Titre original: | Five |
Réalisateur: | Dani Barker |
Sortie: | Vod |
Durée: | 81 minutes |
Date: | Non communiquée |
Note: |
Five est l’un de ces films de genre rares et précieux qui réussissent à jongler avec plusieurs registres sans jamais perdre leur équilibre. Sous la direction de Dani Barker, qui signe également le scénario aux côtés de Erin Boyes et Mike Hassan, ce long-métrage se présente comme une comédie horrifique autour de la possession démoniaque, mais il s’impose rapidement comme une œuvre beaucoup plus riche et complexe. Derrière son intrigue volontairement absurde – une actrice déchue, Teagan Vincze dans le rôle de Melody Palmer, accepte un rôle insignifiant dans une romance à la Hallmark et se retrouve possédée par une entité maléfique – se cache une satire féroce de l’industrie hollywoodienne. Le film parvient à conjuguer humour grotesque, frissons et critique sociale, transformant ce qui aurait pu être une farce légère en une œuvre dérangeante, intelligente et profondément révélatrice des travers d’un milieu qui n’hésite jamais à broyer ses propres idoles.
Le récit s’ouvre sur une Melody Palmer au plus bas, tentant désespérément de retrouver une légitimité après une série d’échecs publics et une cure de désintoxication médiatisée. Le rôle qu’elle décroche dans Renovated Romance, une production sirupeuse et sans relief, représente pour elle une dernière planche de salut. Pourtant, l’ambiance sur le plateau s’avère rapidement toxique, chaque membre de l’équipe étant absorbé par ses propres travers. Donna Benedicto incarne Lala, la compagne de sobriété de Melody, qui profite de sa position pour décrocher un petit rôle qu’elle sabote sans cesse. Sean Depner campe Mark, partenaire de jeu alcoolique et arrogant, figure type du macho hollywoodien insupportable. À cela s’ajoutent la réalisatrice débordée incarnée par Lauren McGibbon, et Georgia Bradner dans le rôle de Regina, plus intéressée par la chasse au scandale que par son travail de making-of. Ce microcosme étouffant suffit à faire exploser n’importe quelle production, et l’irruption du surnaturel – via une cabane maudite et un démon baptisé Five – ne fait qu’aggraver ce climat déjà délétère, donnant à l’intrigue une logique presque inévitable : quand tout est déjà pourri, la possession devient la conséquence naturelle d’un désastre en gestation.
L’horreur et la comédie s’entrelacent sans cesse, et c’est dans cette dualité que le film tire sa force. Dani Barker apparaît elle-même dans un caméo comique, aux côtés d’Amelia Burstyn, incarnant des animatrices survoltées d’une chaîne YouTube paranormale appelée Parawormhole. Ces séquences viennent souligner la manière dont notre époque consomme le surnaturel comme un divertissement de masse, tout en ajoutant une touche d’ironie mordante. Barker joue aussi avec les codes visuels : la lumière pastel et les cadres lisses des romances télévisuelles cèdent brutalement la place à une imagerie crasseuse et organique, saturée de fluides corporels et de chair en décomposition. Les références à The Evil Dead de Sam Raimi et à L’Exorciste de William Friedkin sont évidentes, mais l’inspiration ne se transforme jamais en simple pastiche. Au contraire, cette alternance crée une expérience singulière, où l’on passe du rire au malaise, de la parodie sucrée à l’horreur la plus viscérale, dans un va-et-vient qui traduit la proximité troublante entre le rêve fabriqué du cinéma et les cauchemars bien réels de ses coulisses.
Le pivot de ce chaos reste la performance magistrale de Teagan Vincze, qui livre une incarnation sans compromis de Melody. Rarement une actrice aura accepté d’aller aussi loin dans le grotesque et la déchéance physique : vomissures, pustules, chants démoniaques, rien ne lui est épargné. Mais derrière la monstruosité, Vincze conserve une humanité bouleversante. On perçoit la douleur d’une femme qui se noie, trahie par un système qui préfère réduire ses souffrances à un caprice de star ou à une rechute personnelle plutôt que d’affronter la vérité. La possession devient alors une métaphore cruelle et limpide : Hollywood vampirise ses talents féminins, les utilise jusqu’à l’épuisement, puis les jette lorsqu’elles cessent d’incarner l’image parfaite que l’on attend d’elles. Dans ce contexte, l’indifférence des collègues de Melody, plus préoccupés par leurs égos que par son calvaire, fait encore plus froid dans le dos que les hurlements démoniaques. C’est cette profondeur émotionnelle qui fait de Five un film plus poignant qu’il n’y paraît, capable de transcender ses excès pour toucher à quelque chose d’universel.
À mesure que le récit avance, la comédie laisse place à une noirceur tragique qui ne s’embarrasse pas de consolation. La structure du film, découpée en « jours » de production, souligne l’épuisement d’un tournage sans fin, et plonge le spectateur dans une boucle infernale qui reflète celle vécue par Melody. Le final, sans offrir de rédemption ni de véritable délivrance, confirme l’audace de Dani Barker : refuser la catharsis, laisser le public sur une note ambiguë, sombre, presque désespérante. C’est précisément ce choix qui donne au film son impact durable. Five ne cherche pas à apaiser, mais à marquer les esprits, en exposant sans détour la brutalité de l’industrie du spectacle et la fragilité de celles et ceux qu’elle broie. C’est une œuvre qui amuse, choque, dégoûte parfois, mais qui surtout invite à réfléchir. En fin de compte, à l’image de la cabane maudite qui constitue son cœur, Five attire le spectateur avec l’apparence familière d’un récit balisé, avant de l’enfermer dans un cauchemar grotesque et révélateur, qui hante longtemps après la dernière image.
Five
Écrit par Dani Barker, Erin Boyes, Mike Hassan
Produit par Dani Barker, Erin Boyes, Amelia Burstyn
Avec Teagan Vincze, Sean Depner, Donna Benedicto, Giles Panton, Karen Holness, Georgia Bradner, Dani Barker, Maia Michaels, Lauren McGibbon, Amelia Burstyn, Melanie Rees, Broadus Mattison, Shaira Boucher, Emma Cherris, Nico Field-Dyte, Marielle Gentile
Directeur de la photographie : Corey MacGregor
Montage : Scott Belyea
Musique : Harvey Davis
Sociétés de production : Double Feature Productions, Tall Pines Entertainment
Distribué par NC
Dates de sortie : NC
Durée : 81 minutes
Vu le 23 août 2025 (Frightfest press screener)
Note de Mulder: