, c'est un acte de survie artistique, une bouée de sauvetage pour sa propre carrière et son identité. Leurs réalités ne s'alignent pas, et les conséquences sont marquées par une douleur silencieuse qui persiste longtemps après le dernier plan.

Pourtant, ce qui empêche le film de sombrer dans l'abstraction, ce sont les performances des acteurs. Jennifer Ehle apporte à Ilse un mélange de charme, de vulnérabilité et d'audace, une femme à la fois nourricière et profondément perturbée. Alex Sarrigeorgiou, dans le rôle de Lucy, excelle à transmettre les changements à peine perceptibles d'une personne qui prend conscience de son insatisfaction, même lorsqu'elle ne parvient pas à l'exprimer. La véritable surprise, cependant, vient de François Arnaud dans le rôle de Tom. Souvent relégué au second plan dans ce type de récit, Tom s'impose comme le personnage le plus émouvant du film. Son amour pour Lucy est évident, sa douleur lorsqu'il sent son détachement est palpable. Ironiquement, il devient le point d'entrée le plus humain pour le public, ancrant les couches cérébrales du film dans une émotion brute.

L'atmosphère du film est amplifiée par la musique mélancolique au piano de Juan Pablo Daranas Molina, qui souligne à la fois la morosité de l'hiver dans le Maine et les tendres éclats d'intimité entre Lucy et Ilse. La musique devient ici une autre forme de portrait, évoquant la mélancolie d'un paysage et l'agitation des cœurs qui y sont prisonniers. Elle reflète la dualité au cœur de In Transit : la beauté qui émerge de l'isolement, la passion qui vacille dans le silence.

In Transit n'est pas un film qui cherche à résoudre les questions existentielles qu'il soulève. Comme l'écrit Alex Sarrigeorgiou elle-même dans sa déclaration, il pose les questions suivantes : « Qu'est-ce qui fait une bonne vie ? Sommes-nous censés aspirer à la grandeur ou simplement profiter du temps qui nous est imparti ? » Ce sont là des questions qui hantent Lucy, Ilse et même Tom, mais aucune réponse définitive n'est apportée. La force du film réside précisément dans cette ambiguïté, dans sa reconnaissance que l'art et la vie sont des processus en mouvement, désordonnés, insolubles et éternellement « en transit ». Le récit peut laisser certains spectateurs sur leur faim en termes d'émotion immédiate, mais il réussit à explorer les coûts et les bienfaits de la création, les collisions entre routine et passion, et la façon dont même les plus petites rencontres peuvent modifier notre perception de nous-mêmes. C'est un film qui touche l'esprit, suscite la réflexion et laisse son public tranquillement troublé, à l'image des vies qu'il dépeint avec tant de délicatesse.

En transit
Réalisé par Jaclyn Bethany
Écrit par Alex Sarrigeorgiou
Produit par Jaclyn Bethany, C.C. Kellog, Alex Sarrigeorgiou, Sarah Keyes, Tara Sheffer
Avec Alex Sarrigeorgiou, François Arnaud, Jennifer Ehle
Directeur de la photographie : Sam Tetro
Montage : Shannon C. Griffin
Musique : Juampa
Sociétés de production : Valmora Productions, BKE Productions, Little Language Films, Good Question Media
Date de sortie : 17 août 2025 (Édimbourg)
Durée : 85 minutes

Vu le 8 septembre 2025 au Centre international de Deauville

Note de Mulder: