
| Titre original: | Odyssey |
| Réalisateur: | Gerard Johnson |
| Sortie: | Vod |
| Durée: | 110 minutes |
| Date: | Non communiquée |
| Note: |
Gerard Johnson s'est forgé une réputation en réalisant des films qui s'intéressent moins au glamour du crime qu'aux personnes qui vivent en marge de celui-ci. Avec Odyssey, présenté en avant-première au SXSW Film Festival 2025 et à Frightfest London 2025, il tourne son objectif vers un secteur que la plupart des spectateurs associent davantage à des émissions de téléréalité glamour comme Selling Sunset qu'au danger et à la décadence morale : l'immobilier. Le résultat est un film à la fois dérangeant et unique, le portrait tendu d'une femme dont l'ambition professionnelle et les défauts personnels la mènent tout droit dans les griffes de la pègre londonienne. Au cœur de l'intrigue se trouve Polly Maberly, qui livre ici peut-être la performance de sa carrière dans le rôle de Natasha Flynn, une agente immobilière brillante mais désastreuse dont l'ambition implacable causera sa perte.
Dès la première scène, Odyssey refuse d'édulcorer la vie de Natasha. Nous la rencontrons en pleine déconfiture, incapable de payer son rendez-vous chez le dentiste, un problème apparemment mineur qui va se transformer en une semaine d'enfer. C'est un procédé narratif astucieux, qui nous montre que le château de cartes financier de Natasha est déjà en train de s'effondrer bien avant l'arrivée des usuriers et des enlèvements. Polly Maberly l'incarne avec une intensité extraordinaire, ne laissant aucun répit au public. Natasha est toujours au téléphone, donnant des ordres, vendant des appartements moyens avec une précision magistrale et démolissant ses collègues, comme Dylan Rose, incarnée par Jasmine Blackborow, la nouvelle recrue naïve qui se rend rapidement compte à quel point sa patronne est impitoyable. Au début du film, Natasha laisse Dylan prendre les rênes d'une visite, pour ensuite la regarder trébucher avec délectation avant de revenir conclure la vente avec une efficacité redoutable. C'est un moment qui définit parfaitement son personnage : manipulatrice, vive d'esprit et absolument refusant de laisser le succès de quelqu'un d'autre éclipser le sien.
Mais sous cette apparence d'acier se cache un chaos à peine contenu. Natasha a des dettes partout : chez le dentiste, au restaurant et, plus dangereux encore, auprès de prêteurs criminels bien moins indulgents que des propriétaires agacés. Gerard Johnson et le co-scénariste Austin Collings comprennent que le désespoir est souvent plus terrifiant que la malveillance. Natasha n'est pas une gangster endurcie ni une femme fatale ; c'est une femme dont la dépendance à la cocaïne, à l'alcool et à l'illusion du succès la pousse à prendre des décisions de plus en plus imprudentes. Elle n'est pas attirée par le crime par goût du frisson ou par cupidité, mais plutôt comme un moyen de préserver son fragile empire. La voir se tortiller constamment pour éviter de payer, notamment lorsqu'elle pique une crise dans un restaurant pour ne pas régler l'addition, suscite à la fois de la frustration et une admiration perverse. Comme les meilleurs anti-héros, Natasha est magnétique précisément parce qu'elle est terrible.
Les comparaisons avec l'œuvre des frères Safdie, en particulier Uncut Gems, sont inévitables, et non sans raison. Comme Howard Ratner, Natasha est quelqu'un qui ne peut s'empêcher de s'enfoncer davantage, convaincue qu'elle peut parler, manœuvrer et survivre à tous ceux qui se dressent sur son chemin. Le directeur de la photographie Korsshan Schlauer s'appuie sur cela avec un style frénétique qui nous plonge dans l'esprit de Natasha, en train de s'effondrer. Les plans à la main et les bords déformés du cadre brouillent notre vision, nous obligeant à partager sa vision tunnel alors que le monde s'écroule autour d'elle. Londres n'est pas présentée comme une capitale digne d'une carte postale, mais comme une ville aux bureaux claustrophobes, aux ruelles éclairées par des néons et aux bars ouverts tard le soir où la survie s'achète à crédit. Cette claustrophobie visuelle reflète l'état mental de Natasha, donnant au film un rythme qui semble constamment au bord de l'arrêt cardiaque.
Pourtant, Odyssey est plus qu'un simple voyage angoissant. C'est aussi un commentaire acéré sur les dynamiques de genre dans un secteur impitoyable. Les interactions de Natasha avec des hommes comme Dan, interprété par Guy Burnet, ou le mystérieux homme de main connu sous le nom de The Viking, joué avec une menace silencieuse par Mikael Persbrandt, mettent en évidence la misogynie subtile et moins subtile à laquelle elle doit faire face. Qu'il s'agisse d'un geste intrusif lors d'une conversation professionnelle ou de remarques désobligeantes de la part de ses propres employés, Natasha est constamment rappelée à sa condition de femme, qui la rend inférieure aux yeux de son entourage. Il ne s'agit pas ici d'un récit classique sur une femme qui passe de la misère à la richesse en brisant le plafond de verre, mais plutôt de ce qui se passe lorsque ce plafond s'écroule sur elle, anéantissant toute illusion de contrôle.
Le scénario prend toutefois soin de ne pas présenter Natasha comme une victime. Ses manipulations, ses mensonges et ses abus de pouvoir sont tout autant responsables de sa chute que la misogynie systémique à laquelle elle est confrontée. L'un des aspects les plus troublants du film est la facilité avec laquelle l'éthique professionnelle est bafouée dans l'immobilier, un secteur où vendre des appartements calmes signifie souvent organiser les visites lorsque les voisins bruyants sont absents. Gerard Johnson utilise ces astuces bien connues pour mettre en évidence la décadence morale de Natasha. Lorsqu'elle apprend à Dylan ces techniques de manipulation, l'horreur ne vient pas de l'intrusion du monde criminel, mais de la prise de conscience que Natasha a toujours fonctionné ainsi.
Au fur et à mesure que l'histoire se déroule, les enjeux s'intensifient, passant de factures impayées et d'appels évasifs à des enlèvements et des ultimatums violents. Les usuriers qui hantent la semaine de Natasha la poussent dans des situations qui frôlent la criminalité pure et simple, et le troisième acte du film passe à la vitesse supérieure, s'aventurant dans un territoire plus ouvertement violent, proche du thriller d'action. Ici, la tension accumulée depuis le début finit par éclater, se libérant dans des explosions de sang et de brutalité. Si ce changement de ton fait l'unanimité, il divise le public, mais il confirme indéniablement qu'Odyssey est un film qui ne veut pas offrir aux spectateurs une résolution sûre et bien ficelée. La libération finale de Natasha, tant physique qu'émotionnelle, nous laisse aussi épuisés que cathartisés.
Malgré toute sa noirceur, ce qui rend Odyssey remarquable, c'est la performance de Polly Maberly. Elle incarne Natasha avec une telle précision que le personnage devient à la fois exaspérant et hypnotique. Polly Maberly projette une confiance extérieure tout en laissant entrevoir l'épuisement et la peur qui rongent Natasha au plus profond d'elle-même. Sa capacité à équilibrer ces contradictions – arrogance et désespoir, cruauté et vulnérabilité – rend le personnage infiniment fascinant. C'est un rôle rare pour une femme dans le cinéma policier, généralement réservé à des protagonistes masculins arrogants, et Polly Maberly le saisit avec un engagement total. Il n'est pas exagéré de dire que sa performance est l'une des plus mémorables du SXSW de cette année.
Odyssey n'est pas seulement un thriller, mais aussi un récit édifiant sur le prix de la survie dans un monde qui vend le succès comme une réussite individuelle tout en ignorant le réseau de dettes, de mensonges et de compromis qui le soutient. Il pose la question de savoir si l'ambition sans limites n'est qu'une autre forme d'autodestruction. Et bien qu'il emprunte des chemins connus, Gerard Johnson lui insuffle suffisamment de style, de commentaires sociaux et d'émotion brute pour le distinguer des autres. Malgré toute sa crasse et sa cruauté, le film est impossible à quitter des yeux, une descente hypnotique dans le chaos d'une femme qui croyait pouvoir déjouer le monde jusqu'à ce que celui-ci la rattrape.
Odyssey
Réalisé par Gerard Johnson
Écrit par Austin Collings, Gerard Johnson
Produit par Isabel Freer, Jamie Harvey, John Jencks, Patrick Tolan, Matthew James Wilkinson
Avec Rebecca Calder, Tom Davis, Mikael Persbrandt, Peter Ferdinando
Directeur de la photographie : Korsshan Schlauer
Montage : Ian Davies
Musique : Matt Johnson
Sociétés de production : The Electric Shadow Company, Stigma Films
Distribué par NC
Dates de sortie : NC
Durée : 110 minutes
Vu le 23 août 2025 (Frightfest press screener)
Note de Mulder: