Titre original: | The return |
Réalisateur: | Uberto Pasolini |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 118 minutes |
Date: | 18 juin 2025 |
Note: |
Dans The Return, le retour d’Ulysse (The return), le réalisateur Uberto Pasolini entreprend la tâche audacieuse de réimaginer la seconde moitié de l'Odyssée d'Homère, non pas comme une épopée peuplée de dieux et de monstres, mais comme une pièce psychologique sobre, ancrée dans la réalité brûlante du traumatisme de l'après-guerre et du déracinement existentiel. En dépouillant le récit de toute fioriture mythologique, de toute intervention divine et de toute épreuve fantastique qui définissaient autrefois Ulysse, Uberto Pasolini met à nu l'essence même du voyage du guerrier : non pas les batailles livrées sur des mers étrangères, mais celles qui se livrent à l'intérieur de soi. Ce film traite moins du chemin du retour que de ce qui se passe lorsque l'on arrive enfin à destination, lorsque l'on revient non pas en héros triomphant de la légende, mais en étranger, brisé et à peine entier. C'est une audacieuse rupture, rendue tout à fait convaincante par Ralph Fiennes, dont la performance imposante et intense capture la violente contradiction d'un homme vénéré dans le mythe mais ravagé par ses souvenirs.
Ralph Fiennes se donne entièrement à son rôle, tant physiquement qu'émotionnellement, avec un niveau d'engagement qui rappelle la gravité méthodique de son interprétation dans Coriolanus. Dès l'instant où il titube nu sur le rivage d'Ithaque, marqué, musclé, le corps marqué par les épreuves de la guerre, le film montre clairement que cet Ulysse n'est plus une figure de la grandeur homérique. Il ressemble davantage à un vétéran buriné par le temps, de retour du Vietnam ou d'Irak, hanté par le sang versé, accablé par la culpabilité du survivant et ne sachant pas comment occuper une maison qu'il ne reconnaît plus. La performance est étonnante par sa retenue : Fiennes parle peu, mais ses yeux font tout le travail, portant le poids de vingt ans de violence et de perte. Son silence n'est pas vide, mais rempli de fantômes, chaque regard témoignant des hommes qui ne sont pas revenus. Pasolini joue sur cette tension, nous privant du réconfort des explications ou des flashbacks. Il nous offre plutôt des gros plans éclairés par la lueur du feu et les ombres, nous obligeant à regarder le chagrin silencieux d'un homme dont l'identité relève plus du mythe que du souvenir.
Face à lui, Juliette Binoche insuffle à la reine Pénélope une force tranquille à la fois royale et déchirante. C'est le genre de performance intériorisée qui pourrait être confondue avec du détachement, mais qui est en fait une véritable leçon de maîtrise. Sa Pénélope n'est pas une veuve en pleurs, mais une survivante vigilante, naviguant quotidiennement dans un champ de mines de masculinité toxique, tandis qu'un palais rempli de prétendants prédateurs empiète sur sa dignité. Alors qu'elle dérive comme un fantôme dans des pièces faiblement éclairées, elle résiste sans cesse, défaisant chaque nuit son linceul pour retarder le moment où elle devra renoncer à sa souveraineté. Juliette Binoche incarne une femme qui a transformé l'attente en guerre, sa défiance silencieuse n'étant pas moins courageuse que n'importe quelle bataille navale. Il y a une scène particulièrement captivante, riche en tensions tacites, où elle parle avec Ulysse déguisé, ignorant – ou peut-être intuitivement consciente – de qui il est vraiment. Sa voix tremble d'une fureur contenue lorsqu'elle exige de savoir si son mari, comme les autres guerriers, a violé et assassiné. C'est un moment qui déconstruit l'héroïsme avec une précision chirurgicale, et Binoche le rend avec une grâce troublante.
Ce qui définit finalement The return, le retour d'Ulysse, ce n'est pas seulement les performances des acteurs, mais la façon dont Uberto Pasolini recadre le mythe pour en faire un vecteur de vérité émotionnelle. Connu pour son travail sur Nowhere Special, Pasolini révèle une fois de plus son affinité pour les histoires de dévastation silencieuse. Ici, à partir d'un scénario coécrit avec John Collee et le regretté Edward Bond, il construit un récit qui traite autant du règlement de comptes post-traumatique que de la reconquête de son nom. Fini les cyclopes et les sirènes ; à leur place, nous avons le brutal Antinoos, incarné avec une ruse magnétique par Marwan Kenzari, et le lâche Pisandre (Tom Rhys Harries), qui incarnent un mal très humain, mesquin, cruel et banal. Ces prétendants ne menacent pas seulement la sécurité de Pénélope, ils symbolisent la pourriture qui ronge l'absence d'un leadership légitime. Même Télémaque, interprété de manière inégale par Charlie Plummer, est victime de cette pourriture : capricieux et colérique, son personnage oscille entre l'apitoiement sur soi et la rage impuissante. C'est un rôle ingrat, et Plummer peine sous son poids, mais même cette inégalité souligne la rupture générationnelle que la guerre laisse dans son sillage.
Visuellement, le film témoigne d'un savoir-faire modeste mais évocateur. Tourné principalement à Corfou, avec le directeur de la photographie Marius Panduru utilisant la lumière naturelle et le feu pour sculpter les intérieurs dans des compositions picturales, The Return évoque l'austérité crue de Les Troyennes de Michael Cacoyannis ou l'introspection politique des adaptations shakespeariennes. Les châteaux ne sont pas somptueux, mais brutalistes ; les paysages, bien que baignés de soleil, sont sinistrement vides. La violence, lorsqu'elle finit par éclater, n'est ni stylisée ni triomphante : elle est brutale, terrifiante et factuelle. Il y a une étrange satisfaction à voir Ulysse tendre son arc et accomplir l'inévitable, mais Uberto Pasolini ne s'intéresse pas à la catharsis. Lorsque les flèches s'envolent, nous ne sommes pas censés applaudir. Nous sommes censés pleurer la nécessité de leur vol.
Le crescendo émotionnel final du film appartient à la réunion entre Ulysse et Pénélope qui, comme le reste du film, évite le mélodrame ouvert au profit d'un réalisme intime. Leur réconciliation n'est pas présentée comme un climax romantique, mais comme une reconnaissance lasse : deux âmes liées par la souffrance, se tendant la main à travers un vide qu'aucun mythe ne peut vraiment combler. Leur réunion, rendue par des regards et des contacts subtils, a un poids plus dévastateur que n'importe quel spectacle surnaturel. Elle nous rappelle qu'il ne s'agit pas seulement de l'histoire d'un roi qui rentre chez lui, mais de ce que devient un foyer lorsqu'il est touché par le chagrin, et de la façon dont l'amour, même s'il n'est pas toujours rédempteur, peut au moins rester fidèle.
The return, le retour d'Ulysse aura peut-être du mal à trouver son public à une époque où la mythologie est synonyme de spectacle, mais sa force réside dans son refus de mythifier la douleur. Ralph Fiennes et Juliette Binoche livrent deux des performances les plus abouties de leur carrière dans un film qui redéfinit l'héroïsme comme une endurance, et non comme une victoire. Il ne s'agit pas d'une adaptation enthousiasmante de L'Odyssée, mais de quelque chose de plus courageux : une complainte sur ce que la guerre emporte, sur ce que le temps érode, et sur les mythes que nous devons réécrire pour survivre.
The return, le retour d'Ulysse
Réalisé par Uberto Pasolini
Produit par James Clayton, Uberto Pasolini, Konstantinos Kontovrakis
Écrit par John Collee, Edward Bond, Uberto Pasolini
Avec Ralph Fiennes, Juliette Binoche, Charlie Plummer, Marwan Kenzari, Ángela Molina, Tom Rhys Harries, Amir Wilson, Moe Bar-El Elatus, Jamie Andrew Cutler Polybus, Jaz Hutchins Hippotas, Matthew T. Reynolds , Amesh Edireweera Leocritus, Pavlos Iordanopoulos Stratius
Musique de Rachel Portman
Directeur de la photographie : Marius Panduru
Montage : David Charap
Sociétés de production : Picomedia, Rai Cinema, Heretic, Ithaca Pictures Inc., Kabo Productions, Marvelous Productions
Distribution : Maverick Distribution (France), Bleecker Street (États-Unis)
Date de sortie : 6 décembre 2024 (États-Unis), 18 juin 2025 (France)
Durée : 118 minutes
Vu le 16 juin 2025 au Pathe Palace, Salle 1
Note de Mulder: