Titre original: | Heldin |
Réalisateur: | Petra Biondina Volpe |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 92 minutes |
Date: | 27 août 2025 |
Note: |
Dès les premières images, En première ligne (Heldin) montre clairement qu'il ne s'agit pas ici de glorifier ou de dramatiser le milieu hospitalier comme le font souvent les séries télévisées, mais de le présenter avec un réalisme viscéral qui frôle le documentaire. Le film commence par des rangées de blouses d'hôpital avançant mécaniquement dans le système de blanchisserie, une image apparemment banale mais étonnamment symbolique : un rappel que derrière la façade d'un ordre stérile se cache l'effort humain incessant qui permet au système de fonctionner. Réalisé et écrit par Petra Biondina Volpe, le film est conçu moins comme un simple drame médical que comme un acte cinématographique d'empathie. Son ambition est de plonger le spectateur dans le rythme épuisant et stressant d'une seule équipe en sous-effectif et, ce faisant, de souligner la fragilité d'une profession qui a longtemps été considérée comme acquise. Il ne s'agit pas ici d'une histoire de médecins effectuant des opérations héroïques ou de patients guéris par miracle, mais du quotidien d'une infirmière qui doit garder son sang-froid et sa compassion alors même que le système autour d'elle s'effondre sous la pression.
Au cœur de cette expérience se trouve Floria, interprétée avec une maîtrise et une humanité stupéfiantes par Leonie Benesch, une actrice qui a déjà démontré sa remarquable capacité à canaliser la pression institutionnelle dans des films comme La salle des profs et 5 Septembre. Ici, elle porte presque à elle seule tout le récit, sa présence ancrant chaque scène. Floria commence son service de nuit avec un optimisme tranquille, enfilant ses nouvelles baskets et échangeant quelques mots aimables avec sa collègue Bea (jouée par Sonja Riesen), mais très vite, les fissures dans sa routine commencent à apparaître. Lorsqu'un collègue se fait appeler malade, elle se retrouve seule avec Bea et une étudiante infirmière nerveuse pour s'occuper de vingt-six patients. La caméra de Judith Kaufmann la suit sans relâche dans les couloirs, les salles et les escaliers, ne laissant aucun répit au spectateur. Ce mouvement constant reflète la réalité étouffante de la vie à l'hôpital, où les interruptions s'enchaînent et où une seule erreur peut s'avérer fatale. Le montage de Hansjörg Weissbrich, précis et implacable, accentue ce sentiment de claustrophobie, évoquant le tic-tac du temps qui s'écoule comme un moniteur cardiaque sur le point de s'arrêter.
Chacun des patients que Floria rencontre révèle une facette différente des défis émotionnels et logistiques de sa profession. Il y a M. Leu, interprété avec une vulnérabilité subtile par Urs Bihler, qui attend dans l'angoisse les résultats d'examens que les médecins débordés ne peuvent pas encore lui communiquer ; Mme Bilgin, incarnée par Eva Fredholm, dont l'état est aggravé par l'anxiété suffocante de ses fils adultes ; Mme Morina, interprétée par Lale Yavas, qui se demande avec angoisse si elle doit poursuivre son traitement et incarne ainsi les cruels dilemmes de l'oncologie moderne ; M. Song, incarné par Jeremia Chung, dont l'allergie potentiellement mortelle pourrait facilement être négligée dans le chaos ; et enfin M. Severin, joué avec une exaspérante arrogance par Jürg Plüss, qui insiste pour que ses demandes en tant que patient privé soient traitées en priorité, quel que soit le risque pour les autres. Ces personnages ne sont pas écrits comme des caricatures, mais comme des portraits douloureusement reconnaissables de besoins humains réels, chacun exigeant non seulement une assistance médicale, mais aussi une présence émotionnelle. Le rôle de Floria ne se limite donc pas à administrer des médicaments ou à ajuster des perfusions, mais consiste à occuper des dizaines d'espaces émotionnels en l'espace d'une seule nuit : soignante, confidente, défenseuse et, parfois, paratonnerre pour les frustrations.
Ce qui rend En première ligne (Heldin) si émouvant, c'est l'authenticité avec laquelle Leonie Benesch incarne ce rôle. Pour se préparer, elle a effectué un stage dans un hôpital suisse, où elle a appris à effectuer tous les gestes techniques avec aisance, et cette préparation minutieuse transparaît dans son jeu. Le stress ne s'exprime pas par de grandes crises émotionnelles, mais par le resserrement silencieux de son corps, par une hésitation fugace avant d'entrer dans la chambre d'un patient ou par des soupirs à peine réprimés lorsqu'une nouvelle alarme retentit. Il y a une scène particulièrement révélatrice où elle vole quelques secondes de solitude dans un ascenseur, son visage laissant enfin transparaître le désespoir qu'elle cache à ses patients. Ces moments d'intimité rappellent au public que derrière le masque professionnel se cache un être humain tout aussi vulnérable, fatigué et en besoin d'attention que les personnes qu'elle soigne. Lorsqu'elle finit par s'en prendre au patient arrogant joué par Jürg Plüss, ce n'est pas un moment mélodramatique, mais le point de rupture inévitable d'une personne qui a enduré l'impossible pendant trop longtemps.
Les éléments techniques du film renforcent encore son pouvoir immersif. La bande originale d'Emilie Levienaise-Farrouch pulse comme un métronome, alternant entre des pizzicatos inquiétants et des cordes gonflées qui font écho à la fois au tic-tac d'une horloge et aux battements d'un cœur anxieux. La conception artistique de Beatrice Schulz, qui a ressuscité un hôpital désaffecté pour en faire un environnement convaincant, atteint l'équilibre parfait entre réalisme fonctionnel et tension cinématographique. Par ailleurs, le choix de Petra Biondina Volpe de faire appel non seulement à des acteurs professionnels, mais aussi à des amateurs et à du personnel médical réel confère au film une authenticité rarement vue dans les récits fictifs sur le secteur de la santé. Chaque détail, de l'éclairage fluorescent à la chorégraphie précipitée du personnel qui se croise dans des couloirs exigus, contribue à créer une immersion à la fois épuisante et révélatrice.
Au-delà de son impact immédiat, En première ligne (Heldin) est une critique sociale acerbe. Comme le soulignent les documents de presse, la Suisse est au bord d'une pénurie catastrophique d'infirmières, avec des estimations suggérant qu'il en manquera 40 000 d'ici 2040 . Cette crise ne se limite pas à la Suisse : l'Organisation mondiale de la santé prévoit un déficit mondial de 13 millions d'infirmières d'ici 2030. En dramatisant une seule garde, le film traduit ces chiffres abstraits en quelque chose de personnel et d'urgent. Il met en évidence comment la négligence systémique – coupes budgétaires, sous-effectifs et sous-évaluation d'une profession dominée par les femmes – crée une réalité où l'épuisement et les erreurs deviennent inévitables. En présentant cette question comme un enjeu à la fois humanitaire et féministe, Petra Biondina Volpe démontre le pouvoir politique du cinéma pour nous rappeler que la lutte pour des conditions équitables dans le secteur infirmier n'est pas seulement l'affaire des professionnels de santé, mais une responsabilité de la société tout entière. Après tout, tôt ou tard, nous sommes tous des patients.
Dans ses derniers instants, le film nous laisse une image indélébile : Floria, toujours en blouse, prenant le bus pour rentrer chez elle à l'aube, le corps épuisé, mais le visage ne trahissant qu'un fragile calme. Entre le début et la fin de son service, elle a sauvé des vies, enduré une pression insupportable et révélé à la fois les limites et la grandeur de sa profession. Leonie Benesch livre une performance qui la transforme en symbole universel des soignants du monde entier, non pas parce qu'elle est parfaite, mais parce qu'elle est humaine, faillible et toujours déterminée à continuer de prendre soin des autres. Petra Biondina Volpe, dont les précédents films, tels que Les conquérantes, témoignaient déjà de son engagement envers les questions sociales, signe ici ce qui est sans doute son film le plus viscéral et le plus urgent. Petra Biondina Volpe n'est pas seulement un film captivant, mais aussi un rappel profondément nécessaire du travail invisible qui soutient nos sociétés. Il est épuisant à regarder, mais impossible à détourner, précisément parce qu'il reflète une vérité que nous ne pouvons pas nous permettre d'ignorer. En rendant hommage à ceux qui sont trop souvent relégués à l'arrière-plan, le film apparaît non seulement comme une œuvre d'art, mais aussi comme un acte de reconnaissance et de gratitude.
En première ligne (Heldin)
Écrit et réalisé par Petra Biondina Volpe
Produit par Reto Schaerli, Lukas Hobi
Avec Leonie Benesch, Sonja Riesen, Alireza Bayram, Selma Jamal Aldin, Urs Bihler, Margherita Schoch, Albana Agaj, Ridvan Murati, Urbain Guiguemdé, Elisabeth Rolli, Doris Schefer, Jürg Plüss, Jeremia Chung, Eva Fredholm, Andreas Beutler, Lale Yavas, Dominique Lendi
Musique : Emilie Levienaise-Farrouch
Directrice de la photographie : Judith Kaufmann
Montage : Hansjörg Weissbrich
Sociétés de production : Zodiac Pictures, Bastie Griese
Distribution : Wild Bunch Distribution (France)
Date de sortie : 27 août 2025 (France)
Durée : 92 minutes
Vu le 23 août 2025 (screener presse)
Note de Mulder: