Titre original: | I Live Here Now |
Réalisateur: | Julie Pacino |
Sortie: | Vod |
Durée: | 91 minutes |
Date: | Non communiquée |
Note: |
Avec I Live Here Now, Julie Pacino signe un premier long métrage qui s'éloigne du cinéma conventionnel pour se rapprocher davantage d'un rêve fiévreux griffonné à la lumière des néons. Présenté en avant-première au Festival international de films Fantasia, le film s'impose d'emblée comme un psychodrame audacieux et troublant, qui canalise le surréalisme désorientant de David Lynch et l'horreur opératique de Dario Argento tout en trouvant une voix personnelle distincte. Au cœur du film, Lucy Fry offre une performance qui ancrent le chaos dans l'humanité, incarnant Rose, une actrice en difficulté dont l'identité se brise sous le poids d'un traumatisme, de la misogynie et d'une grossesse non désirée qui aurait dû être impossible. Ce qui se déroule n'est pas seulement une histoire de survie, mais une confrontation hallucinatoire avec les fantômes de son propre corps et de son histoire.
Dès les premières scènes à Los Angeles, Julie Pacino établit un contraste entre le glamour ensoleillé de l'ambition hollywoodienne et les dessous corrosifs de cette industrie. L'audition de Rose, supervisée par l'agent Cindy (une Cara Seymour perspicace et calculatrice), lui impose de perdre trois kilos en quatre jours, un rappel grotesque des exigences déshumanisantes imposées aux actrices. Cette séquence, baignée dans des tons bleus froids après une scène d'amour aux teintes dorées avec son petit ami Travis (joué avec une aisance mielleuse par le comédien Matt Rife), capture la dichotomie entre aspiration et exploitation. La découverte de sa grossesse, malgré une opération traumatisante subie dans son enfance qui était censée la rendre stérile, brise tout semblant de stabilité. Et lorsque Martha (Sheryl Lee, toujours aussi magnétique), la mère dominatrice de Travis, entre en scène et insiste pour contrôler le corps et les choix de Rose, le récit bascule complètement dans le cauchemar.
C'est toutefois au Crown Inn que I Live Here Now se cristallise en quelque chose d'unique et d'obsédant. Le motel est moins un lieu qu'une manifestation de la psyché fracturée de Rose, peint dans des tons roses oppressants et rouges violents, avec des chambres qui ressemblent à des pièges déguisés en sanctuaires. C'est là qu'elle rencontre Sid (jouée avec une innocence inquiétante par Sarah Rich), Ada (la propriétaire blasée et alcoolique incarnée par Lara Clear) et Lillian (une Madeline Brewer sauvage et espiègle), qui apparaissent moins comme des personnages distincts que comme des fragments déformés de la personnalité de Rose. Les interactions entre Rose et Lillian, en particulier, dégagent un magnétisme dangereux : deux femmes qui tournent l'une autour de l'autre comme un prédateur et sa proie, ou peut-être comme des images miroir de la rage et du désir. La conception artistique de Lucie Brooks Butler et Hannah Lawson est d'une extravagance saisissante, transformant chaque couloir en un utérus métaphorique, chaque lumière vacillante en un symptôme de l'effondrement intérieur de Rose.
Ce qui frappe le plus dans les débuts de Julie Pacino, c'est la façon dont elle utilise le style comme une arme pour explorer la psychologie. Les couleurs saturées et la mise en scène surréaliste ne sont pas une décoration, mais le langage même de la déchéance de Rose, chaque changement de palette reflétant l'évolution de son état d'esprit. Lorsque Rose découvre des brûlures de cigarette cachées derrière l'armoire ou regarde Lillian avaler du verre avec un calme déconcertant, l'imagerie fonctionne moins comme un choc que comme une allégorie : les pulsions autodestructrices que les femmes intériorisent lorsque la société les prive de leur autonomie. Même le motif récurrent des couronnes, que l'on retrouve dans les croquis de Rose et qui fait écho à la décoration de l'auberge, oscille entre l'émancipation et l'oppression, symbolisant à la fois la souveraineté et les attentes étouffantes de la féminité.
La performance de Lucy Fry ne peut être surestimée. Elle incarne Rose non pas comme une victime, mais comme une femme qui se fraye un chemin à travers les couches d'une identité imposée. Sa fragilité est contrebalancée par une force sauvage sous-jacente, et lorsque le film lui accorde enfin un moment de rédemption, cela ressemble moins à un triomphe qu'à une renaissance par le feu. Face à elle, Madeline Brewer s'épanouit dans le rôle d'une figure diabolique, insufflant à l'histoire à la fois menace et séduction. Sheryl Lee, à jamais liée à la mythologie de David Lynch en tant que Laura Palmer, savoure l'opportunité de jouer le monstre plutôt que la victime, son venin matriarcal imprégnant chaque scène. Même Matt Rife, mieux connu pour ses rôles comiques, se glisse avec une précision surprenante dans le rôle d'un homme-enfant émasculé, incarnant le type de partenaire faible dont chaque action est dictée par le contrôle de sa mère.
Il est indéniable que I Live Here Now frôle parfois l'excès. Sa logique onirique peut devenir répétitive, son symbolisme parfois écrasant, comme si Julie Pacino avait voulu verser toutes ses idées sur le traumatisme et la féminité dans une seule toile. Pourtant, cette qualité très chargée semble indissociable de la puissance du film. L'esprit de Rose est surchargé, son corps colonisé par les attentes des autres, et le refus du film de se réduire reflète cet état suffocant. Les échos de The Yellow Wallpaper de Charlotte Perkins Gilman sont indéniables, car l'enfermement de Rose devient à la fois littéral et psychologique.
Ce qui reste longtemps après le générique, cependant, ce n'est pas seulement l'horreur, mais la nature profondément personnelle du récit de Julie Pacino. La fille d'Al Pacino aurait pu facilement s'appuyer sur son nom de famille, mais elle a plutôt réalisé un film qui lui appartient pleinement, débordant de risques, de douleur et de sincérité. En tournant en 35 mm et 16 mm avec le directeur de la photographie Aron Meinhardt, elle imprègne le film d'une richesse tactile qui plonge les spectateurs dans la conscience labyrinthique de Rose. Le résultat n'est pas un premier film parfait, mais un film d'une rare audace, qui invite les spectateurs à interpréter, à résister et même à discuter de sa signification.
I Live Here Now est moins une histoire linéaire qu'une sensation d'être piégée – piégée dans un corps qui semble étranger, dans un monde qui exige une perfection impossible, dans une société qui revendique la propriété des choix des femmes. Le parcours de Rose est une descente dans cet enfer, mais aussi une émergence de celui-ci, meurtrie mais souveraine. Pour certains, le film peut sembler impénétrable, voire complaisant, mais pour ceux qui sont prêts à se laisser emporter par ses rythmes surréalistes, il offre une exploration brûlante de l'identité féminine, aussi exaltante que troublante. Avec Julie Pacino, le cinéma a trouvé une nouvelle voix intrépide, et avec Lucy Fry, une actrice qui a livré l'une des performances les plus convaincantes de sa carrière. Ensemble, elles ont créé un cauchemar qui vaut la peine d'être vécu.
I Live Here Now
Écrit et réalisé par Julie Pacino
Produit par Kyle Kaminsky, Julie Pacino
Avec Lucy Fry, Madeline Brewer, Matt Rife, Sheryl Lee
Directeur de la photographie : Aron Meinhardt
Montage : Mátyás Fekete, Raaghav Minocha
Musique : Jackson Greenberg, Pam Autuori
Sociétés de production : Punch Once, Tiny Apples, Artak Pictures
Distribué par Utopia
Date de sortie : 24 juillet 2025 (Fantasia)
Durée : 91 minutes
Vu le 9 septembre 2025 au Centre international de Deauville
Note de Mulder: