Titre original: | Dracula: A Love Tale |
Réalisateur: | Luc Besson |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 129 minutes |
Date: | 30 juillet 2025 |
Note: |
Dracula s’impose comme un projet aussi ambitieux qu’ambivalent dans la filmographie de Luc Besson, oscillant entre flamboyance baroque et recyclage nostalgique d’un mythe universel. Revisitant l’œuvre emblématique de Bram Stoker avec l’intention assumée de la débarrasser de sa dimension strictement horrifique pour la recontextualiser dans une fresque romantique, le réalisateur propose une adaptation visuellement somptueuse, mais à la tonalité parfois inégale. En s’associant une nouvelle fois à l’acteur Caleb Landry Jones, après Dogman, Luc Besson transforme Dracula en un dandy tragique, éthéré, un esthète damné condamné à errer à travers les siècles, dans l’unique espoir de retrouver son amour perdu. Le point de départ est connu : un prince du XVe siècle trahi par Dieu, condamné à l’éternité. Mais c’est bien la forme, l’esthétique et l’émotion qu’en tire Luc Besson qui donnent à ce Dracula: A Love Tale son identité propre – une vision où les symboles religieux, les décors gothiques et les amours impossibles dansent dans un tourbillon sensoriel.
Dès les premières scènes, Luc Besson place son récit à la croisée des genres : film historique, romance ésotérique. Il convoque les fastes de la fin du XIXe siècle, entre Paris, Bagdad et l’Inde, dans une succession de tableaux qui convoquent aussi bien l’opéra que les fresques de Francis Ford Coppola. Mais contrairement au cinéaste américain, qui avait fait de Bram Stoker’s Dracula un chef-d’œuvre à la fois sensuel et baroque, Luc Besson prend un virage plus épuré sur le fond, même si la forme est d’une opulence remarquable. La direction artistique signée Hugues Tissandier offre des décors tantôt grandioses, tantôt oniriques, comme le château baroque de Dracula, ou les scènes tournées à l’Hôtel de la Marine, reconstituées avec une minutie impressionnante. Le film s’autorise même une reconstitution en studio d’une fête foraine parisienne après qu’un tournage en extérieur fut compromis par la pluie, une anecdote révélée par Caleb Landry Jones qui témoigne de l’absolue maîtrise du réalisateur sur son décor, même dans l’adversité.
Le choix de Caleb Landry Jones dans le rôle de Dracula est sans doute l’une des décisions les plus décisives du projet. L’acteur, transformé physiquement – maquillage imposant, talons exagérément hauts, costume violet flamboyant – livre une performance habitée, presque reptilienne, qui évacue toute monstruosité primaire au profit d’une intériorité blessée. Sa voix grave et trainante, travaillée avec un coach roumain, confère au personnage une étrangeté douce, fascinante, qui sied parfaitement à ce vampire amoureux, tiraillé entre passion éternelle et solitude infinie. Le film repose en grande partie sur sa présence magnétique, sur son port princier et ses gestes retenus, presque chorégraphiés, évoquant plus un poète décadent qu’un prédateur. La filiation assumée par Luc Besson avec des figures comme William Randolph Hearst, davantage que Nosferatu, souligne cette volonté de faire de Dracula un homme brisé par l’amour plutôt qu’un monstre assoiffé de sang. L’hémoglobine est là, bien sûr, mais elle est secondaire ; c’est la blessure du cœur, pas celle de la gorge, qui intéresse ici.
Dans cette fresque romantique et crépusculaire, les partenaires de jeu ne sont pas en reste. Zoë Bleu, révélée dans le rôle de Mina, parvient à insuffler une innocence troublée et une intensité dramatique convaincante, malgré un rôle difficile et une première expérience sur grand écran. La jeune actrice est assurément l’une des surprises du film, tant elle incarne avec justesse cette femme déchirée entre réminiscence et incarnation. Matilda De Angelis, en Maria, vampire flamboyante, impose une présence scénique pleine de fièvre et de contrastes, notamment dans une scène de fête foraine d’une énergie rare. À leurs côtés, Christoph Waltz, dans le rôle du prêtre chasseur de vampires, injecte une gravité ironique à la narration. Son face-à-face avec Caleb Landry Jones, réservé pour la fin du film, fonctionne comme un climax attendu et maîtrisé, servi par deux acteurs au sommet de leur art, dont l’opposition repose sur la précision du jeu, la tension silencieuse et une noblesse partagée du combat.
La mise en scène de Luc Besson convoque tous les outils d’un cinéma lyrique : grands mouvements de caméra, plans-séquences envoûtants, chorégraphies stylisées, combats théâtralisés et décors époustouflants. Il s’appuie également sur une direction artistique millimétrée, fruit de la collaboration avec Corinne Bruand, costumière ayant conçu plus de 2000 tenues pour le film, dont la sophistication et le symbolisme chromatique renforcent les thèmes du récit. Violet pour Dracula, bleu pâle pour Mina, bordeaux pour Maria – chaque couleur raconte une trajectoire émotionnelle, chaque tissu une histoire. À cette richesse visuelle s’ajoute la musique envoûtante de Danny Elfman, qui réalise ici l’un de ses plus beaux travaux récents. Compositeur emblématique, longtemps associé à l’imaginaire gothique de Tim Burton, il trouve dans ce Dracula une matière idéale, à laquelle il insuffle une mélancolie sublime. Le thème principal, composé dès le début du montage, a provoqué chez l’équipe une émotion immédiate – signe d’un compositeur en parfaite osmose avec la vision du film.
Pour autant, tout n’est pas parfaitement fluide dans cette œuvre qui, parfois, s’alourdit sous le poids de ses intentions. On pourrait voir dans le film une redite nostalgique, un retour poussiéreux à des archétypes passés, une absence de dialogue avec les enjeux contemporains – notamment les lectures critiques du mythe de Dracula à travers le prisme du #MeToo. La représentation du vampire comme figure romantique peut, en effet, poser question dans un contexte où la prédation, aussi esthétisée soit-elle, ne peut plus être représentée sans contrechamp. Si Luc Besson assume le point de vue du vampire, il ne renouvelle pas fondamentalement le mythe – il le revisite avec sincérité, passion et orfèvrerie, mais sans bouleversement véritable. Son Dracula, malgré sa noblesse, reste ancré dans une vision masculine du sacrifice amoureux, une mélancolie virile qui manque parfois de regard critique sur ses propres implications.
Reste qu’avec Dracula, Luc Besson offre un objet cinématographique dense, spectaculaire et très personnel. Porté par une ambition formelle hors du commun, un casting intense, une bande-son envoûtante et une direction artistique somptueuse, le film s’impose comme une déclaration d’amour au cinéma d’antan, au romantisme tragique et à l’art de la mise en scène totale. Qu’on y voie un chef-d’œuvre d’esthétisme ou un patchwork de références trop sages, il est indéniable que cette version de Dracula, transposée dans un Paris de 1889 en pleine effervescence révolutionnaire, impose une signature visuelle rare et une vision d’auteur assumée. En refusant les poncifs du film d’horreur pur et dur, Luc Besson transforme le vampire en symbole d’un amour éternel, aussi magnifique qu’impossible. Et cela, en soi, suffit à faire battre le cœur de cette légende revisitée.
Dracula (Dracula: A Love Tale)
Écrit et réalisé par Luc Besson
D'après Dracula de Bram Stoker
Produit par Virginie Besson-Silla
Avec Caleb Landry Jones, Christoph Waltz, Zoë Bleu, Matilda De Angelis, Ewens Abid, David Shields, Guillaume de Tonquédec
Directeur de la photographie : Colin Wandersman
Montage : Lucas « Kub » Fabiani
Musique : Danny Elfman
Sociétés de production : Luc Besson Production, EuropaCorp, TF1 Films Production, SND
Distribué par SND (France)
Date de sortie : 30 juillet 2025 (France)
Durée : 129 minutes
Vu le 05 aout 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 10 place C19
Note de Mulder: